Mémoires patriotiques et
Occupation nazie,
Résistants, requis et déportés en Europe occidentale
1945-1965,
Pieter Lagrou,
Mail Table de matières Julien Lahaut Home
Collection "Histoire du tempsprésent" Objet de débats passionnés, l'histoire du temps présent occupe aujourd'hui une place importante dans la production scientifique, dans l'enseignement, dans l'espace public en général. Définie par tradition comme une séquence de l'histoire dont les acteurs sont vivants, elle est portée depuis quelques années par une réflexion nouvelle sur les rapports entre passé et présent, entre passé proche et passé lointain. Elle s'intéresse de manière privilégiée à l'événement, à sa représentation et à sa postérité. Elle a placé au cœur de sa réflexion des analyses sur la mémoire collective, les usages du passé, l'évolution des sociétés contemporaines dans leur rapport au temps. Elle couvre aussi bien l'histoire sociale ou politique que l'histoire culturelle ou l'histoire économique. La collection « Histoire du temps présent », créée en 1998 par l'Institut d'histoire du temps présent, a vocation à publier des travaux entrant dans ce champ de réflexion, et couvrant l'histoire du monde contemporain, sans frontières thématiques ou géographiques. © Éditions Complexe, 2003,
Ce livre est la version française, réécrite par l'auteur, d'un ouvrage initialement publié en anglais chez Cambridge University Press en janvier 2000, sous le titre The Legacy of Nazi Persécution. Patriotic Memory and National Recovery in Western Europe, 1945-1965. Tous ceux qui m'ont aidé dans ma recherche et dans sa rédaction s'y trouvent remerciés. Sans les encouragements constants d'Henry Rousso, ce difficile travail de réécriture n'aurait jamais vu le jour. Je remercie Sophie Payan-Lagrou, Gabrielle Mue, Jean-Claude Payan et José Gotovitch pour leur relecture attentive et leurs suggestions précieuses. Martine Rousso a été une correctrice exceptionnelle, prenant à cœur d'éliminer les anglicismes et les « néerlandi-cismes » et de clarifier un style parfois alambiqué. L'histoire comparée est un voyage entre les différents langages des sources et les différents langages historiographiques. Je remercie les collègues de l'Institut d'histoire du temps présent, les amis et les proches que j'ai harcelés de questions ou pu agacer par mes entorses à la langue française, de m'avoir patiemment accompagné dans ce périple. Pieter Lagrou est chercheur à l'Institut d'histoire du temps présent (Centre national de la recherche scientifique). Noot: Overname met goedkeuring van de auteur. Enkel sommige delen die op België terugslaan worden overgenomen. Introduction Première partie 1. S'approprier la victoire et rétablir l'État Deuxième partie 4. Populations déplacées Troisième partie 7. La guerre totale et la question de la main-d'œuvre Quatrième partie 11. Persécutions plurielles Conclusion Documents iconographiques ... Premiere partie - Table de matières ... 2. Héros de la nation: France et Belgique - Table de matières ... Des trois pays qui font l'objet de ce livre, c'est uniquement en Belgique qu'éclata au grand jour le conflit entre le gouvernement rentranf-tte-sen exil londonien, et les forces politiques locales revendiquant leur légitimité acquise dans la résistance. Dans les rapports alliés, la Belgique figurait même, avec la Grèce et l'Italie, parmi les pays « instables nécessitant une assistance politique et militaire »(36). Pourtant, présenter la Belgique libérée comme un pays au bord de la guerre civile jet de la révolution relevait de l'exagération rhétorique et de l'instrumentalisation, comme le fit Churchill dans son discours devant le Parlement britannique, en justifiant sa politique de soutien aux forces conservatrices et royalistes en Grèce, Italie et Belgique, et à l'instar du gouvernement belge dans ses demandes de soutien formulées aux Alliés. En effet, le gouvernement et les mouvements de résistance n'évitèrent pas l'affrontement, en partie à cause de l'échec de Pierlot d'intégrer la résistance dans l'armée et de s'approprier ses mérites, comme le firent avec tant d'adresse ses homologues français et néerlandais. Lors de son retour en Belgique, le Premier ministre Hubert Pierlot remania son gouvernement en y incorporant deux communistes et un représentant du Front de l'indépendance, le principal mouvement de résistance créé par le PCB. Un mois plus tard, ceux-ci quittèrent le gouvernement pour protester contre sa façon brutale d'organiser le désarmement des mouvements de résistance. Les observateurs alliés, de leur côté, étaient également peu satisfaits de la politique du gouvernement Pierlot, le considérant trop conservateur pour être en phase avec l'opinion publique belge. Sa chute et sa succession par le socialiste et pragmatique Achille Van Acker en février 1945, qui prit la tête d'un gouvernement d'union nationale comprenant le parti communiste, furent accueillies par l'opinion publique et les observateurs étrangers comme un nouveau départ pour la Belgique. Le ministre des Affaires étrangères Paul-Henri Spaak mis à pari, aucun ministre du gouvernement de Londres ne fut maintenu dans ses fonctions. Le retour aux affaires d'hommes politiques ayant partagé l'expérience de l'Occupation, était censé rapprocher le gouvernement de la population. L'approche consensuelle et pragmatique de Van Acker fut symbolisée, durant un rude hiver de rationnement, par la priorité absolue qu'il accorda à la production minière, ce qui lui valut le sobriquet de « Achille Charbon ». L'irruption de la « question royale » pendant l'été 1945 signifia la fin de l'union nationale. Le parti catholique s'identifia au roi et quitta un gouvernement décidé à prolonger son exil. Par ricochet, la coalition antiroyaliste se présenta comme « le gouvernement de la résistance » et se targua de compter sept « héros de la résistance » dans un gouvernement de dix-huit ministres, dont deux représentants d'un nouveau parti de la résistance, l'Union démocratique belge (UDB). Pourtant, malgré cette étiquette, sa position sur le retour du roi était loin de recueillir l'adhésion unanime des résistants. Les mouvements patriotiques conservateurs, tel que le Mouve-j ment national royaliste, et les organisations de militaires de carrière, telle ' que l'Armée secrète, étaient favorables au roi ; le Front de l'indépendance lui était radicalement opposé et d'autres, comme le Mouvement national belge ou le Groupe G, refusaient de prendre position(37). Durant la campagne pour les premières élections parlementaires d'après-guerre organisées en février 1946, les antiléopoldistes présentèrent l'enjeu comme un choix entre résistance et collaboration. Pendant la semaine des élections, le journal du Front de l'indépendance titra : « Le PSC est notre ennemi public n° 1, le PSC où tous les traîtres ont trouvé refuge » - le PSC, Parti social chrétien, créé en décembre 1945, était le successeur du parti catholique38. Au Parlement, le communiste Julien Lahaut se proclama «contre Léopold III, l'espoir de tous les traîtres et collaborateurs » et lors d'un meeting du Front de l'indépendance, le député libéral Charles Janssens n'hésita pas à qualifier le roi de « plus grand incivique du royaume »39 (voir figures 1 et 2, p. 295-296). En septembre 1945, c'est-à-dire dans les toutes premières semaines de son existence, le « gouvernement de la résistance » justifia son appellation par des actions concrètes. Il disposait pour cela de pouvoirs spéciaux lui permettant de promulguer des arrêtés-lois sans passer devant le Parlement. 1 Parmi les mesures figuraient : un arrêté-loi d'aide financière aux veuves et Horphelins des résistants décédés ; un arrêté-loi liquidant les comptes des [IVnouvements de résistance et indemnisant les prélèvements et réquisitions opérés par ceux-ci ; un arrêté-loi d'amnistie couvrant des actes commis par la résistance pendant une période de quarante et un jours après la Libération ; l'arrêté-loi sur « l'épuration civique » et l'arrêté-loi établissant le « statut de la résistance armée ». L'« épuration civique » fut très controversée. En effet, en vertu de cette procédure, les auditeurs militaires inscrivaient, par une mesure administrative, des personnes inculpées de collaboration sur une liste qui les mettait à l'abri de poursuites ultérieures, mais supprimait leurs droits politiques. Dans les semaines précédants les élections de février 1946, à un rythme qui impliquait des mesures arbitraires, quelque 18 000 individus furent inscrits sur les listes(40). Au total, un peu plus de 40 000 personnes furent frappées par l'épuration civique, dont la moitié obtint la révocation de la sanction après appel. Cette accélération avait pour but d'empêcher la participation aux élections de personnes inculpées pour faits de collaboration et susceptibles de voter pour une opposition royaliste prônant des mesures de clémence. Le Front de l'indépendance et le Groupe G appelèrent leurs membres à organiser des piquets devant les bureaux de vote afin d'empêcher les « inciviques » de voter, y compris ceux qui, par manque de temps, n'avaient pas encore été déclarés déchus de leurs droits. Le « statut de la résistance armée », promulgué le 19 septembre 1945, était certainement en deçà des ambitions d'un gouvernement désireux de créer un nouveau front patriotique contre le roi et l'opposition catholique. Le gouvernement ne pouvait se fonder que sur une proposition élaborée avant la rupture de l'été 1945. Lorsque Van Acker avait succédé à Pierlot en février 1945, une des critiques, formulée à rencontre de ce dernier par motion de censure, avait été sa défaillance à honorer les obligations contractées par le gouvernement vis-à-vis de la résistance. Après leur désarmement brutal, les résistants mobilisés revendiquèrent le droit de participer à l'offensive finale. Les 80 000 volontaires avaient été mobilisés pendant deux mois, regroupés dans des camps, vivant d'une solde minimale, sans affectation concrète et dans l'attente d'un ordre de départ vers le front. À l'issue de cette période, le gouvernement décida la dissolution des unités résistantes plutôt que leur mise à disposition des Alliés, et offrit aux mobilisés une.,intégration_individiielle dans l'armée régulière en reconstruction. Au lieu de servir sous leurs chefs résistants, les volontaires durent se soumettre à la hiérarchie des militaires de carrière. La promotion des chefs résistants était elle-même soumise aux procédures classiques d'examens et d'ancienneté. Pour beaucoup de résistants, il était inacceptable de devoir obéir aux ordres de ceux qu'ils appelaient avec mépris les « naphtalines », c'est-à-dire la vieille caste militaire tenue pour responsable de la défaite en mai 1940 qui avait ensuite soigneusement rangé son uniforme au placard jusqu'à la fin des hostilités(41). Seuls 25 000_des 80 000 mobilisés de septembre-octobre 1944 se portèrent volontaires pour l'intégration dans la nouvelle armée : ils provenaient majoritairement de formations issues de milieux militaires. Leur rôle était celui des Liberated Manpower Units utilisées par les Alliés dans le soutien logistique des unités combattantes(42). Parmi les résistants, la frustration militaire était évidente : non seulement leur rôle dans la libération du territoire avait été limité, mais ils avaient été empêchés par leur propre gouvernement de participer à l'offensive finale. Leurs revendications étaient doubles : reconnaissance morale et indemnisation pour la période d'inactivité et de vaine attente. Pour y répondre, le gouvenement Van Acker avait créé un «Conseil de laa Résistance » dès son installation en février 1945(43). Les formations militaires et patriotiques dominaient largement ce conseil, en particulier l'Armée secrète, forte de ses milliers de volontaires de septembre 1944 et dirigée par des officiers de carrière. Créé dans le but de donner une compensation aux volontaires frustrés de septembre-octobre 1944, le conseil ne comptait pas de membres du Front de l'indépendance, le plus important des mouvements non armés, excepté sa branche armée, les Milices patriotiques. Sous l'égide du conseil, les officiers de carrière de l'Armée secrète étaient donc parvenus à proposer un statut de la résistance armée définissant l'activité résistante comme une activité strictement militaire. Les droits qui en découlaient (retraite, solde, dispense de service, ancienneté du grade) étaient, eux aussi, calqués sur la législation militaire. Quatre des neuf mouvements représentés votèrent contre, refusant cette conception réductrice, et le Front de l'indépendance revendiqua aussitôt un nouveau « statut de la résistance civile »(44). Le projet fut néanmoins accepté par le ministre de la Défense et publié au Journal officiel, signe de l'empressement du nouveau gouvernement à vouloir redresser les injustices commises à l'égard de la résistance par ses prédécesseurs(45). Afin de bénéficier du statut, les postulants devaient apporter la preuve de leur appartenance à un mouvement de résistance armée reconnu par le gouvernement, ou celle d'une activité individuelle de nature militaire. Dans les deux cas, cette activité devait avoir débuté avant le 6 juin 1944 - ce qui écartait les « résistants de la dernière heure » qui aurai&nfattendu le débarquement allié en Normandie avant de s'engager. La période d'activité résistante était assimilée à une période passée sous les drapeaux et les chefs résistants avaient droit à une reconnaissance d'équivalences entre grades clandestins et grades de l'armée régulière. Le statut prévoyait une attribution des galons et des étoiles en fonction du nombre d'adhérents : un lieutenant-colonel pour 3 000 membres, un major pour 1 000, un capitaine pour 250 et ainsi de suite. Les responsables des mouvements qui avaient rédigé ce texte s'étaient accordés une liberté maximale dans les procédures de validation des membres, puisqu'il incombait à chaque mouvement de délivrer les certificats de ses propres adhérents. Le représentant d'un autre mouvement siégeait dans chaque commission d'homologation au titre d'observateur, mais les organisations avaient conclu un gentlemen's agree-ment afin de ne pas intervenir dans la gestion interne de chacun(46). Ainsi, non seulement aucun contrôle n'était exercé sur la procédure de reconnaissance des membres des mouvements, mais chacun d'entre eux avait intérêt à gonfler ses effectifs pour apparaître comme le plus important et atteindre les quotas ouvrant aux grades d'officier supérieur. Les responsables des mouvements qui contrôlaient ces procédures en étaient d'ailleurs les principaux bénéficiaires. En ce qui concerne la reconnaissance des actes individuels, les exigences procédurales étaient telles que la plupart des postulants préféraient obtenir un certificat d'appartenance à un mouvement de résistance armée - ce qui, en général, ne posait aucun problème. En tout, plus de 141 000 demandes furent reconnues et 12 000 seulement déboutées(47). À peine 4 000 postulants choisirent la voie de la reconnaissance individuelle. Les mouvements recrutaient ouvertement, par voie de presse, de nouveaux candidats pour le titre de «résistants armés»(48). En 1951, l'interpellation d'un parlementaire déclencha une enquête du ministre de la Défense qui mit au jour une série de reconnaissances frauduleuses, attribuées en particulier à des militaires de carrière qui, à leur réintégration en 1945, avaient signé un formulaire stipulant qu'ils n'avaient jamais fait partie d'un mouvement de résistance, mais qui, quelques années plus tard - afin d'améliorer leurs perspectives d'avancement - s'étaient procuré une reconnaissance comme « résistants armés »(49). Ces révélations allaient dans le sens d'une vague de scepticisme largement répandue durant les années d'après-guerre à l'égard des chiffres de résistants officiels et des procédures douteuses qui les avaient produits. Pourtant, le statut avait créé un précédent - celui d'accorder une récompense aux résistants pour leur attitude sous l'Occupation - et inspira d'autres postulants. Un statut qui équivalait à une incorporation post fac-tum des résistants dans l'armée témoignait d'une conception réductrice qui ne pouvait contenter que les mouvements de la résistance militaire. Le principal déçu était le Front de l'indépendance (FI), créé par le PCB fin 1941 pour animer la résistance dans tous les milieux sociaux et professionnels. Ses multiples branches - chacune avec son propre organe de presse clandestine - s'adressaient aux travailleurs, aux agriculteurs, aux enseignants, aux magistrats, etc. Le FI avait été efficace dans l'aide aux clandestins juifs, aux travailleurs réfractaires et aux familles de résistants arrêtés. La proposition d'une loi à son image, reconnaissant un large éventail d'activisme résistant, répondait bien aux ambitions du « gouvernement de Ja résistance » en place depuis l'été 1945(50). Après avoir emporté de justesse les élections de février 1946, la coalition antiléopoldiste disposait de nouvelles perspectives pour réaliser ses projets. Jean_Terfve, le ministre communiste de la Reconstruction en charge du dossier, avait lui-même joué un rôle de premier plan dans le FI. Arrêté le 22 juin 1941, il s'était évadé de la citadelle de Huy deux mois après et avait créé le FI dans le Hainaut. Secrétaire national du FI et du PCB, commandant national des Partisans armés, il était une figure charnière du parti clandestin et de sa résistance. En tant que ministre, il voulait réussir là où le statut de la résistance armée avait failli, en proposant un seul texte reconnaissant tous les Belges qui s'étaient engagés dans la résistance, de quelque façon que ce fût(51). La proposition Terfve-FI définissait la « Résistance civile » comme la « participation active à la lutte clandestine contre l'ennemi en déployant une activité ayant entraîné des risques réels »(52). Elle énonçait trois formes concrètes : les actes de sabotage accomplis dans l'exercice d'une profession, la presse clandestine et l'aide aux personnes recherchées par l'ennemi, pour toute autre raison qu'une infraction de droit commun. S'y dernière entrée, assez vague pour être acceptable par les autres mouvements, désignait essentiellement les activités d'agitation patriotique du FI(53). Les procédures de reconnaissance étaient calquées sur celles du statut de la résistance armée. Les résistants civils individuels avaient à prouver une activité concrète, mais les membres d'organisations reconnues comme « œuvres de solidarité patriotique » pouvaient se contenter de déposer un certificat d'adhésion. Avant de soumettre son texte au Parlement, Terfve dut l'amender en vue d'une reconnaissance distincte pour les « réfractaires ». En réaction contre le travail obligatoire imposé par l'occupant, en particulier quand celui-ci impliqua, à partir de 1942, des emplois en Allemagne (voir chapitre 7), des dizaines de milliers de travailleurs choisirent la clandestinité. Or, une petite minorité franchit le pas de la résistance active. Le choix fait par ces réfractaires avait un mérite patriotique indéniable : en acceptant les risques et l'inconfort d'une vie clandestine, ils avaient soustrait à l'ennemi leur force de travail. Mais, entre se mettre à l'abri parce qu'on est anti-allemand, anti-nazi ou simplement casanier, et passer à l'acte, la différence est de taille : l'attitude passive des réfractaires et l'engagement actif des résistants ne pouvaient être mis sur un pied d'égalité. À ce problème, Terfve trouva une solution quelque peu artificielle en créant un statut double réunissant, sous un même considérant, deux parties distinctes, l'une pour les résistants civils et l'autre pour les réfractaires. Au statut de la résistance civile, Terfve annexa une proposition plus ancienne qui concernait la presse clandestine. Cette presse avait été d'une ampleur exceptionnelle en Belgique occupée, en partie avec le retour de certains titres et de certains militants actifs en 1914-1918. Le Mouvement national belge, éditeur de la Voix des_Belges, l'une des feuilles clandestines les plus répandues, refusait l'intégration de son projet dans un ensemble aussi hétérogène(54). Selon les défenseurs de la presse clandestine, les risques encourus par ses auteurs, imprimeurs et distributeurs, équivalaient à ceux de la résistance armée et, par conséquent, méritaient la même reconnaissance, y compris pour les pensions et les grades militaires. Attribuer le statut de la résistance civile équivaudrait à un grade de seconde zone, taillé sur mesure pour le Front de l'indépendance et destiné à être distribué à grande échelle à des individus dont le mérite n'atteignait en aucune façon celui du combattant clandestin d'une presse illégale. Le statut de la résistance civile fut approuvé en Conseil des ministres en novembre et publié par l'arrêté-loi du 24 décembre 1946, mais ses opposants firent appel au régent - Charles, frère de Léopold III - et ce faisant, bloquèrent son application(55). En mars 1947/ Terfve quitta le gouvernement. Une année plus tard, le Parlement approuva un statut séparé pour la presse clandestine, entièrement inspiré du statut de la résistance armée(56). Le blocage de l'application du statut de la résistance civile eut une autre conséquence plus déterminante puisqu'il empêcha Terfve de participer à la mise en œuvre de la procédure des reconnaissances. En mars 1947, le clivage de la Guerre froide prit le dessus sur celui de la question royale. Le parti socialiste se maintint au pouvoir en abandonnant ses ministres communistes et libéraux pour intégrer le parti catholique. Terfve céda la place à Robert De Man, issu du mouvement ouvrier catholique flamand. Autrement dit, c'est à son adversaire politique qu'il incombait désormais de mettre en application un projet taillé sur mesure pour le FI, l'ennemi juré du parti catholique. La première initiative de De Man fut de créer une alliance de tous les mouvements non communistes désireux d'obtenir une reconnaissance en tant qu'organisations de résistance civile, pour faire contrepoids au FI. Le baron Franz Tilmans, industriel catholique, actif pendant l'Occupation dans les réseaux clandestins de l'armée démobilisée et ayant rejoint Londres en juin 1944, accepta de chapeauter cette « Confédé-L ration nationale des résistants civils de Belgique »(57). Dans le même temps, De Man mobilisa les différentes branches du mouvement ouvrier catholiquie en quête d'adhésions et de revendications résistantes. Dès sa création, la « Confédération » fut reconnue à égalité avec le FI. Une quarantaine de groupes hétérogènes d'obédience catholique, socialiste ou libérale, rejoignirent la nouvelle organisation, dont seize mouvements clandestins et vingt-cinq « groupes clandestins au sein d'organismes (légaux) »(58). Cette dernière catégorie permettait d'inclure une série d'organismes tout à fait respectables ayant continué leur activité pendant l'Occupation, avec l'autorisation, sinon le soutien, de l'occupant, telles l'Œuvre nationale des invalides de guerre, la Jeunesse ouvrière catholique et l'Aide pour la reconstruction des foyers éprouvés par la guerre, une association catholique qui s'occupait des victimes des bombardements alliés. Encore fallait-il beaucoup d'imagination pour reconnaître dans ces mouvements la résistance civile telle qu'elle avait été définie par le statut. La presse clandestine n'en faisait plus partie. L'aide aux personnes recherchées par l'ennemi était la catégorie la plus facile à définir. Nombre d'or- a ganisations catholiques avaient caché des juifs ou aidé des réfractaires, et la moitié des groupes reconnus dans la liste des membres de la « Confédération » de De Man l'étaient à ce titre. Les deux catégories restantes posaient plus de problèmes. Les actes de sabotage accomplis dans l'exercice de sa profession » faisaient référence, dans l'esprit des concepteurs, aux travailleurs sabotant la production des usines mobilisées par l'ennemi dans le cadre de l'économie de guerre. De Man y ajouta une nouvelle notion, celle de « sabotage administratif », couvrant les actes de fonctionnaires restés en poste durant l'Occupation et qui, tout en acceptant formellement les ordres allemands, auraient œuvré à les contourner. Cinq noyaux de « fraude patriotique » furent ainsi reconnus au sein de l'administration, allant du ministère des Finances au Service de ravitaillement de la ville d'Anvers. C'est pourtant la catégorie d'« œuvres de solidarité patriotique» qui se prêta le plus à l'exégèse de De Man. Toute œuvre charitable, par exemple l'aide aux familles bombardées, trouva sa place sous ce titre. Le FI réagit amèrement aux distorsions faites à son statut : « La manœuvre est évidente. On veut noyer la résistance civile, la submerger sous une vague d'orga nismes hétéroclites afin de mieux la dévaloriser. De plus, le but inavoué est d'introduire subrepticement, par une petite arrière-porte, toute une série de personnages qui auraient pratiqué une soi-disant "résistance administrative", alors qu'en fait ils collaboraient avec l'ennemi. »(59) II ne restait dès lors à De MarTqu^à trouver une administration prête à traduire son exégèse des textes en reconnaissances individuelles. Cela ne devait poser aucun problème, puisque le personnel du service chargé des victimes de guerre et des résistants qui ne dépendaient pas du ministère de la Défense, devait encore être nommé. Dans la pure tradition politique belge, tous seraient d'obédience catholique(60). Or, contre toute attente, ces fonctionnaires se révélèrent moins dociles et plus consciencieux que prévu. Les centaines de milliers de dossiers individuels étaient classés par ordre d'urgence et le service accorda une priorité absolue aux demandes de reconnaissance pour le statut de prisonnier politique. L'administration assumait une lourde responsabilité morale et financière en décidant du sort d'individus au parcours tragique (voir chapitre 12). Le service des victimes de guerre recueillit une documentation impressionnante sur la déportation et les camps nazis et examina de près chaque cas individuel. En 1950, lorsque les mêmes fonctionnaires passèrent aux demandes de reconnaissance pour le statut de la résistance civile, ils avaient acquis une conscience professionnelle qui les fit soumettre chaque dossier aux mêmes normes d'examen critique des preuves documentaires. Plutôt que d'appliquer aveuglément les circulaires ministérielles, ils retournèrent au texte d'origine du statut, qui stipulait une « participation active à la lutte contre l'ennemi en déployant une activité ayant entraîné des risques réels », critère qui poserait problème pour nombre de postulants de la liste anti-FI. La clause de procédure, empruntée au statut de la résistance armée et selon laquelle « la preuve de leur activité de résistants pourra notamment être constituée par le parrainage d'un des mouvements reconnus de résistance civile dont un arrêté royal dressera la liste », clause qui avait été la raison d'existence de la « Confédération » voulue par De Man, fut tout simplement ignorée. Même si toutes ces organisations avaient été reconnues par un arrêté royal publié au Journal officiel en mars 1948, l'administration ordonna un examen critique de chacune d'entre elles, afin d'établir quel mouvement et quel type d'activités étaient véritablement du ressort des textes de 1946(61). L'enquête administrative aboutit à un vrai massacre pour la liste anti-FI. Toutes les branches du FI furent reconnues comme « œuvres de solidarité patriotique », contre la moitié des organisations anti-FI. Sur un total de 44 000 demandes individuelles, 10 000 seulement obtinrent une reconnaissance. Interrogé par le fonctionnaire en charge de son dossier sur le caractère clandestin de son action et sur les risques qu'il avait courus, un volontaire de l'association catholique d'aide aux familles bombardées répondit, étonné : « De la part de l'occupant allemand je n'ai jamais été inquiété et je n'ai jamais perçu aucun risque. Au contraire même, les membres de notre organisation portaient toujours un brassard afin d'être reconnus par les services d'ordre et d'être admis sur le site du sinistre. »(62) À la question de savoir pourquoi il avait alors fait une demande de reconnaissance comme résistant civil, l'homme répondit : « En fin de compte, c'est Mlle Baers [la présidente de l'organisation] qui nous a encouragés à faire la demande, en nous disant que la clause sur "le concours apporté à la création, l'organisation ou l'action d'œuvres de solidarité patriotique" avait été rajoutée spécialement au texte de l'arrêté-loi pour reconnaître l'action de notre organisation comme une forme de résistance civile. » L'homme avait par ailleurs hébergé deux juifs à son domicile pendant une brève période et le fonctionnaire l'informa que, si sa demande en tant que membre de l'organisation d'aide aux sinistrés était irrecevable, cette dernière action lui donnait droit au statut. Ce que le postulant refusa, en déclarant : « Ça, ce n'était pas de la résistance, c'était de la charité. » L'examen des demandes devint une source permanente de conflit entre le ministre et son administration. En 1950, à son initiative personnelle, le ministre August de Boodt, successeur et ami politique de De Man, reconnut, dans sa circonscription électorale, une organisation de cheminots comme mouvement de résistance civile. Les cheminots avaient volé des biens dans les dépôts de la Société nationale des chemins de fer, qu'ils avaient ensuite revendus sur le marché noir et, grâce aux bénéfices, avaient aidé les familles de cheminots prisonniers de guerre ou réfractaires. L'administration rejeta la décision du ministre : les cheminots avaient sans doute organisé une fraude habile dans un but caritatif, mais tout cela ne participait nullement de la lutte clandestine contre l'ennemi(63). Le ministre choisit d'ignorer la décision de son administration et la reconnaissance de l'organisation fut publiée au Journal officiel comme un addendum à la liste de 1948. Par la suite, l'administration prit sa revanche en rejetant toutes les demandes individuelles des cheminots, et embarrassa le ministre signataire avec un cas d'école : une organisation officialisée ne comptant aucun membre reconnu. Même un ministre catholique, membre d'un gouvernement catholique et se trouvant face à une administration nommée par un catholique, ne pouvait violer la procédure à sa guise. À la différence des reconnaissances de résistants armés distribuées sans limite, le titre de « résistant civil » resta circonscrit à une élite capable d'apporter la preuve de sorTëngagement et, contre toute attente, l'administration resta remarquablement imperméable aux interférences politiques. Une exception pourtant jette un éclairage sur le besoin durable de légitimation résistante, y compris dans les milieux catholiques au pouvoir au début des années 1950. La liste de la « Confédération » publiée par Robert De Man en 1948 comprenait une organisation au nom vague de «Centre d'études économiques et sociales.». La liste des membres de cette organisation est surprenante : y figurait toute l'équipe dirigeante de l'aile flamande du mouvement ouvrier catholique - des amis politiques de De Man donc -, dont deux ministres (Paul-Wllem Segers et Gérard Van den Daele), un dirigeant national du syndicat catholique (August Cool), le directeur de la mutuelle, etc., en tout une vingtaine d'hommes dont la moitié occupaient des positions de pouvoir(64). L'aile flamande du mouvement ouvrier catholique s'était compromise par sa participation au Syndicat unique créé par l'occupant en 1940-1941, participation que l'aile wallonne avait refusée. Une réhabilitation de ses membres par voie de reconnaissance comme résistants civils était une façon de redorer son blason. Dans un rapport du secrétaire supposé du « Centre », celui-ci aurait été le « brain-trust secret » coordonnant toutes les activités de résistance du mouvement ouvrier catholique : mobilisation contre le syndicat unitaire et contre le travail en Allemagne, aide aux réfractaires, propagande antinazie. De toute évidence, aucun des postulants ne s'attendait à un réel interrogatoire et, face au travail méthodique de reconstitution des fonctionnaires en charge du dossier, presque tout furent pris au piège de leurs déclarations contradictoires à propos des lieux de leurs rencontres, de leur périodicité, du nombre et même des noms des participants. Pourtant, des rencontres avaient bien eu lieu du temps de l'Occupation, mais leur objet avait été tout autre : après le malheureux épisode du Syndicat unique, les protagonistes continuèrent à se réunir pour constituer une nouvelle plate-forme politique. Leur programme témoignait d'un attachement viscéral au corporatisme au corporatisme et à l'État autoritare (65). Les fonctionnaires qui menaient l'enquête pensaient que ces réunions n'avaient pas eu lieu et imaginaient encore moins leur teneur, bien que l'un d'eux fit une visite à l'auditorat militaire - l'instance qui jugeait les affaires de collaboration en Belgique -, afin de vérifier les antécédents judiciaires des concernés. Les contradictions flagrantes entre les différentes déclarations suffirent largement à discréditer le montage. L'un des postulants,Alphonse Billion, raconte quarante ans plus tard le déroulement des faits(66). Il était juge au tribunal correctionnel d'Anvers à l'époque de sa demande, et son récit est une sorte de confession destinée à soulager sa mauvaise conscience - professionnelle de surcroît - à propos d'un faux témoignage, fait sous serment, devant un collègue fonctionnaire. Billion avait été contacté par Herman Kuijpers, le chef de cabinet du ministre Paul-Willem Segers, inculpé de collaboration pour sa participation au Syndicat unique et pour son rôle en tant qu'adjoint au maire d'Anvers jusqu'en janvier 1944. Il lui avait demandé de l'aider par un témoignage de complaisance sur leurs rencontres sous l'Occupation. Billion lui-même avait été inculpé dans l'affaire de la collaboration syndicale, mais son dossier avait été classé sans suite. « Nous, les catholiques, et particulièrement les gens du mouvement ouvrier, nous nous sentions acculés. Après la guerre nous nous trouvions face non seulement à une autre mentalité, mais aussi face à d'autres gens. Le gouvernement revenait de Londres et il engagea des gens issus de la résistance qui se mettaient en avant. Tout à coup nous devions nous justifier face à des étrangers pour ce qu'on avait fait pendant l'Occupation. À peu près tout le monde dans notre milieu avait des ennuis, sinon avec la répression [de la collaboration], tout au moins à cause d'insinuations. Nous nous sentions menacés, inquiets de savoir si nous réussirions dans la vie. Après coup, tout s'est arrangé et la plupart d'entre nous ont fait une belle carrière, mais à cette époque les choses se présentaient mal. C'est dans cette atmosphère qu'à une certaine époque la conviction s'est imposée à nous qu'on devait se soutenir mutuellement, et que l'un a proposé à l'autre : "Tu ne pourrais pas témoigner pour quelque chose qu'on a fait ensemble ?" Ce n'était pas un but avoué dans l'organisation, ( mais plutôt un sentiment de devoir faire quelque chose, partant de l'idée : "Et si après on me demande des comptes, je trouverai bien des arguments." Et c'est comme ça que nous avons témoigné les uns pour les autres devant des commissions à qui je ne faisais pas confiance et devant qui je ne sentais pas une obligation [de vérité]. Je ne savais même pas quels étaient les critères de reconnaissance. » Le ministre intervint personnellement auprès de son administration pour traiter les demandes des membres du « Centre » avec une priorité absolue. Les fonctionnaires en charge du dossier étaient très impressionnés de devoir interroger un ministre ou le dirigeant national du syndicat catholique. Néanmoins, quatre des cinq «commissaires d'État» donnèrent un avis négatif sur le bien-fondé des dossiers. Exceptionnellement, leur avis fut ignoré par leur supérieur et tous les dossiers furent avalisés d'autorité par les commissions d'homologation. Un ministre et un cheminot trafiquant sont rarement logés à la même enseigne. Pourtant, à l'un comme à l'autre s'applique la sagesse populaire qu'un bien mal acquis ne profite jamais : aucun des nouveaux décorés n'osa se vanter de ses titres résistants, par peur de réveiller d'anciens soupçons. Les marchandages autour de la « résistance civile » nous montrent une dernière tentative du Parti social chrétien de contrer l'appropriation de la mémoire de la résistance par l'opposition antiléopoldiste. Le PSC se maintint au pouvoir de mars 1947 à avril 1954. Il fut, jusqu'en juin 1950, le partenaire majoritaire des gouvernements de coalition, avec les socialistes d'abord et les libéraux ensuite puis, fort d'une majorité parlementaire absolue, gouverna seul à partir de cette date. Dans une telle position de pouvoir, inédite depuis 1914 et qui ne se reproduirait plus jamais, le parti aurait dû avoir les moyens de se réapproprier la mémoire de la résistance, or c'est l'inverse qui se produisit. La coalition antiléopoldiste maîtrisa à la perfection la manipulation du souvenir de la résistance comme stratégie d'opposition. C'est en brandissant sa légitimité résistante que l'opposition obtint à la fois la démission de deux ministres catholiques de la Justice et le retrait du roi Léopold. Paradoxalement, pendant ces sept années au pouvoir dont quatre sans partage, le Parti social chrétien accumula plus de frustrations que l'opposition. Ces frustrations contribuèrent à l'aliénation croissante de l'opinion catholique flamande, face au compromis belge qui empêchait de traduire son poids démographique en pouvoir politique brut. Comme on l'esquissera dans la conclusion de ce livre, le retour au pouvoir, de 1954 à 1958, des socialistes et des libéraux aux dépens des catholiques, et leurs efforts pour ressusciter un « gouvernement de la résistance », du moins au niveau de la rhétorique, creusèrent irrémédiablement cet abîme. Au cours des années 1950, les catholiques, au faîte de leur pouvoir électoral, en Flandre en particulier, abandonnèrent juïigressiyement le combat d'appropriation de la mémoire de la résistance. ...
Troisième partie
- Table de matières ... 10. « Déportation », ou la défense des requis - Table de matières Si les travailleurs, livrés à eux-mêmes, écrasés par la guerre et l'Occupation, abandonnés par leurs syndicats et trahis par leurs agences d'emploi et leurs administrations du travail, avaient été protégés par une solidarité de classe et soutenus par des réseaux de résistance patriotique, ils ne seraient probablement pas partis en Allemagne. Rentrèrent-ils plus unis par l'expérience d'exil qu'ils avaient partagée ? Leur dispersion géographique et l'hétérogénéité des conditions de travail et de vie rendaient peu probable la création d'une association de défense de leurs intérêts avant leur retour. Qui prendrait alors leur défense ? Qui s'investirait dans la réhabilitation de leur image face aux suspicions d'ordre moral et patriotique ? En Belgique, la JOC, en France, Frénay et aux Pays-Bas, quelques associations de mauvais augure qui lièrent leurs intérêts particuliers à la cause commune du plus grand nombre des travailleurs rapatriés. La branche belge de la JOC s'était totalement investie dans son « Service pour les travailleurs à l'étranger », organisé en 1942 dans le but de protéger les travailleurs catholiques des tentations morales et de la déroute spirituelle qui les menaçaient en Allemagne, comme nous l'avons analysé dans le chapitre 8. Après le rapatriement, il fallait les réintégrer, les rééduquer et les rechristianiser. Comme un aumônier local le formulait, la vocation du mouvement après le retour était « de les ramener au point où ils étaient avant leur départ, avant qu'ils ne fussent souillés par trois années d'exil en Allemagne »(96). Mais, étant donné la perte d'influence probable des organisations catholiques parmi les exilés, il était préférable qu'une entreprise d'une telle tâche ne s'affichât pas comme émanant d'une organisation confessionnelle. La reconquête des âmes n'était qu'une partie du cahier des charges du travail catholique en milieu rapatrié. Il fallait aussi reconquérir les votes politiques et contrer les convoitises du parti communiste vers les rapatriés. La JOC décida donc de ratisser large et de déguiser ses efforts en une fédération nationale des travailleurs déportés aux apparences neutres. On peut en effet qualifier la Fédération nationale d'organisation cryptocatholique, un genre dans lequel le parti communiste était expérimenté, mais très inhabituel pour les catholiques belges. En effet, dans le compromis belge de 1830, l'Église catholique avait obtenu toute latitude pour construire un «pilier» catholique, c'est-à-dire une structure parallèle et indépendante du système public, assurant un apartheid confessionnel qui permettait aux catholiques de ne jamais croiser de laïques, de la maternité à la maison de retraite et du club de sport à la caisse d'assurance-chômage, sans parler du parti, du syndicat et de l'école. Les catholiques avaient l'habitude d'afficher leur couleur confessionnelle, ils tentèrent même d'en imprégner toute la société. Que, pour son action parmi les travailleurs rapatriés, l'Église catholique ait choisi d'œuvrer sous couvert de neutralité confessionnelle révèle l'étendue de ses angoisses quant à sa perte d'influence parmi les travailleurs belges en Allemagne. La Fédération fut créée par les offices du cardinal Van Roey à Malines, en pleine vague de rapatriement, en mai 1945, rassemblant une douzaine de militants jocistes(97). Auguste Roeseler, le président de la section bruxelloise de la JOC, fut nommé président alors qu'il attendait encore d'être rapatrié d'Allemagne. La Fédération était gérée par des « permanents » de la JOC, des militants salariés à temps plein détachés auprès de l'organisation, dont certains n'avaient même jamais mis les pieds en Allemagne. Cette apparence de neutralité était surtout importante pour l'action en Belgique francophone, où le mouvement ouvrier catholique n'exerçait pas l'hégémonie qu'il avait conquise en Flandre. Les congrès nationaux de l'organisation et sa presse étaient, initialement, une affaire purement francophone, qui se traduisait dans le recrutement de ses membres(98). En Flandre, l'action auprès des rapatriés était plus ouvertement indissociable de la JOC qui avait simplement rebaptisé son « Service pour les travailleurs à l'étranger » en « Service du retour ». C'est à partir des locaux de la JOC que ce dernier offrit une vaste gamme d'actions de soutien aux rentrants, de la distribution de vêtements à l'assistance administrative et au conseil familial(99). Ce n'est qu'à la fin des années 1940 que ces différentes initiatives catholiques locales intégrèrent la Fédération nationale, où elles contribuèrent à renforcer la place du néerlandais dans ses activités. En dépit de ses apparences neutres, la Fédération et ses efforts de rééducation morale continuèrent de porter l'empreinte de l'Action catholique. La « rubrique familiale » du Travailleur déporté idéalisait la « vraie femme, si différente de celles que vous avez connues dans le Lager »(100). Femme au foyer et mère de famille nombreuse, elle trouvait davantage sa place dans le programme électoral du Parti social chrétien de la fin de l'année 1945 que dans celui de ses adversaires. L'organisation hérita aussi de la tradition paternaliste du mouvement ouvrier catholique dont elle était issue. À en juger d'après les origines sociales de ses cadres, la Fédération était plus une organisation créée pour les travailleurs que par des travailleurs. Son président était un cadre supérieur de la principale société d'actions bel ces. la Brufina cl l'un des représentants de l'Union des employeurs belges. Les branches locales étaient animées par des fonctionnaires, des commerçants et d'autres représentants des classes moyennes. La solidarité de classe n'était certainement pas le ciment qui soudait l'organisation - dans une certaine mesure, c'était même plutôt l'inverse. Une étude locale dans la région de Leuven révèle que les cadres de l'organisation manifestaient une certaine condescendance envers leurs membres. Selon eux, les membres passifs étaient uniquement intéressés par les avantages matériels de l'action revendicative, le volet d'action « morale » et commémorative les laissant largement indifférents(101). À l'intérieur de l'organisation se développa même un circuit de sociabilité séparée : les activités publiques, destinées à « l'ouvrier de base », et un « cercle d'amis de la Fédération » réservé aux initiés avec son propre bulletin interne. Non seulement ils ne partageaient pas la même conception de l'action revendicative et de la sociabilité, mais leurs expériences de la guerre étaient différentes. Pour les jeunes hommes des classes moyennes qui avaient été des requis du travail industriel en Allemagne, la confrontation avec la vie de la classe ouvrière et le traumatisme d'un exil social furent, plus qu'une quelconque solidarité entre exploités, à l'origine d'une volonté de rassemblement au sein d'un milieu de mémoire.Le défi le plus immédiat qui s'imposa à la Fédération nationale fut la réhabilitation patriotique des travailleurs rapatriés, lesquels souffraient d'un complexe d'infériorité patriotique. Un premier réflexe défensif consista à dire que les travailleurs n'avaient pas été les complices de la machine de guerre nazie, mais ses victimes. Toute appréciation de leur sort devait donner du poids aux privations subies et non au travail fourni à l'ennemi. Le journal de la Fédération, Le Travailleur déporté, exhortait les rapatriés : « Montre au Pays au prix de quelles souffrances tu as voulu rester digne du nom de Belge. »(102) Un deuxième réflexe défensif puisait dans le registre social : le devoir des travailleurs avait d'abord été de nourrir leurs familles et, ensuite seulement, de défendre leur patrie. À défaut de soutiens financiers, le refus de partir aurait été irresponsable. La clandestinité était une option pour ceux qui pouvaient compter sur la fortune familiale ou qui avaient la chance d'être en contact avec une organisation de résistance, ou pour ceux qui ne reçurent de convocation qu'après la mise en place d'un mécanisme d'aide financière par le gouvernement en exil. Le troisième argument était plus offensif : les travailleurs en Allemagne s'étaient aventurés dans la gueule du loup pour combattre l'ennemi chez lui avec un courage indomptable. Or, le mythe de la résistance des requis propagé par la Fédération fut moins grotesque que celui inventé par le neveu de De Gaulle à Alger dans le courant de 1943. Le Travailleur déporté écrivait en octobre 1945 : « Croyez-vous vraiment que nous avons travaillé là-bas pour la victoire prussienne ? Faudra-t-il vous apprendre que notre travail en Allemagne fut un sabotage gigantesque ? », mais les exploits de résistance ouvrière relaies dans ses colonnes furent bien plus modestes. Les actes de sabotage ne ciblèrent ni 1es moteurs d'avions militaires ni les centrales électriques, mais la force de trail elle-même, de façon individuelle. Les histoires les plus héroïques impliquaient le relus de travail, les sit-in ou les provocations contre les supérieurs allemands, incidents qui aboutissaient systématiquement à l'internement de leurs auteurs en camps de travail, voire de concentration. On voit ici l'écho de certains thèmes de la mythologie jociste, délestée de ses références aux martyrologes catholiques. La Fédération réussit même à faire inscrire la résistance des travailleurs en Allemagne dans le Livre d'or de la Résistance belge parmi les plus nobles exploits d'actes anti-allemands(103). Les histoires les plus courantes relataient des stratagèmes visant à se soustraire au travail : provoquer de violentes palpitations à l'aide d'une aspirine réduite en poudre et introduite dans une cigarette, déclencher un œdème impressionnant en tapant le dos de sa main avec une cuiller durant quinze minutes, deux recettes faciles pour obtenir un arrêt-maladie. Plus encore, Le Travailleur déporté rapportait que les actions « escargot » se généralisaient - véritable épreuve pour l'ouvrier belge, consciencieux par nature - et que les heures à l'usine étaient le plus souvent passées à jouer aux cartes : une image pas forcément compatible avec celle de la terreur et de la surveillance omniprésente(104). Lors du premier congrès de la Fédération belge, l'invité d'honneur, ( leorges Beauchamps, président de la Fédération française, résuma ainsi la devise des deux organisations : « Chaque heure que nous avons volée a l'ennemi, ce fut un pas vers la victoire. »(105) (Voir figure 6, p. 300.) Le discours patriotique de l'héroïsme ouvrier en Allemagne était surtout de nature tactique. Pour réussir la réhabilitation des travailleurs, la Fédération était bien obligée de se joindre - même avec une certaine réticence - à la surenchère patriotique du débat public belge depuis la Libération. L'organisation n'avait pas l'intention d'obtenir la réhabilitation des requis aux dépens îles volontaires, au contraire. Dans le débat sur l'épuration, elle plaida pour la modération. Le Travailleur déporté exigeait une sanction exemplaire pour les responsables allemands des Werbestellen («offices de recrutement ») et leurs complices belges dans la chasse aux travailleurs, les Zivilfahnder (« civils chasseurs de prime dans la recherche de réfractaires »), mais sa vindicte n'allait pas au-delà. « Ne perdons pas notre temps à casser des vitres, à brûler des meubles, réunissons des témoignages sérieux et nous ferons œuvre bien plus utile, non seulement contre les petits, mais contre les collaborateurs "installés". Contre ceux qui, bien plus coupables que les travailleurs volontaires, ont accepté de produire pour L'ennemi. »(106) Ce n'était pas tant le héros que l'on retrouvait au cœur du discours patriotique de la Fédération, que le citoyen ordinaire qui avait tenté de survivre aux années d'occupation au prix de compromis quotidiens, sans jamais perdre son honneur ni trahir son pays. Pourtant, la référence à la résistance collective des travailleurs requis en Allemagne fut la source d'un malentendu majeur entre la Fédération et le ministre des Victimes de guerre. Le ministre communiste Jean Terfve fut ravi d'apprendre que les travailleurs en Allemagne avaient accompli des actes de sabotage en masse, afin d'enrayer la machine de guerre nazie. Rien ne rimait mieux avec son grand projet unitaire d'une loi pour la « Résistance civile », qui donnerait une reconnaissance à toutes les formes d'agitation patriotique, y compris celles menées par les travailleurs belges sur le sol allemand. Son chef de cabinet déclara, lors d'une réunion avec les dirigeants de la Fédération, que le ministre était entièrement acquis à la cause des travailleurs déportés, mais qu'une reconnaissance à part était redondante : « Je pense que si nous continuons de la sorte, on va bientôt "statufier" tous les Belges qui n'ont pas travaillé pour l'ennemi. [...] Le statut de la résistance civile, un point, c'est tout. Et nous y mettrons toutes les catégories qui l'auront mérité. »(107). Identifier l'expérience du lot commun des travailleurs avec celle d'une minorité héroïque devenait un piège. Selon les conditions proposées par le cabinet, seuls pouvaient obtenir une réhabilitation légale ceux étant capables de prouver une résistance active. La majorité écrasante dont la Fédération s'était faite le porte-parole était, une fois de plus, privée de reconnaissance. Le Fédération réussit à se retirer discrètement du concours patriotique en insistant sur le fait qu'elle était prête à accepter moins d'honneurs pour un plus grand nombre(108). Terfve, qui avait déjà été contraint de faire une exception pour les réfractaires dont l'attitude passive ne pouvait être assimilée à l'engagement offensif des résistants, finit par consentir à un statut séparé pour les travailleurs déportés, publié en même temps que les deux autres statuts, le 22 novembre 1946, en usant des pouvoirs législatifs spéciaux qui autorisaient le gouvernement à légiférer sans passer devant le Parlement(109). Le texte de loi stipulait « qu'il importe d'établir une distinction entre les Belges qui furent emmenés de force en Allemagne pour y travailler et ceux qui se sont mis volontairement au travail pour l'ennemi » et que, de ce fait, il convenait de reconnaître aux premiers un droit à la réparation des dommages subis. Ces droits étaient limités : les travailleurs déportés et leurs ayants droit pouvaient prétendre aux pensions pour victimes civiles de la guerre ; les cotisations d'assurance sociale étaient considérées comme versées au cours de la période passée en Allemagne ; enfin, les rapatriés avaient droit à un apprentissage professionnel aux frais de l'État. À la différence des deux autres statuts publiés simultanément, le statut des déportés du travail ne comportait pas de clauses de reconnaissance nationale. Même si, sous cette forme, le statut n'était qu'une victoire à la Pyrrhus au regard des revendications de la Fédération, il fut accueilli comme un acquis majeur puisque la loi avait reconnu que les travailleurs requis n'avaient finalement rien à se reprocher. Tant pis pour les travailleurs volontaires dont la défense apparut rapidement comme une cause perdue. Quant à la médaille qui leur avait été refusée, la Fédération en produisit une, qu'elle mit en vente dans ses locaux au prix de 10 francs. Par la suite, l'application de la loi, c'est-à-dire l'ouverture de la procédure reconnaissant les dossiers de demandes individuelles, se fit attendre. Les travailleurs déportés se retrouvèrent tout à la fin de la liste des catégories de dossiers à traiter par l'administration. Les « prisonniers politiques », dont le statut fut publié, suite à une longue controverse, avec deux mois de retard par rapport aux travailleurs déportés, bénéficièrent d'une priorité absolue du l'ail de leur mérite patriotique et des situations d'urgence dans lesquelles bon nombre d'entre eux se trouvaient. En 1948, l'administration produisit sa « doctrine », à savoir les instructions d'application de la procédure de reconnaissance des dossiers(110). De façon méticuleuse, ce document interne catalogua les éléments de preuve requis pour attester d'un départ forcé en Allemagne. L'administration avait saisi les archives de l'administration allemande des Werbestelle, responsables de la réquisition de la main-d'œuvre, et disposait en particulier des « contrats d'engagement volontaire » présentés aux requis au moment de leur départ. Comme nous l'avons déjà mentionné, la signature ou le refus de signature de ces contrats n'avait aucune incidence sur le résultat ultime - le départ forcé en Allemagne -, mais pour les usages de la propagande, les autorités allemandes avaient offert aux signataires une prime de 750 francs belges, une paire de chaussures et de vagues promesses d'un meilleur emploi sur leur lieu de destination. La doctrine stipula que tous les signataires devaient être exclus du bénéfice de la loi. Ainsi, un nouveau critère patriotique faisait son apparition, excluant une majorité de travailleurs, qui, de façon pragmatique, avaient préféré ramasser la prime et la paire de chaussures, l'issue de la convocation ne s'en trouvant aucunement modifiée. Le Travailleur déporté titra : « Verra-t-on, quatre ans après la Libération, un ministre belge faire le jeu des Allemands ? »(111) Personne n'avait été dupe des artifices de la propagande nazie sous l'Occupation ; l'administration allait-elle se saisir maintenant de ces contrats sans valeur comme ultime critère séparant les requis des volontaires ? Après une longue campagne et un parcours parlementaire sinueux, la Fédération finit par obtenir un nouveau statut, le 7 août 1953, qui prit en compte les « signataires »(112). Comme pour le statut des prisonniers politiques de 1947, la nouvelle loi distinguait bénéficiaires du statut et porteurs du titre. Les signataires avaient droit aux avantages matériels prévus par la loi de 1946. En revanche, les non-signataires s'étaient distingués de leurs camarades qu'une paire de chaussures avait appâtés, par leur refus catégorique de toute compromission avec l'ennemi, fût-il sans incidence pratique. Ils avaient donc droit à la reconnaissance nationale : priorité dans les emplois publics, dispense de service militaire (ce qui, en 1953, avait une incidence plus théorique encore pour les bénéficiaires que les contrats de travail allemands) ; possibilité de bénéficier du soutien de l'Office national des anciens combattants et, surtout, pour ceux qui étaient morts en Allemagne, droit à la mention « mort pour la Belgique » sur leur certificat de décès et sur leur tombe. Aux Pays-Bas, le premier comité de soutien à la cause des travailleurs requis dénonçant leur assimilation abusive à des citoyens déméritants, voire à des traîtres, fut créé à la suite de la controverse politique sur les ratages du rapatriement néerlandais et en particulier, sur le retard inexcusable du rapatriement d'Union soviétique. En avril 1946, onze mois après la Libération, les parents des « travailleurs SS du front », de jeunes travailleurs requis envoyés sur le front de l'Est pour des travaux de construction, adressèrent une pétition au Premier ministre pour dénoncer l'incompétence et l'obstruction systématique dont faisaient preuve les services de rapatriement(113). Un an après la fin de la guerre, sur environ cinq mille « travailleurs S S du front », plus d'un millier n'avaient toujours pas été rapatriés. Réquisitionnés par le SS-Wirtschaftsverwaltungshauptamt (direction centrale de la SS pour l'administration de l'économie), ces jeunes gens avaient vécu au cœur des combats dans le froid extrême de l'hiver russe(114). Même si leur statut civil était préservé de manière formelle, ils étaient contraints de porter l'uniforme de la Wehrmacht, ce qui les exposa aux attaques des partisans soviétiques et expliqua aussi, par la suite, les réticences soviétiques quant à leur rapatriement, puisqu'ils étaient considérés comme des prisonniers de guerre ennemis. En outre, certains des travailleurs avaient accepté d'être enrôlés dans des formations militaires et de porter les armes. Toutes les demandes de renseignements de la part des parents auprès des autorités néerlandaises de rapatriement furent accueillies avec hostilité. Les parents inquiets s'entendirent répondre vertement que le rapatriement d'anciens SS était bien la dernière des priorités du gouvernement et que, d'ailleurs, ces derniers étaient bien inspirés de retarder leur retour s'ils ne voulaient pas s'exposer à la vindicte populaire, aux poursuites judiciaires, voire au lynchage. Les requis furent systématiquement confondus avec les agriculteurs qui s'étaient portés volontaires pour la colonisation à l'Est et avec les volontaires de la SS. Ceux qui, parmi eux, avaient été rapatriés, l'avaient été par l'entremise de la Croix-Rouge française, mais furent traités comme des suspects aux Pays-Bas. Ils eurent systématiquement les tampons « V » de travailleur volontaire sur leurs cartes de rapatriement et furent, par conséquent, exclus de tout secours et, de fait, du marché de l'emploi. Malgré sa taille modeste, le comité fut très actif. Dans ses communiqués de presse, il déclara que les responsables du rapatriement néerlandais n'étaient «qu'une bande de gamins malveillants et incompétents»(115). Outrepassant les avertissements très explicites du ministère, il prit directement contact avec l'ambassade soviétique à La Haye en tentant d'accélérer le rapatriement des travailleurs SS. Les relations diplomatiques entre La Haye et Moscou étaient, à cette époque, très conflictuelles et le rapatriement était au cœur des tensions. Cette action diplomatique parallèle, venue à point pour envenimer davantage les rapports soviéto-néerlandais, déclencha la colère de Willem Drees, le puissant ministre des Affaires sociales en charge du rapatriement. Les informations qui lui parvinrent des services de renseignements indiquant un pourcentage important de communistes parmi les membres du comité aggravèrent encore la situation(116). Le ministre rapporta au chef du gouvernement « qu'il manque une case à la plupart des membres de la Compagnie de l'Est. C'est bien connu et cela a été confirmé par les résultats des interrogatoires par la police judiciaire des rentrants. »(117) Il admit que les conséquences des tampons « V », interdisant tout accès aux secours, avaient été trop radicales, mais maintint que les tampons eux-mêmes étaient parfaitement justifiés. S'il convenait de redresser quelques discriminations individuelles, on ne pouvait, en aucun cas, procéder à une réhabilitation collective « des pires éléments ». Choisir de cibler les quelques milliers de personnes employées par la SS sur des sites militaires en uniforme de la Wehrmacht, n'était pas la meilleure façon de faire avancer la cause des travailleurs requis en général. Dans un contexte de suspicion généralisée, leur réhabilitation n'était pas un objectif réaliste. La campagne militante en faveur de leur défense ne fit que desservir l'image des travailleurs requis auprès des dirigeants néerlandais et du grand public, suggérant des associations qu'il fallait justement éviter. La deuxième campagne de réhabilitation cibla un groupe beaucoup plus large. L'Union néerlandaise des rapatriés avait fait sa première apparition en août 1946 comme organisateur du congrès de la Confédération internationale des rapatriés, une entreprise franco-belge. À cette époque, l'Union néerlandaise ne possédait aucune activité nationale significative. Réunir le congrès à Eindhoven était probablement une tentative d'expor-ler la Fédération belge au nord de la frontière et il n'est pas inconcevable <lc penser que le choix de cette ville frontalière, dans la province catholique du Limbourg, fût l'œuvre de la JOC. Par son appellation, l'Union se distinguait de ses modèles français et belges : aucune référence à la « déportation » ni au « travail forcé », mais simplement aux « rapatriés » en général. L'Union adressa une pétition au Premier ministre : « Les cen-Iaines de milliers de déportés ont le sentiment que le gouvernement n'accorde pas la moindre importance aux innombrables problèmes auxquels cette partie importante de la population néerlandaise fait face. Ceci explique l'inquiétude qui s'est emparée de larges couches de la société et qui pourrait prendre des formes peu souhaitables. »(118) Le chef du gouvernement ne fut aucunement impressionné et ne daigna même pas envoyer un représentant au congrès. En janvier 1947, l'Union lança sa première campagne nationale à travers une pétition adressée au Premier ministre, dénonçant l'état de dénuement persistant dans lequel se trouvaient les rapatriés, dix-huit mois après la fin de la guerre. L'organisation exigeait que le gouvernement mît fin « à la réglementation injuste qui laisse trop de champ libre aux interprétations arbitraires des administrations compé-U'ntes », et lança, de façon accusatrice : « Ces administrations feraient bien de ne pas oublier leurs responsabilités vis-à-vis de ce groupe important d'environ 400 000 Néerlandais ! »(119) L'organisation néerlandaise se distinguait de ses voisines du Sud par son approche très inclusive des migrations économiques du temps de guerre. L' Union condamnait avec vigueur la politique néerlandaise de refoulement des épouses allemandes des travailleurs néerlandais, comme « contraire à toutes les normes de moralité et de vertu »(120) . La séparation de foyers par décision gouvernementale incitait aux rapports immoraux et à la haine contre le peuple allemand. Le gouvernement lui-même n'avait-il pas déclaré, de son exil londonien, que la guerre n'était pas un combat contre le peuple allemand, mais contre le système nazi ? «La décision gouvernemontale rappelle le fanatisme raciste que le gouvernement dénonça avec tant de vigueur, d'antan et aujourd'hui. » Aussi courageuse que cette défense des épouses allemandes pût paraître, ce n'était pas une position susceptible de rencontrer une écoute favorable à l'époque ni dans les milieux gouvernementaux ni dans l'opinion publique. Plus suicidaires encore, mais non moins courageux étaient son refus de la stigmatisation des « soi-disant travailleurs volontaires » et sa mise en cause des politiques de l'emploi d'avant-guerre.« Dès avant les jours de mai 1940, des travailleurs furent contraints par le gouvernement de l'époque de partir travailler en Allemagne, à cause du chômage. [...] De même, ceux qui, pendant l'Occupation, étaient dépendants des organismes de soutien à cause du chômage n'ont eu aucun autre choix que d'accepter un travail en Allemagne, car lesdits organismes les avaient exclus, eux et leurs familles, de toute forme d'aide financière. D'ailleurs nombreux furent les Néerlandais qui furent contraints de travailler pour des salaires tellement minimes qu'ils ne pouvaient même pas satisfaire leurs besoins essentiels et ceux de leurs familles. Ce n'est que par pure misère qu'ils finirent par accepter un emploi en Allemagne. Tous ces gens sont aujourd'hui montrés du doigt comme des germanisants volontaires (duitslandgangers), ce qui, vu les faits énumérés ci-dessus et d'autres encore, n'est pas entièrement justifié. »(121) L'organisation s'abstint de faire appel à un quelconque sens de l'héroïsme ou du martyre et renonça à toute forme de hiérarchie patriotique. En conséquence, après une vaste consultation de tous les ministères et agences gouvernementales, l'Union fut cataloguée comme une organisation suspecte et soumise à un embargo officiel complet(122). Le gouvernement refusa de recevoir ses représentants et la raya de la liste des organisations d'aide aux victimes de guerre, un répertoire de quatre volumes(123). Incapable d'obtenir la moindre réponse à sa campagne, l'Union néerlandaise des rapatriés disparut de la scène. Mais il ne suffit pas de tuer le messager pour se débarrasser du message. Ceci vaut particulièrement pour les ressortissants néerlandais ayant émigré en Allemagne avant-guerre. Puisque le rapatriement du printemps et de l'été 1945 ramenait, en principe, les personnes déplacées vers le lieu où elles résidaient avant le début de la guerre, les émigrés d'avant-guerre restaient sur place. Mais suite à la rapide détérioration de la situation économique en Allemagne durant l'hiver 1945-1946, ils furent nombreux à tenter de rentrer aux Pays-Bas. Le groupe de « réimmigrants » ne comprenait pas seulement les quelque 40 000 émigrants de la seconde moitié des années 1930, mais une population beaucoup plus vaste issue des vagues d'émigration qui avaient précédé la Première Guerre mondiale. Selon les calculs, le gouvernement estimait qu'entre 70 000 et 240 000 citoyens néerlandais résidant en Allemagne se porteraient candidats au retour vers leur pays d'origine, une population surtout concentrée dans la région frontalière de Düsseldorf, Munster et Duisburg(124). L'Allemagne d'après-guerre n'était pas un lieu très accueillant pour des travailleurs immigrés, même de longue date. Les travailleurs de la Reichseinsatz (« mobilisation pour l'empire ») déportés en Allemagne durant la guerre par Sauckel, avaient été rapatriés, et leur place avait été prise par un nombre plus important de réfugiés de langue allemande, d'Europe centrale et orientale. La société allemande, fin 1945, était éthniquement plus homogène qu'elle ne l'avait jamais été, suite aux massacres et aux déplacements de population. Le chômage et l'hyperinflation atteignaient des sommets et il régnait une pénurie alimentaire. Ces immigrés néerlandais subirent à la fois l'hostilité de la population allemande et celle des Alliés, qui considéraient qu'un ressortissant d'une nation alliée occidentale n'ayant pas demandé son rapatriement durant l'été 1945, devait avoir des raisons suspectes de prolonger son séjour en Allemagne. Dès janvier 1946, quelques milliers de travailleurs immigrés rentrèrent tous les mois aux Pays-Bas et, en mai de la même année, pas moins de 14 000 candidats au retour s'entassèrent aux postes-frontières germano-néerlandais en attente d'admission sur le sol néerlandais. Le gouvernement tenta de les en empêcher. Les infrastructures sociales étaient débordées et la pénurie de logements avait été aggravée par les rapatriements des Indes néerlandaises. En plus des problèmes logistiques se posait un problème psychologique, puisqu'une forte antipathie régnait parmi la population à l'encontre de ces compatriotes très germanisés dont une bonne partie ne parlait presque plus le néerlandais. À ceci s'ajoutaient des objections d'ordre politique. L'administration fit remarquer que parmi eux « beaucoup étaient tellement imprégnés par leur environnement national-socialiste qu'ils poseraient un problème d'ordre public pour notre pays, ce qui est encore plus vrai pour les enfants élevés dans la Hitlerjugend ou dans le Bund der Deutsch Màdchen »(125). Les ministères de l'Intérieur et des Affaires sociales voulaient à tout prix endiguer ce nouveau flot de rapatriés. La solution la plus simple aurait été de supprimer leurs passeports et de les refouler à la frontière. Les ressortissants néerlandais se trouvant en Allemagne seraient alors obligés de demander un visa pour rentrer au pays, visa délivré après que les consulats aient effectué une enquête locale sur leur affiliation politique(126). Le ministère des Affaires étrangères objecta qu'une telle mesure était manifestement anticonstitutionnelle et que l'on ne pouvait, sous aucune condition, interdire l'entrée du territoire national à un citoyen néerlandais par simple mesure administrative. En outre, si le gouvernement refoulait à la frontière des citoyens néerlandais dans le besoin pour les renvoyer au chaos auquel ils tentaient d'échapper, il se heurterait aux protestations des autorités d'occupation alliées. Il serait sans doute préférable, arguait le ministère des Affaires étrangères, d'attaquer le problème à la racine en fournissant une assistance sociale aux citoyens néerlandais dans leurs lieux de résidence en Allemagne. Déjà avant-guerre, pendant la période d'incitation à l'émigration, l'assistance publique néerlandaise (armenbezoekers in rijksdienst) avait parcouru l'Allemagne pour s'assurer de la situation matérielle de ces émigrés(127). Les Affaires étrangères favorisèrent cette dernière option d'autant qu'elle cadrait parfaitement avec un plan plus vaste : l'annexion d'un territoire allemand en compensation des dommages de guerre, inspirée par le précédent d'Eu-pen-Malmédy, deux cantons allemands annexés par la Belgique après 1918(128). Le problème principal posé par ce plan était le souhait, par le gouvernement néerlandais, d'une annexion du territoire vidée de sa population allemande. Ainsi, si les ressortissants néerlandais restaient en Allemagne aidés par des structures de secours adéquates, ils pourraient être ensuite transférés vers les territoires annexés, en qualité de pionniers de la colonisation. Même si, dans le règlement de la question allemande, le gouvernement néerlandais devait se contenter d'une zone d'occupation plutôt que d'une annexion, cette population émigrée pourrait toujours servir « pour livrer une contribution non négligeable au renforcement de l'esprit de fraternité occidentale, à rencontre de toute idée impériale ou à toute renaissance de l'esprit militariste prussien ». Ils participeraient ainsi « à la propagation de conceptions occidentales des droits de l'homme et de la démocratie qui devraient être les vecteurs de la rééducation de l'Allemagne en une nation civilisée »(129). Cette tradition d'émigration déjà fortement ancrée avant-guerre, de travailleurs néerlandais en direction de l'Allemagne, gommait la particularité des migrations dues à la guerre, au contraire de la Belgique et de la France, dotées toutes deux d'une longue tradition d'accueil et d'immigration. Après la lente mort par asphyxie de l'Union néerlandaise des rapatriés, un nouveau « Comité de la Fondation des Néerlandais rapatriés, résidents en Allemagne avant mai 1940 » se manifesta par une pétition, insistant sur le fait que, pour des raisons uniquement chronologiques, ses membres ne pouvaient être suspectés d'un esprit de collaboration et qu'ils devaient donc être rigoureusement distingués des travailleurs volontaires(130). Même si le gouvernement avait décidé de prêter l'oreille à cette nouvelle campagne, ce qu'elle ne fit pas, cela n'aurait donc fait aucune différence pour les travailleurs requis du temps de l'Occupation. ... Première partie - Table de matières ... (36) Pieter Lagrou, « US politics of stabilization... », art. cité (37) Pour l'Armée secrète, Pygmalion, mai 1945-février 1946 ; pour le Groupe G Pile ou Face, janvier-février 1946 ; pour le FI, Front, mai 1945-février 1946 Voir aussi Francis Balace et Cécile Dupont, « Les Anciens et le roi. Facteurs de cohésion et de divergence, 1945-1950 », Cahiers du Centre de recherches et d'études historiques de la Seconde Guerre mondiale, 9 (1985) p 123-174 (38) Fernand Demany dans Front, 24 février 1946 (traduction de la version néerlandaise par l'auteur). (39) Respectivement Charles Janssens et Julien Lahaut cités par Théo Luykx Poli-tieke Geschiedenis van België, Deel II (1944-1985), Anvers, Kluwer, 1985 p' 452 (40) Luc Huyse et Steven Dhont, La Répression..., op. cit., p 30-34 et 149-154 41 (41) Front, 25 janvier 1945. (42) Voir Lucien Champion, Les Volontaires de la Libération : la chronique des Bruxelles, 1973], Braine-l'Alleud, Collet, 1985 ; Front, 28 janvier 1945 et juillet 1945 et Annales parlementaires de la Chambre, 6 février et 7 août 1945 (43) Moniteur belge, 10 février 1945, p. 646. (44) La Voix des Belges, 18 décembre 1949, et Charles Hoste à l'auteur 5 juillet (45) Moniteur belge, 12 octobre 1945, p. 6734-6739. (46) La Voix des Belges, 18 décembre 1949. (47) Chiffres pour 1950, Annales parlementaires de la Chambre 13 février 1951, p. 8. (48) Pygmalion, décembre 1946 ; Front, 19 et 28 janvier 1947. (49) Annales parlementaires de la Chambre, 13 février 1951, p. 16-27 et Documents de la Chambre (séance ordinaire 1950-1951), n° 386. (50) Front, 25 août, 28 octobre, 11 novembre 1945 et 17 février 1946 ■ La Voix des 'iges, mai 1945. (51) Voir à ce propos le chapitre 10 concernant la reconnaissance des réfractaires et requis au travail obligatoire en Allemagne. (52) Moniteur belge, lôjanvier 1947, p. 431-434 et Front, 1er décembre 1946 (53) Voir le dossier « Historiques Résistance Civile - Werken van Patriottische Verbondenheid », administration des Victimes de guerre, Bruxelles, service de documentation, RAP 610, TR 237.367. (54) La Voix des Belges, 17 novembre 1946. (55) Voir Front des 19 mai, 8 septembre, 1er décembre, 8 décembre 1946 et 12 ian-vier 1947. (56) Documents de la Chambre, 536 (juin 1948) ; Annales parlementaires de la Chambre, 17, 23 et 24 juin ; 30 juillet 1948 et 3 août 1949 et Annales parlementaires du Sénat, 23 juin 1948. (57) Baron Franz Tilmans à l'auteur, 20 avril 1989. (58) Moniteur belge, annexe Associations sans but lucratif, 20 mars 1948 p 681-686 et Moniteur belge, 11 mars 1948, p. 1981-1983. (59) Front, 14 mars 1948 (traduction de l'original néerlandais) (60) Pierre Potargent à l'auteur, 15 février 1987; Van Calster à l'auteur 22 décembre 1986. (61) Note de Van Calster, 12 novembre 1950, 28/GVC/DM, administration des Victimes de guerre, Bruxelles, service de documentation, RAP 610, TR 237.367. (62) « PV de AAC » [témoignage rendu anonyme par l'auteur], 4 décembre 1950, administration des Victimes de guerre, Bruxelles, service de documentation, RAP 610, TR 237.367. (63) « Dienst Ravitaillering van de NMBS », administration des Victimes de Bruxelles, service de documentation, RAP 610, TR 237.367, n° 15. (64) Ce cas d'étude remonte à un exercice que j'ai mené en tant qu'étudiant à l'université de Leuven en 1986-1987, sous la direction d'Emmanuel Gérard. Voir administration des Victimes de guerre, Bruxelles, service de documentation, dossier RAP 610, TR 237 (Historiques-Résistance Civile) ainsi que les dossiers personnels des postulants. Voir aussv ACWKongresverslag, Bruxelles, mai 1949. (65) Proeve van Toekomst-Programma opgemaakt door een groep Jongeren uit de Katholieke Sociale Middens v/h Vlaamsche land, KADOC, Papieren Gryspeerdt, non classés. (66) Alphonse Billion à l'auteur, 10 octobre 1987. ... Troisième partie ... (96) Van Oostveldt, aumônier de la JOC dans la région de Louvain, cité par Bert Coenen, De bierkaai..., op. cit., p. 131. (97) Le Travailleur déporté, 1 (août 1945) ; 6 (janvier 1946) et 7 (février 1946) ; Auguste Roeseler à PL, Bruxelles, 29 novembre 1988. Pour une réplique amère et bilingue du secrétaire général de la FNTD à notre interprétation, voir Le Travail obligatoire en Allemagne, p. 241-244 et 251-254. Voir aussi Rudi Van Doorslaer et Etienne Verhoeyen, De moord op Lahaut. Het kommunisme als binnenlandse vijand, Louvain, Kritak, 1985, p. 147-149, 181-183 et 189. (98) Le Travailleur déporté, 1 (août 1945). Au cours de l'année 1946, quelques numéros furent traduits dans un néerlandais pitoyable sous l'intitulé De Gedepor-teerde. Ce n'est qu'en 1949 que les éditions françaises et néerlandaises devinrent équivalentes. Le nombre d'adhérents à la Fédération doubla après la publication du statut, de 23 000 en décembre 1945 à 40 000 au début de l'année 1947. (99) Kajottersweerstand, p. 85-89 ; liste des adresses utiles publiée régulièrement dans Le Travailleur déporté ; Théo Delgoffe à l'auteur, 22 février 1989 et 24 janvier 1994 ; Bert Coenen, De bierkaai..., op. cit., p. 139. 100 Le Travailleur déporté, 10 (mai 1946). 101 Bert Coenen, De bierkaai..., op. cit., p. 145-152. 102 Le Travailleur déporté, 1 (août 1945). 103 Commission de l'Historique de la Résistance, Livre d'or de la Résistance, Bruxelles, Leclerq, 1948. 104 Le Travailleur déporté, 4 (novembre 1945). 105 lbid., 6 (janvier 1946). 106 lbid., l(août 1945). Voir aussi la préface d'Auguste Roesler à Potargent, Déportation, op. cit. 107 lbid., 11 (juin 1946) 108 lbid., 12 (juillet 1946). 109 « Arrêté-Loi organisant le statut des déportés pour le travail obligatoire de la guerre 1940-1945 », Moniteur belge, 16 janvier 1946, p. 429-434 ; Le Travailleur déporté, 16 (novembre 1946). 110 Le Travailleur déporté, 35 (août-septembre 1948) ; Dossier WG, administration des Victimes de guerre, Service Statuts. 111 Le Travailleur déporté, 37 (novembre-décembre 1948). 112 Moniteur belge, 3-4 août 1953, p. 4810-4813. 113 Actie-comité Oostbouw à PM, 11 avril 1946, ARA, cab. PM, boîte 132. 114 Voir Ben Sijes, De arbeidsinzet...,op. cit., p. 477-487. 115 Rapport du ministre des Affaires sociales Drees au Premier ministre, 18 mai 1946, ARA, cab. PM, boîte 132. 116 Notitie voor MP, 12 juin 1946, ARA, cab. PM, boîte 132. 117 Rapport du ministre des Affaires sociales Drees au Premier ministre, 18 mai 1946 ; lettre du Premier ministre au ministère des Affaires sociales, 17 avril 1946 et 13 mai 1946, lettre du secrétaire du Premier ministre au Actie-comité Oostbouw, 17 avril 1946 et 24 mai 1946, ARA, cab. PM, boîte 132. 118 Lettre du Nederlahds Verbond van Gerepatrieerden au Premier ministre, 27 juillet 1946, et son refus du 8 août 1946, ARA, cab. PM, boîte 132. 119 Lettre du Nederlands Verbond van Gerepatrieerden au Premier ministre, 24 janvier 1947, avec en annexe le Sociaal Rapport, ARA, cab. PM, boîte 132. 120 lbid. 121 lbid. 122 Voir la correspondance entre l'Union et l'administration de février-avril 1947, ARA, cab. PM, boîte 132. 123 Annexe à la lettre du Nederlands Verbond van Gerepatrieerden au Premier ministre, 17 septembre 1947, ibid. 124 Rapport du ministère de l'Intérieur, Nederlanders in Duitsland, 4 février 1946 ; rapport de la réunion interministérielle du 9 avril 1946 ; lettre du ministère des Affaires sociales au Premier ministre, 1er mai 1946, ibid. 125 Rapport de la réunion du 9 avril 1946, ibid. 126 Rapport du ministère des Affaires étrangères, 4 mai 1945 ; lettre du ministre des Affaires étrangères au Premier ministre, 15 avril 1946 ; note du ministre des Affaires étrangères au Premier ministre, 20 mai 1946, ibid. 127 Rapport du ministère de l'Intérieur, 4 février 1946 ; lettre du ministre de l'Intérieur au Premier ministre, 22 octobre 1948, ibid. (128) Rapport du ministère des Affaires étrangères, Section Allemagne, 15 novembre 1946, ibid. Pour les plans néerlandais d'annexion, voir Friso Wie-lenga, Partners uit noodzaak..., op. cit., p. 385-414. 129 Rapport du ministère des Affaires étrangères, Section Allemagne, 15 novembre 1946, ARA, cab. PM, boîte 132. 130 Lettre du Premier ministre au ministre de l'Intérieur, 15 septembre 1948, ibid. ... Page derrière - Table de matières La Seconde Guerre mondiale trouve difficilement sa place dans une histoire sociale des pays occupés d'Europe occidentale. Quel fut l'impact de cette guerre en France, en Belgique et aux Pays-Bas ? Face à la mortalité massive, aux mutilations et destructions de la Grande Guerre, ou face à la violence destructrice de la guerre nazie sur le Front de l'Est, la question incite à la prudence. La durée des combats militaires, ainsi que leurs séquelles, furent relativement limitées. En conséquence, la période est le plus souvent étudiée sous l'angle de la confrontation idéologique entre collaboration et résistance. Cette confrontation fut certes dramatique et meurtrière, mais la postérité de la période de l'Occupation ne se résume pas à ce conflit de deux formes d'engagement radical. Ce livre propose une réponse nouvelle à la question des séquelles de la guerre nazie en Europe occidentale, à travers une histoire sociale et comparative de ses effets les plus marquants. Il s'articule autour de trois grands thèmes : la postérité de la résistance, celle de la réquisition de la main-d'œuvre et celle de la persécution, dans les trois pays étudiés. Dans le vaste champ d'études de l'histoire de la mémoire au XXe siècle, ce livre se démarque par son ambition d'étudier à la fois l'impact de l'événement et la mémoire qu'il a engendrée, à la fois les conséquences sociales et les représentations. Il sort aussi des bornes étroites de l'histoire nationale comprise en soi par une recherche rigoureusement comparative, afin d'enraciner l'histoire de l'après-guerre dans sa dimension la plus caractéristique : la dimension européenne. Pieter Lagrou, docteur en Histoire, est chercheur à l'Institut d'histoire du temps présent à Paris (CNRS). Ce livre est la version française de l'ouvrage The Legacy ofNazi Occupation. Patriotic Memory and National Recovery in Western Europe, 1945-1965 (Cambridge University Press, 2000). Histoire du temps présent
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