12. Juifs et communistes dan la guerre: de la mémoire à l'histoire

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12.1  L'enjeu d'un débat
12.2 Le syndrome Manouchian
12.3 Les exclus de la résistance juive
12.4 Le critère du salut des Juifs
12.5 Un modèle ‘belge’?
12.6 Le “front antifasciste” de Jospa!
12.7 Le “défense juive” dans le temps de l'histoire
12.8 Le salut de la violence physique
12.9 Le “bras vengeur

12.1  L'enjeu d'un débat*

S'agissant des Juifs et de la seconde guerre mondiale, de surcroît, des communistes, le chemin de la mémoire à l'histoire est probablement le plus encombré. Il n’y a pas seulement les phénomènes habituels de reconstruction de la mémoire individuelle, ni même les métamorphoses successives de la mémoire collective dans sa représentation du passé. Cette dialectique inhérente au rapport du temps présent à l’histoire se complique ici d’une querelle historiographique. Depuis les années quatre-vingts, les historiens prennent le relais des disputes de la mémoire. A ce niveau toutefois, le débat sur la présence communiste veut s’inscrire dans le “cadre d'une problématique scientifique” et des “règles de travail pour une histoire de la résistance juive[1].

L’enjeu n’en est pas moins - comme dans le débat de mémoires des années précédentes - l'“exclusion” des résistants juifs et communistes de son histoire[2]. En 1984, lors d'un colloque sur ce sujet dont un historien considérant l'état de la question a pu dire qu'il l'a traitée en termes de “polémiques[3], le directeur du Monde juif disait crûment la chose. Dans le propos de Georges Wellers, ces communistes “n'avaient rien de la ‘résistance juive’ ... si ce n'est le fait que beaucoup de leurs membres étaient d'origine juive”. Une telle lecture fait l'impasse sur le repère juif pour définir une résistance juive. Ces Juifs de la Résistance étaient donc des communistes, peut-être même des communistes juifs, mais précisément pas des Juifs communistes. Leur statut historique les reléguerait, dès lors, dans une résistance communiste, catégorie au principe non-juif. Leur histoire peut sans doute être intéres­sante, mais “au même titre”, ajoute Wellers, “qu'une étude de la participation des protestants ou des musulmans ou des paysans, ou des commer­çants à la résistance[4].

Cette contestation qui écarte de la résistance juive toute dimension communiste est essentiellement française. Confinée à l'Hexagone, elle ne vérifie, en dehors de son périmètre, la validité de sa grille de lecture. Le débat historiographique gagnerait cependant à pratiquer cette approche comparative, notamment en se tournant vers la petite Belgique toute voisine. Le cas ‘belge’, comme on n'a pas manqué de l'apercevoir, “se rapproche du cas ‘français’ et, “avec ses ombres et ses lumières”, “ramène à des débats qui ont cours” dans ce pays[5]. Il révoque justement toute définition qui, privilégiant le “salut des Juifs”, ne prendrait pas en compte les dispositions idéologiques et politiques des résistants juifs. En cette matière, l'historien ne saurait cependant adopter d'autre '“unité de mesure”[6]. Ce qui importe, c'est, pour reprendre l'excellente formule de Michaël Marrus, ce qu'à l'époque, les résistants juifs “étaient prêts à accepter”.

A cet égard, le cas ‘belge’ est tout à fait remarquable. Ici, c'est bel et bien à l'initiative des communistes que se constitue la “défense” juive, et ce dès 1942. Appliqué à la Belgique , le critère de “salut des Juifs” qui en France sert tout à la fois à définir la résistance juive et à en exclure les résistants juifs et communistes conduirait à une aberration historique. Sans sa composante communiste, une histoire de la résistance juive en Belgique occupée perdrait ses points forts. Ni le rôle central d'un Jospa dans la formation et le déploiement du Comité de défense des Juifs, ni les attentats des partisans juifs contre la déportation juive ne seraient compréhensibles. Dans ce pays, les traits les plus caractéristiques de la résistance juive - ses traits “civil” et “militaire” pour reprendre la terminologie de l'après-1945 - portent bel et bien l'empreinte communiste.

Le propos de cette communication est, en présentant ce cas de figure d'une résistance juive constituée à l'initiative et sous l'impulsion des communistes, de mettre à l'épreuve le critère du salut des Juifs qui en France sert à les exclure de sa représentation. On examinera ce modèle ‘belge’ en resituant un tel critère dans le temps de l'histoire et tel que le concevaient alors ses acteurs juifs et communistes. Dans ce retour à l'histoire, il s'imposera, plus encore qu'en France, de se défaire des reconstructions de la mémoire.

En France, on le verra, le débat des mémoires oblige les historiens à retourner aux sources et reprendre le sujet pour en réécrire l'histoire. En Belgique, les contestations n'ont pas cette fécondité. Dans ce petit pays, il n'y a, en guise de débat, qu'une sourde querelle sur les personnes et sur leur place dans la commémoration du passé[7]. Si d'aventure, elle trouve une plume, l'ouvrage s'en tient, sans rigueur critique, à une mise en forme des revendications de la mémoire[8]. La publication de mémoires se prête mieux encore aux règlements de compte avec l'histoire et ... la critique historique. Une plume inspirée peut, pour sa propre cause, y infléchir un témoignage authentique et, forçant le ressentiment du témoin, le monter en réquisitoire accusateur[9]. En Belgique, où on écrit peu, cette manipulation est exceptionnelle. C'est aussi la seule occasion qui ait donné lieu à l'ébauche d'un débat public sur la résistance juive et, en l'occurrence, communiste[10]. La Belgique a ainsi connu, six ans après la France , ce qu'il faut bien appeler une ‘affaire Manouchian’.

Cette ’affaire’ qui fait les titres de la presse française en 1985 se répète en 1991 dans une version belge, sur un mode mineur et caricatural. Dans les deux ‘affaires’, la même accusation impute au Parti communiste du temps de l’occupation la responsabilité d’une razzia policière sur ses combattants armés, entre autres juifs. En France, ils constituaient dans la capitale l’organisation des Francs-Tireurs Partisans de la Main d’Oeuvre Immigrée (les F.T.P - M.O.I). La structure est analogue dans la capitale belge. Plus juive dans sa composition à Bruxelles qu’elle ne l'est à Paris, la section de la M.O .I. du parti belge forme, au printemps 1942, un Corps mobile de Partisans, presque tous juifs. Parallèlement, opère encore un Corps de Bruxelles alors également en formation. Les deux groupes supportent l’essentiel des actions armées de résistance dans cette place stratégique. Ils en payent aussi le tribut à la répression policière.

Dans le cas belge, en 1943, c'est autour de la formation M.O.I. - mieux implantée dans sa base juive - que se regroupent les forces partisanes décimées. Les rescapés du Corps mobile recomposent, après l’été 1943, le cadre d’un nouveau Corps de Bruxelles. A Paris, le regroupement se réalise à l’intérieur des détachements F.T.P.-M.O.I. peu avant le coup fatal que la police française assène à la formation armée du parti communiste, en novembre 1943. A Bruxelles, c'est en avril 1944 que la police SS atteint cet objectif essentiel.

Ce parallélisme dans l'histoire se poursuit dans la mémoire. A travers ses métamorphoses, il produit le même type de dérive au point qu'à propos du cas belge, on peut parler d'un véritable syndrome Manouchian.

12.2 Le syndrome Manouchian

En France, l'“affaire Manouchian” éclate, en 1885, avec la projection d'un documentaire de télévision “des ‘terroristes’ à la retraite. De bonne foi, ces anciens résistants armés accusent le Parti communiste d'avoir livré à la police son organisation parisienne des F.T.P.-M.O.I. Ce procès de la mémoire tombe à pic dans les années quatre-vingts. Il dépouille un P.C.F. marginalisé de ses lauriers du temps de la résistance. Le titre de “parti des fusillés” dont il tire toujours gloire date précisément de l'exécution de Missik Manouchian et de ses 22 camarades[11]. Il l’oppose alors aux services de propagande du gouvernement de Vichy. Jouant sur la xénophobie, l’antisémitisme et l'anticommunisme, l’“affiche rouge” officielle dénonce sur les murs de France “l'armée du crime” avec les photos de Manouchian et de ses camarades.

L'Arménien Missik Manouchian qui, dans la mémoire de la guerre, donne, avec sa vie, son nom au groupe est le responsable militaire régional des F.T.P. - M.O.I à Paris. Son “groupe” tombe dans un vaste coup de filet où la Brigade spéciale n°2 des Renseignements généraux français s’empare de 68 militants et militantes, les trois quarts étrangers, la moitié juifs[12]. Pendant des mois, les inspecteurs de la police française les ont filés et, de filature en filature, ont recomposé l'organigramme de la formation clandestine.

L'ouvrage de S. Courtois, D. Peschanski et A. Rayski, Le sang de l'étranger, les immigrés de la M.O .I. dans la Résistance reconstitue, en 1989, cette traque policière grâce au dépouillement des sources d'époque. Quatre ans après l'affaire Manouchian, l’enquête historique ne la découvre nullement dans les archives de l'histoire. Le temps de l'“affaire” n'est pas celui de la guerre, mais bien celui des mémoires. Le passé y a été “plus que jamais pensé à travers le prisme du présent[13]. Cette dérive des “terroristes à la retraite” fait le syndrome Manouchian, car quoique français, il s'applique bien mieux à la Belgique.

Ici, c'est la sortie d'un recueil de témoignages de Partisans armés juifs[14] qui est l'occasion, pour l'un d'entre eux, d’un règlement de compte avec son parti du temps de la résistance. Les autres témoignages publiés servent de faire valoir à ce réquisitoire qui occupe le tiers du livre. De cette mémoire égarée de la résistance juive s'empare aussitôt le Belgisch Israelitisch Weekblad. L'hebdomadaire juif d'Anvers titre, le 7 juin 1991, en grasses et sur quatre colonnes : “des partisans juifs ont-ils été trahis par certains dirigeants du Front de l'Indépendance et du Parti communiste ?”[15]. Le titre accrocheur en forme de question insinue “qu'un certain nombre de chefs du Front de l'Indépendance et du Parti commu­niste ont la mort de résistants juifs sur la conscience”. En outre, cette "trahison" du parti communiste se solderait, selon le journal, par l'“arrestation de 90 partisans - principalement juifs- , au début de 1944".

La cascade d'arrestations à l'origine de cette affaire Manouchian à la belge n'a pas l'ampleur que la mémoire persiste à lui donner. A la diffé­rence de l'affaire Manouchian française, la recherche historique a établi les faits avant la publication de ces témoignages. Le lecteur avisé savait que du 29 mars au 5 avril 1944, ce sont 28 partisans - et non 90 - que les policiers SS ont capturés et que la moitié - exactement 14 - sont juifs [16]. On savait aussi que cette chute du Corps de Bruxelles débute avec une ar­restation inopinée d'un partisan qui, exploitée, permet, en remontant la chaîne des rendez-vous quotidiens, d'opérer cette razzia sur les partisans de la capitale belge.

On savait enfin - et ceci explique les ressentiments de la mémoire partisane - que ces arrestations surviennent après des sanctions disciplinaires. Au printemps 1944, le Commandant national des partisans vient, en concertation avec le responsable national des cadres du parti communiste, de déplacer en province une partie des partisans bruxellois, dont plu­sieurs commandants juifs. Du point de vue du commandement, cette dispersion sanctionne un relâche­ment de la discipline et de l'observance des règles de sécurité. Le commandant juif du premier bataillon a refusé d'infliger un blâme à ses commandants de compa­gnie tous juifs également. Ils avaient passé le réveillon de la St Sylvestre avec plusieurs partisans, la plupart juifs, dans un restaurant de marché noir, rue des Six Jeunes-Hommes à Bruxelles. Aux dires d'un des convives, précisément l'auteur principal des 38 témoignages publiés en 1991 -, leur dispersion n’aurait pas été une sanction, mais la preuve de son plan imaginaire de liquidation des partisans juifs. “On nous a dispersés pour mieux nous liquider”, laisse-t-il écrire[17].

Le propre vécu du témoin ne l’habilite pas à porter un tel témoignage accusateur. Son arrestation n’est précisément pas le résultat d’un complot interne contre les partisans juifs. Si les policiers allemands le prennent dans le Brabant wallon où le commandant national des partisans a ordonné son déplacement, c'est parce qu'ils découvrent sa cachette en arrêtant l’un des “Bruxellois” déplacés qui n'a pas rompu le contact avec la capitale. Le défaut de cloisonnement entre les clandestins, ce “relâchement des mesures de sécurité” si ravageur en France, explique aussi l'extension de la razzia au-delà du Corps de Bruxelles[18].

Les suites de cette cascade d’arrestations invalident tout autant les allégations de l’ancien partisan. Outre qu'il n'est pas compétent pour en témoigner - étant alors arrêté - , ce qu’il en dit dans ses mémoires n’est même pas un témoignage au second degré, un ouï dire recueilli après son retour du camp de concentration et qu'il révélerait seulement après 46 ans de silence. A l'époque des faits, ses camarades échappés au coup de filet n'y lisent aucunement le résultat d'un “plan” perfide du parti communiste[19]. Une pièce des archives de la clandestinité révèle que ces partisans restés en liberté pensent à la présence d’un “mouchard” infiltré au National. Ils se trom­pent, en l'occurrence. La vague d'arrestations ne remonte pas jusqu'au “centre” où aurait opéré le “mouchard” imaginaire[20]. Le commandant national et des membres de son entourage - cibles de choix - ne tombent pas dans la foulée de la razzia du printemps 1944, mais au début de juillet dans une autre casse.

Toujours est-il qu'abusés par les soupçons de cette clandestinité traquée, les “Bruxellois” refusent désormais les contacts avec le commandant national. De fait, ils entrent alors en dissidence. Elle s'institue après l'ouverture du deuxième front à l'Ouest. Préparant le soulèvement national, le commandement national entreprend de reconstituer dans la capitale une formation armée à ses ordres et, dans la tension entre les partisans des deux obédiences, se décide à prononcer l'exclusion des chefs de la ”dissidence”, avec l’accord du Parti communiste. Les avis publiés dans la presse clandestine intiment aux partisans, restés longtemps dans l'ignorance de la rupture des chefs, l'ordre de rompre avec ces derniers en cherchant le contact avec le “centre”.

Des trois chefs, deux sont juifs. Le commandant national qui les exclue l'est également. Son communiqué qui les dénonce dans Le Partisan les désigne nommément, non sous leur identité légale, mais sous leur pseudonyme de guerre. Cette trace est la dernière que laisse l'un d'entre eux dans l'histoire, le chef non-juif de la dissidence. Il disparaît. Disparaît également un partisan déplacé avec lui en province avant la razzia sur le Corps de Bruxelles et avec qui il a rejoint la dissidence à Bruxelles. C'est le frère d'un de ses chefs juifs. Cette double disparition reste une énigme. Elle coïncide certes avec la rupture. Mais aucune source documentaire d'époque n'autorise à l'imputer à un quelconque “ordre de certains responsables[21]. Même les sources immédiatement postérieures à la guerre ne laissent pas supposer une telle hypothèse. Le frère du disparu ne porte pas cette grave accusation devant la commission d'enquête qu'institue en 1946, l 'Armée belge des Partisans pour entendre les chefs survivants de la dissidence. Le procès-verbal de la séance qui lui donne la parole et où il se justifie même en termes très vifs ne comporte pas la moindre allusion à un attentat partisan contre les deux disparus[22].

C'est seulement dans les remous de la mémoire des années quatre-vingts que cette disparition argumente un réquisitoire contre le Parti communiste. Le discours s'y pare des vertus du témoignage pour étayer avec ces “exécutions” de partisans ses allégations d'un “plan de liquidation systématique. Dans les fantasmes de cette mémoire, leur mort s'inscrit dans les “mesures prises contre [les partisans bruxellois] par le centre: reproches et sanctions, dispersion en province, accusations graves[23]. De ce “plan” dont la “décision n'était pas du ressort de l'un ou l'autre dirigeant”, le ‘témoin’ ne peut dire “d'où venaient les ordres”. Dans son délire interprétatif et sélectif, il y lit cependant un tel acharnement contre ses camarades qu'il donne à accroire - alors qu'il a lui-même survécu au camp de concentration nazi - que “c'est sans doute [...] leur arrestation qui les a sauvés”!

A la différence de l'affaire Manouchian, cette diabolisation du parti communiste belge ne s'accorde à aucun enjeu de la société belge des années quatre-vingts. L'état du parti belge ne justifie pas que se développe un débat sur son histoire dans la résistance. Ce parti n'a même plus alors de représentation parlementaire. Les accusations de l'ancien partisan tourneraient à vide sans le relais complaisant du Belgische Israelitische Weekblad. La presse belge, pour autant qu'elle évoque l'affaire des “partisans armés juifs trahis[24], ne suit pourtant pas le journal juif d'Anvers dans son questionnement inquisitorial sur le parti communiste. Après enquête et “en conclusion provisoire”, un grand quotidien avertit que “l'antisémitisme est bien assez actif pour que son virus soit cherché là où il n'est pas”.

L'enjeu, s'il ne concerne pas le parti communiste dans la société belge, intéresse la mémoire juive. Certes l'accusation est trop grossière pour qu'elle l'avalise. Mais ce complot contre les partisans juifs qui excite la complaisante curiosité d'un journal juif a l'avantage d'offrir, à un demi-siècle de distance, une image acceptable de ces Juifs de la résistance mobilisés dans une formation armée dépendant du Parti Communiste[25]. Ravi de l'aubaine, le Belgische Israelitische Weekblad s'empresse de les présenter comme de “pauvres travailleurs” dont, insiste-t-on, une “petite partie [...] étaient membres du Parti communiste”. Ils y auraient adhéré “peut-être par conviction, mais parce qu'ils s'imaginaient que cela les aiderait à se sortir de leur misère”. Communistes malgré eux, ces Juifs de la résistance armée se seraient fourvoyés dans une organisation où ils n'étaient vraiment pas à leur place et où on ne s'est pas privé de le leur montrer.

Le ‘témoignage’ induit en filigrane une telle lecture. Réquisitoire, il a sa logique. Il lui faut justifier la présence paradoxale de partisans juifs dans une structure qui complote leur “liquidation systématique”. Le biais est d'opposer leurs “motivations” à “l’indifférence” de leurs chefs. Ces dirigeants machiavéliques, affirme le témoin du ressentiment, n'éprouvaient pas la moindre “compréhension, même superficielle de [leurs] motivations“, mais ils “tenaient les fils de [leur] existence[26]. Ce schéma est ici construit sur un mode diabolique.

En France, le débat historiographique sur la résistance juive oppose également les “motivations” des résistants juifs à “l’indifférence”, non plus des chefs, mais du parti communiste en tant que tel. La dualité juive et communiste s'y traite obligatoirement en terme d'incompatibilité et exclue, en conséquence, toute dimension communiste de cette résistance. Dans cette lecture, les anciens résistants juifs et communistes, orphelins de leur histoire, restent sur le carreau de la mémoire. L'affaire Manouchian, focalisée sur la ‘trahison’ du parti communiste français, a évacué cet autre enjeu. Le téléfilm qui la fait éclater est cependant, symptomatique. Ce sont les "terroristes" à la retraite qui prennent la parole. Pour la plupart juifs, ils témoignent non seulement de leurs exploits, mais aussi de leur condition de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils posent ainsi cette question d'histoire que S. Courtois, D. Peschanski et A. Rayski prennent en compte dans Le sang de l'étranger, à savoir “l'impact du génocide du peuple juif sur l'action des militants MOI”.

Dans le débat des historiens sur la résistance juive, Denis Peschanski, il est vrai, préfère se tourner vers les “acteurs plutôt que de se perdre dans des définitions inopérantes[27]. Mais d'autres historiens, attachés à leur concept de résistance juive, en excluent justement ces militants juifs de la mouvance communiste engagés dans la lutte armée.

Ainsi, en 1987, peu après l'affaire Manouchian, La Résistance juive en France de Lucien Lazare admet certes que les F.T.P. - M.O.I. étaient sans doute “organisés en tant que groupe de combat juif voulant lutter pour la survie de leur peuple”, mais, ils “furent utilisés et donnèrent leur vie pour des objectifs ‘neutres’, choisis par un commandement indifférent à la guerre contre la déportation des Juifs[28]. Les Juifs pendant l’occupation d’André Kaspi juge, en 1991, que cette “résistance armée ne sert pas immédiatement les intérêts de la population juive[29]. Dans cette lecture, les “communistes juifs ont [certes] été des résistants efficaces, déterminés et souvent héroïques“. Même, “ils sont restés conscients pour la plupart de leur appartenance au peuple juif”, mais, selon Kaspi, “ils n’ont pas mené une résistance juive”.

12.3 Les exclus de la résistance juive

A suivre Kaspi qui fait le point sur l'essor des recherches historiques en France dans les années quatre-vingts, le rapport des communistes juifs à la résistance juive ne serait pas une question d'histoire. Il ne s'établirait qu'en raison des métamorphoses de la mémoire et de son besoin de se recomposer une histoire acceptable. Dans son ambition de “donner un sens à la mémoire collective”[30] de son temps, l'historien refuse “patauger dans l’équivoque” avec celle des anciens communistes juifs[31]. En ce qui les concerne, Kaspi tient à “repousser l’ambiguïté de l’oecuménisme”. Eux, dit l'historien, se sont “trompés” d'histoire.

Le disant, Kaspi n'envisage plus le temps de la Seconde Guerre mondiale, mais la longue durée. “La cause pour laquelle ils ont admirablement combattu n'a pas fait surgir ‘des lendemains qui chantent’”, explique-t-il. “Elle a provoqué, on le sait maintenant, des millions de victimes et des millions de déçus. Au lieu de sauver le peuple juif, elle a nié ses caractères spécifiques et engendré d’autres formes, plus ou moins susceptibles de discrimination. Du coup, bon nombre de communistes ont reconstruit le passé”. D’autres, “en rupture de ban avec leurs anciens camarades” se sont retrouvés “aigris, abasourdis par les changements qu’ils n’ont pas toujours compris, contraints au silence ou au plaidoyer, embarrassés par leur retour tardif à l’enracinement juif et désireux de faire croire que cet enracinement a toujours été prioritaire”.

Les Juifs pendant l’occupation ne considère donc pas que les Juifs et communistes aient leur place “au sein des organisations juives”. Certes, et c'est là le paradoxe des schémas théoriques de la résistance juive, l'historien, traitant de cette période, ne peut les ignorer. En matière d'histoire, les définitions, quelles qu'elles soient, se doivent d'être “opératoires”, comme le dit Denis Peschansky[32]. En terme d'histoire, le passage obligé est de prendre en compte les hommes et les femmes qui l'ont faite, comme ils l'ont faite, avec leurs choix d'alors. En un mot, s'il s'agit de trouver la résistance, il ne faut pas chercher “midi à 14 heures”, pour reprendre un mot d’Annie Kriegel[33]. “La résistance juive, remarque l'historienne - et ici, à bon droit -, “c’est d’abord la Résistance des Juifs”. Cela étant, il importe de bien différencier ces Juifs qui résistent des autres. La recherche historique ne saurait, comme les gardiens de la mémoire y inclinent trop souvent, “masquer et écraser nuances, différences et divergences entre les acteurs juifs” de la période nazie[34].

Face à la persécution, les organisations juives à Paris de 1940 à 1944 s’étudient bel et bien en termes d’histoire politique et sociale. Cette thèse de doctorat de Jacques Adler s'attache, en 1985, à toutes les organisations, y compris la M.O .I. communiste et l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide qui recompose le paysage communiste au printemps 1943. Comme les Juifs communistes, les autres tendances juives poursuivent, chacune, leur propre stratégie. En France - à la différence de la Belgique - le Comité Général de Défense Juive qui rassemble les tendances du judaïsme, y compris les Juifs communistes, se constitue tardivement, à la fin de juillet 1943. Mais, pas plus qu'en Belgique, cette défense juive ne s’accorde sur une seule et même stratégie juive. L'historien de 1985 doit bien constater que jusqu'aux derniers jours de l'occupation, pas moins de “trois politiques se trouvèrent en présence et, inévitablement, en conflit[35].

Celle des communistes contraste avec la stratégie du judaïsme officiel incarné dans le Consistoire central israélite de France et fondé sur un légalisme dont il ne parvint jamais à se départir complètement. Dès 1941, cette stratégie de la légalité l'implique dans l'Union Générale des Israélites de France, l'U.G.I.F., clef de voûte de la politique antijuive de l'“État français” comme des autorités allemandes. Quant aux organisations d'immigrés non communistes, elles maintiennent, quoiqu'incorporées dans l'U.G.I.F., un “double lien avec la façade officielle et avec le travail clandestin caractérisant pratiquement toutes les organisations juives”, comme le constate en 1994 l 'historienne Renée Poznanski[36]. La différence des communistes dans cet Etre juif en France pendant la Seconde Guerre mondiale, c'est justement ce “choix de la rupture” avec la légalité. “L'exception des organisations communistes juives” est d'être “toutes entières confinées à la clandestinité”. Pour elles, il n'y a “pas de compromis possible avec l'U.G.I.F dénoncée comme une organisation bourgeoise, une entreprise de collaboration”.

Dans Les Juifs pendant l’occupation, Kaspi résout le problème de cette différence, en inscrivant dans “le temps des autres” ces Juifs et communistes qu'ils écartent des “organisations juives”. La formule vient des mémoires d' Adam Rayski . Dans Nos illusions perdues, il s'explique sur ce “temps des autres [qui] n'était pas exactement le nôtre. Sur l'horloge de l'histoire, les aiguilles avançaient plus vite pour les Juifs que pour les autres populations de l'Europe occupée [...]...Cela tenait au décalage qui ne cessait de se creuser entre le rythme relativement lent des opérations militaires [...] et la vitesse diabolique avec laquelle progressait cette ‘guerre dans la guerre’ déclenchée par le national-socialisme contre les Juifs[37]. A l'époque, Rayski était responsable des Juifs communistes de la M.O .I. Ses “illusions perdues” ne le déterminent toutefois pas à revendiquer comme souvent une place dans la résistance juive au nom d'une mémoire orpheline de son identité. Forçant le trait peut-être pour faire bonne mesure, lui affirme que “les ex-communistes, quelle que soit leur désillusion, ne regrettent pas d’avoir été communistes en ce temps-là”.

L’ancien militant politique s’est reconverti, avec une passion égale, à celle de l’histoire. Ses recherches aboutissent en 1992 à un maître-ouvrage: Le Choix des Juifs sous Vichy, entre soumission et résistance. L'auteur, comme l'écrit son préfacier, François Bédarida - le directeur de l’Institut d’Histoire du Temps Présent - appartient “à cette catégorie rare et précieuse des témoins devenus historiens [...] se conformant scrupuleusement aux règles et aux canons de la méthode historique[38].

Avec ce double regard, Rayski insère le choix des organisations juives communistes dans le contexte global et pluriel du Choix des Juifs. Celui des communistes ne les relègue nullement dans “le temps des autres”. Ils étaient juifs et, comme le remarque l’historien du parti communiste français dans la guerre, “on le leur a bien fait comprendre[39].Dans son intervention au colloque sur la résistance juive, Stéphane Courtois objecte cette “donnée de base” irréductible à toute lecture qui en exclurait les communistes juifs. C'est avec ce jeune historien que Rayski publie, dès 1987, le Qui savait quoi? sur l'extermination des Juifs[40] dont justement les principales sources documentaires proviennent des publications clandestines de la M.O .I. du parti communiste. Ces Juifs communistes par qui se diffusait l'information sur le génocide en cours étaient, comme le souligne ailleurs Rayski, “plongés [...] dans la tragédie, menacés eux comme leur famille [...], haïssant les bourreaux, aspirant à la vengeance, luttant à l’intérieur de la collectivité“ juive[41]. La “passion politique d’aujourd’hui [...] ne devrait pas faire méconnaître ces réalités historiques”, ajoute Rayski.

Historien formé sur le tas, l'ancien responsable communiste juif démonte ainsi “le véritable procès qui a été intenté, rétroactivement aux organisations juives de la M.O .I, lesquelles ne se seraient guère souciées d’objectifs juifs’[42]. Cette “exclusion de la Résistance juive de la plus forte de ses composantes [...] n’est pas, conclue Le Choix des Juifs sous Vichy, à la mesure de l’enjeu réel de l’histoire où se décidaient la vie et la mort des Juifs de France comme d’ailleurs de toute l’Europe”.

Composée par un témoin particulièrement avisé, cette histoire où la résistance est l'un des choix des Juifs n'a pas le défaut des écrits du début des années septante. Au regard critique de l'historien, cette littérature livrait “une description latérale, tronquée, sans démarche historique[43]. Ses auteurs sont le plus souvent certes comme Rayski d’anciens résistants, mais leur préoccupation est autre. Elle tient plus du témoignage que de l'histoire et plus encore de l'hommage. Leur enquête recompose un environnement qui signifie leur vécu personnel et surtout celui de leurs camarades, de ceux qui ont disparu dans la tourmente et dont il importe de garder la mémoire. Telle quelle, cette historiographie est la réplique des anciens résistants au “complexe du mouton[44]. Il s'agit, pour ces auteurs comme le dit l'un d'eux, d'opposer “à l’image du peuple martyr qui pendant des siècles s’est laissé massacrer sans se défendre [...une] autre image : celle du Juif résistant[45].

Jusqu'à la fin des années soixante, l’imaginaire collectif se fixe sur la figure pitoyable d’une victime passive et soumise face au bourreau nazi. Cette représentation ne laisse guère d’espace à la résistance juive. Ses “épisodes [...] n’offrent que l’aspect d’exception qui confirment la règle”, estime même Le bréviaire de la haine de Léon Poliakov en 1951[46]. L'ouvrage, longtemps référence obligée en langue française, s'interroge plutôt sur la passivité des Juifs qui se sont laissé “mener à l’abattoir sans s’unir pour une défense acharnée, sans choisir, [leur] sort étant scellé, ‘perdu pour perdu’, de mourir en combattant”. Cette “question irritante certes pour la sensibilité juive” trouve une réponse, dix ans plus tard, au  procès d’Eichmann à Jérusalem. En ce début des années soixante, la mémoire collective se focalise sur un diptyque d’Auschwitz à Israël. Le défilé des témoins juifs devant le tribunal israélien s'organise comme une leçon d’histoire. Hanna Arendt en fait la remarque avec impertinence dans son compte rendu. Leur interrogatoire tend à montrer que les Juifs de la Diasporaavaient dégénéré au point d’aller à la rencontre de la mort comme des moutons à l’abattoir et que seule la création d’Israël avait permis aux Juifs de rendre coup sur coup[47].

Dès 1970, La révolte des justes revendique cependant sa place. Ces Justes ne sont alors pas ceux auxquels Lucien Lazare consacre, en 1993, un Livre pour faire l'“histoire du sauvetage des juifs par des non juifs en France[48]. Dans le sursaut de la mémoire des années septante, les ‘justes’ sont ... les Juifs contre Hitler. Dressant un panorama européen, l’historien français Lucien Steinberg montre qu'ils lui “ont fait front”, qu'“ils l’ont combattu” et qu'“ils se sont battus de manière diverse et pour des raisons diverses[49]. Également en 1970, La résistance juive en France d’Anny Latour s'inspire plutôt de “l’enseignement de la bible, de la morale et de la spiritualité juive[50]. En 1971, Les Juifs dans la Résistance française de David Diamant prennent place dans un tout autre schéma. Ils font corps avec “la résistance de la nation française au sein de laquelle combattirent toutes les familles spirituelles et politiques. Mais dans leur comportement, dans leur tactique, [ils] furent obligés de se différencier, la différence étant imposée par l'ennemi[51]. Quels qu'aient été la “formation ou [le] réseau [auxquels ils s'intègrent] selon leurs convictions ou simplement les circonstances”, ils ont eu “des raisons particulières pour lutter contre un ennemi impitoyable[52]. Cela étant, l’ouvrage s’attache surtout au phénomène que décrit à son tour en 1973 La résistance organisée des Juifs en France. Jacques Ravinne, autre responsable de la M.O .I. du Parti communiste, y fait “connaître le mouvement de résistance organisé par des Juifs immigrés comme acte conscient de la population juive persécutée“[53].

C'est cette revendication d’une résistance tout à la fois juive et communiste qui déclenche, dès 1973, la virulente polémique dont le débat historien des années quatre-vingts-nonante prend le relais. A cette résistance qui revendique son titre juif, on reproche aussitôt de n'être “pas née d’une prise de conscience de la détresse et de la solitude juive[54]! Désormais, le débat change d'objet. “Il ne s’agit plus de faire référence aux adhérents, aux membres et aux personnes, mais aux motivations, et plus encore aux objectifs qui sont ceux des résistants juifs”, expliquera André Kaspi quand les historiens s'appliqueront à définir le critère de résistance juive[55].

12.4 Le critère du salut des Juifs

Cette “Résistance juive” se définirait, selon la formule d’Annie Kriegel en 1984, comme une “Résistance qui a, dans ses motivations et dans la finition de ses cibles prioritaires, tenu pour le critère majeur et urgent le salut des Juifs[56]. La définition lui assigne, chez Asher Cohen, “le rôle [...] d’assurer que, dans l'Europe libérée, il y aura encore des Juifs vivants[57]. A son estime, “un mouvement de Résistance juive doit donc avoir un objectif clair et précis: empêcher, ou au moins tenter de réduire les effets de la politique d'extermination di­rigée contre la population juive”. Ce schéma théorique articule aussi La Résistance juive en France de Lucien Lazare.

A suivre ce dernier, “les chefs des organisations juives parvin­rent à mettre en place des dispositifs de sauvetage” parce qu’ils étaient “bien informés’” et que ‘plusieurs des leurs interpréta[ient] lucidement la signification réelle des mesures appliquées contre les Juifs étrangers”, et ce dès 1942[58]. Dans Les Juifs pendant l’occupation d’André Kaspi, ces organisations juives - dont ne font pas partie, selon cet historien, celles des communistes juifs - sont “naturellement investies” d'une “lourde responsabilité”. Elles “ont, chacune, suivant ses possibilités et ses inclinations, mené une résistance aux multiples facettes, et il est inutile”, de l'avis de l'historien, “de privilégier exagérément la lutte armée ou de disséquer à l'infini les objectifs que les unes et les autres ont poursuivis[59].

Kaspi n’opte pourtant pas pour “le flou des clivages[60]. A la différence de La Résistance juive en France de Lucien Lazare, Les Juifs pendant l’occupation l'aperçoit “multiforme, à l’image des divisions de la communauté et de ses engagements politiques[61]. Mais cette résistance n’est pas pour autant plurielle: elle reste “juive” au singulier, même dans sa diversité. “Ce qui demeure [...]", estime Kaspi, “c’est le refus d’accepter la persécution, la nécessité d’une vie clandestine dont les modalités n’ont cessé de se diversifier, l’aide indispensable d’une partie de la population dont les Juifs ont bénéficié[62].

Le point est effectivement capital. Quelle que soit la définition de la résistance juive, le passage obligé est ce comportement de refus qui s’organise au sein de la population juive, soit à travers ses structures associatives habituelles ou dans des formes plus appropriées à l’action illégale et clandestine. Le refus de l'ordre légal et son organisation dans l’illégalité sont au principe même de toute résistance. Il y a là, inscrit dans l'événement qu'il a constitué, un critère ob­jectif d'interprétation et d'analyse des compor­te­ments. Il fournit une grille de lecture qui restitue les actes et les attitudes en évitant le piège d'une reconstruction té­léo­logique et anachronique en fonction d'un “salut des Juifs” advenu.

Car le critère qu'on veut rendre déterminant pose, en fait, l'histoire accomplie, les questions du présent, et non celles du passé. C'est évidemment, comme il l'écrit, en “sachant ce que l'on sait aujourd'hui” qu'André Kaspi s'attache à établir si “les Juifs d'il y a cinquante ans ont [...] été suffisamment perspicaces sur leur avenir[63]. Un tel questionnement sur Les Juifs pendant l'occupation. tend certes à “donner un sens à la mémoire collective”, mais un sens métahistorique. Il n'est pas opératoire pour traiter les questions que se posaient les Juifs d'alors.

Une lecture des comportements d’époque à travers la grille du “salut” dont on veut faire le paramètre de la résistance juive est “plus facile à dire qu’à faire”, comme l'admet Annie Kriegel[64]. Elle conduit, et Asher Cohen le remarque à bon droit, au paradoxe de devoir considérer “dans cette optique”, que “ la Résistance juive n'est pas forcément l'exclusivité des Juifs[65]. Le plus paradoxal est évidemment pour l'historien des Persécutions et sauvetages [...] sous l'occupation et Vichy, de devoir prendre acte que “ce ne fut pas l'information qui créa une première prise de conscience de la réalité de la Shoah , mais la rafle du Vel d'Hiver, le caractère brutal et le manque de toute discrimination logique dans les déportations[66].

Au demeurant, cette '“information” qui justifierait rétrospectivement la lecture de la résistance juive en fonction du “salut” ne lève jamais, pendant l'événement, toute l'’“incertitude” et l'’“ambiguïté” qui accompagnent, surtout à l'Ouest, le déroulement de la “solution finale”. Au surplus, l'information n'a pas pour vertu de “déclencher une action efficace[67]. Même initiés au sens réel de l’histoire en cours, les Juifs de l'époque n'y ont pas pour autant découvert les voies de ce “salut”. Le critère suppose que la conscience historique aurait la faculté intrinsèque sinon d'annuler, du moins de surdéterminer les dispositions idéologiques et politiques des uns et des autres et, en conséquence, de dicter au-delà de ces différences plurielles, les attitudes singulières les plus appropriées. Il n'en est rien! L'information passe toujours par un filtre. Quel que soit le groupe - au sens sociologique et politique du terme -, il use de ce qu'il peut savoir du génocide en cours en fonction de sa propre stratégie de défense. Aussi, d'un groupe à l'autre, la même information articulera des politiques différentes, voire contradictoires.

Ainsi, en est-il de la diffusion à l'Ouest des toutes premières informations sur l'extension du génocide - entamé dans les territoires soviétiques occupés - aux Juifs du Gouvernement général de Pologne au printemps 1942. Elles proviennent du ghetto de Varsovie où le groupe de résistance Oneg Shabbat s'employait à les recueillir. Entendant que la B.B .C. les reprend, le 2 juin 1942, l 'historien Emmanuel Ringelblum qui anime le groupe, considère, dans son journal personnel, que celui-ci “a rempli une grande mission historique. Il a prévenu le monde de notre sort et peut-être sauvé de l'extermination des centaines de milliers de Juifs polonais[68]. Bien qu'enfermé dans le ghetto, il ignore “qui de [son] groupe survivra” - on sait qu'Emmanuel Ringelblum n'a pas survécu -, le résistant juif se persuade qu'avec cette quête de l'information, Oneg Sabbat a “durement frappé l'ennemi”. “La chose est claire pour” lui.

Pourtant, “Ringelbum avait tort, observe l'historien Michaël Marrus, cinquante-deux ans après. Son holocauste dans l'histoire - remarquable synthèse des problématiques de la question juive pendant la Seconde Guerre mondiale -, constate justement qu'en dépit des “appels désespérés [...], les Juifs polonais ne furent pas sauvés. Le gouvernement de Londres ne se laissa pas impressionner. Il n'y eut pas de représailles massives. Les Allemands ne subirent aucun dommage.

L'exemple signale combien, s'agissant de la résistance juive, “l'élément clef [...] est de comprendre comment les résistants envisageaient leur action - ce qui demande parfois une imagination considérable”. Il faut, en effet, se replacer dans le mode de penser de l'époque, s'impliquer par empathie dans les options des acteurs pour saisir l'usage qu'ils font de l'information. En ce sens, au contraire de l'interprétation trop instrumentale de l'historien Adam Rayski , il n'y avait pas, en particulier, chez les communistes juifs de l'époque une “stratégie de l'information”. Il faut y lire plutôt, comme le préconise fort à propos l'historienne Renée Poznanski, une “tactique[69] qui donc utilise l'information dans une stratégie qu'elle n'a pas déterminée. Le Qui savait quoi? sur l'extermination des Juifs de S. Courtois et A. Rayski n'indique pas que la presse de la M.O .I. ait, pour sa part, retenu les informations du gouvernement polonais de Londres, à la B.B .C., le 2 juin 1942[70]. Elles sont répétées en français à Ici Londres, le 1er juillet. En Belgique, le Front de l'Indépendance les juge “bouleversantes[71].

En France, le Consistoire central israélite se réfère, le 24 août, à ces “informations précises et concordantes[72] que plusieurs centaines de milliers d'Israélites ont été massacrés en Europe orientale[73]. Le Front de l'Indépendance belge, plus précis, force même les chiffres annoncés de ces “exécutions des Juifs de Pologne où 7 à 800.000 personnes ont été froidement assassinées”. L'institution israélite en France y lit, quant à elle, la confirmation du “programme d'extermination” qu'annonce publiquement le Chancelier du Reich. De son côté, le mouvement de résistance belge - alors la principale organisation clandestine du pays - avertit, au moment où “ la Gestapo s'apprête à déporter l'ensemble de la population juive de Belgique”, que “des dizaines de millions [sic] d'êtres humains sont exposés à une mort effrayante”.

Du Consistoire israélite de France au Front de l'Indépendance en Belgique, la même révélation londonienne contribue à une prise de conscience de l'événement en cours, mais justement elle n'argumente pas des comportements politiques analogues. Les stratégies poursuivies de part et d'autre sont tout à fait différentes. Le 25 août 1942, alors que 22.000 Juifs viennent d'être déportés de France “dans l'intention bien arrêtée de les exterminer impitoyablement et méthodiquement”, le Consistoire qui ”ne peut”, dit-il, “avoir aucun doute sur le sort final qui [les] attend”, s'adresse au gouvernement français dont la police les livre aux SS allemands. Certes, il proteste “de toute son énergie”, mais pour “demande[r] au moins, pour le cas où il ne serait pas possible d'obtenir la révocation de l'ensemble de ces mesures, de maintenir la totalité des exceptions qui avaient été appliquées aux premiers convois [...][74]”. Et, il prie le vice-président du conseil “de décider que les parents d'enfants âgés de moins de 3 ans ne soient pas déportés, ainsi que toutes les femmes enceintes”. Adressant cette protestation et ces suppliques, l'institution légale du judaïsme français leur donne certes une certaine publicité: le texte israélite est diffusé à ... une cinquante d'exemplaires à des personnalités, juives et non-juives[75]. Le Consistoire - rompant pour la première fois avec sa discrétion coutumière - ne sort néanmoins pas de son rôle légal. Institution religieuse que l'Etat français, tout antisémite qu'il soit, se garde d'interdire, il persiste sur le terrain de cette légalité française et cherche à y aménager, en guise de défense juive face aux déportations, une politique de moindre mal qui consisterait à sauver ce qui pourrait l'être[76].

Tout autre est la portée du texte belge. Le Bulletin intérieur du Front de l'Indépendance le publie[77]. Certes, lui aussi se diffuse en un nombre limité d'exemplaires. Il s'agit effectivement d'un organe interne réservé aux cadres du mouvement de résistance. Mais justement il leur communique, sous le titre “La question juive”, un plan de "mesures pratiques d'aide à la population juive" à mettre en oeuvre pour l'aider à se cacher. Le catalogue, très détaillé, comporte un volet politique. On y invite les militants à “faire connaître partout les crimes commis contre les Juifs” afin de “provoquer [l'] indignation [du peuple]” que “l'occupant craint”. Le Bulletin leur propose de reproduire et d'adapter aux conditions locales un projet de tract “Aux armes, la gestapo” qui s'articule autour des “déclarations bouleversantes [du chef du gouvernement polonais Sikorski] sur les exécutions des Juifs en Pologne”.

Référant le sauvetage des Juifs à cette menace de “mort effrayante” à laquelle ils “sont exposés”, ce programme d'action émane d'une “section de défense des Juifs”. Comme le rappelle son comité à la fin de 1943, c'est à l'initiative du “mouvement belge de résistance” auquel il a adhéré qu'il s'est constitué[78]. Quelques Juifs représentant tous les milieux de la population juive de Bruxelles, de l'extrême gauche jusqu'à la bourgeoisie” l'ont fondée, expose ce document tardif, pour “organis[er] la résistance de [cette] population [...] contre les mesures inqualifiables prises à son égard”.

De prime abord, ce Comité de Défense des Juifs, nom qui lui est resté dans l'histoire, serait donc l'illustration par excellence de cette résistance juive dont “le critère majeur et urgent” aurait effectivement été “le salut des Juifs[79]. “Le temps presse”, disait même l'appel à la “solidarité avec les victimes juives de la barbarie hitlérienne” pour “aide[r] les Juifs à se cacher”.

Dans cette urgence, la petite Belgique aurait donc élaboré ce modèle de résistance juive auquel réfléchissent ses historiens dans le cas de la France , pendant les années quatre-vingts.

Un historien français, anticipant sur cette théorisation, fait cette lecture, en 1973. D'anciens résistants juifs, les Amis du Comité de Défense des Juifs (C.D.J.) l'ont invité à écrire leur histoire. Eux ne parviennent pas à s'accorder sur leur historique. Dans ce débat interne, transparaît en filigrane, au-delà de la problématique de la collaboration et la résistance juives qui les divise, la tension entre anciens résistants juifs communistes et non-communistes[80]. Les uns et les autres acceptent de s'en remettre à la compétence de Lucien Steinberg qui vient de publier sa Révolte des Juifs.

Son enquête sur Le comité de défense des Juifs en Belgique 1942- 1944 l 'amène à la conclusion que “le judaïsme du pays avait réussi à sécréter de son sein en quelque sorte, un certain nombre d’hommes et de femmes qui avaient saisi très tôt la nature du défi nazi, les causes de ce défi, mais aussi et surtout les conséquences qu’il risquait d’entraîner [...]. Ils furent amenés à constater, plus ou moins rapidement selon les circonstances qu’une certaine union des forces était indispensable. Sans rien sacrifier de leurs opinions fondamentales spirituelles, morales ou politiques, ils réalisèrent cette union[81].

12.5 Un modèle ‘belge’?

Les témoignages, principale source de cette première investigation de la résistance juive en Belgique, portent à une telle lecture au demeurant conforme aux représentations des années soixante et, dans le cas belge, des années septante. Y compris le témoignage du principal témoin du C.D.J., son initiateur Ghert Jospa, décédé avant l'enquête de l'historien français.

Ce témoignage, recueilli sur l'initiative de la Wiener Librairy , date de la fin des années cinquante, probablement de 1957 comme d'autres témoignages enregistrés pendant cette première campagne d'histoire orale en Belgique. La transcription n'est heureusement pas le seul texte où Jospa s'explique sur son action personnelle pendant l'occupation. Pour autant qu'il le retrouve, l'historien dispose de son rapport sur “la question juive en Belgique”, qui, d'après le contenu, date très probablement de 1945, après son retour du camp de concentration, sinon du début de 1946. Le document est anonyme, mais les passages où l'auteur témoigne à la première personne autorisent à l'attribuer à Jospa. Ce document est essentiel[82] - comme on le verra plus loin - pour décrypter la version purement ‘résistancialiste’ que l'initiateur du C.D.J. donne de la résistance juive dans son témoignage oral, une dizaine d'années plus tard.

A la Wiener Librairy , Jospa expose, en effet, que ”l'envahisseur nazi était pour [lui] un ennemi connu. Sa cruauté, ses méthodes, ses buts n'attendaient que l'occasion de se révéler dans toute leur ampleur. Il ne faisait aucun doute à mes yeux que la population juive, spécialement, courait un danger énorme. Des mesures de sauvegarde me semblaient indispensables. Ainsi”, témoigne Jospa, “s'explique le projet que j'ai eu dès mon retour [d'exode] en Belgique: créer une sorte d'organisme dans le but d'assurer la protection de la population juive”. Et logique avec cette interprétation, Jospa situe la réalisation de son projet fort tôt, après septembre 1941, et donc bien avant la grande vague des déportations juives de l’été 1942.

Le témoignage n'est cependant guère explicite sur cette prescience qui détermine le témoin à assumer le rôle éminent qui est le sien dans la défense juive sous l'occupation nazie. Tout au plus, Jospa se réfère-t-il au “travail mené au sein des organisations antifascistes [qui lui] avait donné, dès avant la guerre, un visage vivant de l'Allemagne hitlérienne”. Mais, l'interviewer ne s'impose de l'interroger sur ce “travail” et ses circonstances. Il ne s'intéresse pas non plus à l'itinéraire qui conduit de cet antisfacisme d'avant-guerre à la résistance juive pendant l'occupation nazie. Il n'interroge pas plus Jospa pourtant connu comme communiste sur ses rapports avec son parti dans son activité au sein du C.D.J. Le communisme est totalement absent de cette mémoire orale des années de la guerre froide. Même le mot n'y figure pas. En revanche, dans cette version de sa résistance, Jospa n'évacue pas la référence politique d'organisations et de personnalités, entre autres sionistes, contactées pour former le comité clandestin. Il évoque aussi une “‘Solidarité Juive’, passée en bloc dans la clandestinité” et qui lui a apporté l'appui de ses militants, mais il n'en dit pas plus. A la lecture du témoignage, l'historien n'apprend rien de ses rapports privilégiés avec cette organisation si impliquée dans la défense des Juifs. Tout autant que celui de Jospa, le témoignage recueilli dans les mêmes circonstances d'un des responsables, Maggy Volman, installe également cette Solidarité juive dans une Résistance non autrement caractérisée.

Ces représentations unanimistes de la résistance juive et communiste, du temps de la guerre froide, ne résistent pas à la confrontation avec les archives ‘clandestines’ de la Fédération bruxelloise du parti communiste. Ces pièces de la clandestinité juive et communiste pendant l'occupation sont particulièrement instructives au regard des identités. Il s'agit, en l'occurrence, de documents personnels rédigés à l'attention du responsable des cadres du parti dans la capitale. Justement une biographie de “Magy” et son “rap[port] d'activité” fournissent - in tempore non suspecto, doit-on dire en regard des variations de la mémoire - la grille de décodage indispensable pour louvoyer dans ses écueils et ses reconstructions adaptées au temps où elle s'exprime. Tels quels, ces documents communistes rétablissent, et dans le détail administratif, cette Solidarité juive - défigurée dans sa version résistancialiste - comme l'organisation dite de “masse” du parti communiste en milieu juif où il mobilise ses membres et ses sympathisants. Comme le dit Jospa, mais dans son rapport sur “la question juive en Belgique”, déjà en 1938-39 - selon lui -, “Solidarité ( organisation de l'assistance)” travaille “sous la direction des communistes”.

Pendant l'occupation, les archives de la Fédération bruxelloise du parti révèlent que ses dirigeants sont des communistes convaincus. Ils ont, comme le déclare Edgard Herman dans sa ‘bio’ peu avant la Libération , “la conviction que [seul] le parti lutte pour le bien-être du prolétariat, des peuples opprimés et de toutes les couches opprimées[83]. Ils ont le sentiment, comme Jeanne, autre militante, que le communisme est un “monde heureux sans exploitation[84]. Ils n'ont pas le moindre doute qu'il en est ainsi, comme le lit un journal clandestin en 1943, “en Union soviétique [où] on méconnaît les distinctions d'ordre social ou national entre les hommes[85].

C'est leur modèle réalisé d'une société où “tous les êtres humains, quelles que soient son origine, sa nationalité ou sa religion, [...] jouissent des mêmes droits” et où ”chaque peuple peut librement développer sa culture nationale”. Communistes et juifs, ils retiennent expressément que “les Juifs y jouissent de tous les droits de citoyens de l'U.R.S.S. et ne connaissent pas les affres de la persécution. C'est pourquoi, insiste ce discours communiste, ils défendent le sol de leur patrie avec le même dévouement que les autres peuples de la grande famille soviétique. C'est pourquoi ils luttent héroïquement dans les premiers rangs de l'armée rouge pour la défense de la culture et la libération de l'Europe de la barbarie hitlérienne”.

Le moment se prête tout à fait ce panégyrique communiste et juif. Il se publie, un mois après “la victoire de Stalingrad” où “l’armée rouge a vengé la Belgique ” défaite trois ans plus tôt[86]. L'enthousiasme est tel qu'on proclame, dans cette guerre dont on ignore qu'elle durera encore deux longues années, que “Stalingrad a été le tombeau du nazisme”. Aussi, appelle-t-on à communier dans l’“honneur et [la] gloire à l’Armée libératrice, à l’Armée rouge”.

De telles “Nouvelles de l'U.R.S.S.” se lisent, en mars 1943, dans le tout premier numéro l'organe de la “section de défense des Juifs du Front de l'Indépendance”, Le Flambeau. Le discours juif et communiste se présente, en l'occurrence, comme un discours de résistance juive, une résistance dont l'expression politique porte l'empreinte de cette extrême gauche juive qui en a été l'assise.

L'“Historique du C.D.J.” qu'“Yvonne” adresse, en juillet 1944, au responsable des cadres de la Fédération bruxelloise du parti est, à cet égard, d'un grand intérêt. '“Yvonne”, l'épouse de Jospa alors interné au camp de Buchenwald, donne la composition de la commission de presse qui publie Le Flambeau. Ses trois membres appartiennent à l'extrême gauche et deux sont communistes dont Joseph. Ce dernier y est certes plus déterminant que le rôle de “conseiller” qui lui est attribué pour maintenir la parité politique, car après son arrestation le 21 juin 1943, l 'organe interrompt sa parution jusqu'en octobre, soit pendant quatre mois.

Ce Joseph n'est autre que Ghert Jospa et le pseudonyme qu'il s'est choisi est probablement une autre manière d'affirmer son attachement au communisme et à l'Union soviétique. Joseph n'est pas une sorte d'anagramme de Jospa. Dans cette réticence des clandestins à se dépouiller de leur identité véritable, Jospa s'est donné le patronyme de Jaspar. Le pseudo-prénom de Joseph se réfère vraisemblablement à un autre Joseph - modèle des communistes -, le camarade Staline. Il n'y a, en tout cas, chez Jospa aucune tension entre ses motivations juives et communistes. Elles constituent une seule et même identité. C'est en communiste que Jospa rappelle, dans son rapport sur “la question juive en Belgique” ses efforts personnels en vue de “la création d'un large front antifasciste parmi les Juifs sous la direction des communistes”. “Encore, en 1941“, signale-t-il, j'ai plusieurs fois attiré l'attention du parti sur [la] situation objectivement favorable” qu'il apercevait, quant à lui, parmi les Juifs.

12.6 Le “front antifasciste” de Jospa!

Au début”, note Jospa dans ce mémoire d'après-guerre, “le parti sous-estimait l'importance de ce mouvement aussi bien pour les masses juives comme pour des larges masses belges sympathisant avec les Juifs dans leur malheur”. Déjà, en 1938-1939, les “organes centraux du parti com[muniste] n'encourageaient pas suffisamment le travail dans le milieu juif”. A cette époque, Jospa, naturalisé belge, militait surtout, d'après ce rapport, à la “ Ligue belge pour la lutte contre le racisme” où il veillait, avec d'autres dirigeants, parfois d'anciens catholiques devenus “communiste“ ou “sympathisant du communisme”, qu'elle soit “dirigée par les communistes”. Mais, à son jugement d'après guerre, le parti ne désignait pas au travail juif “une ligne d'action juste et exacte” susceptible de lever l'obstacle du “sectarisme et [d'un] manque de souplesse de la part de nombreux camarades juifs”. Le parti s'intéressait au “travail juif” surtout pour y prélever des cadres. “Plusieurs communistes juifs et les meilleurs”, signale Jospa, “passaient sur les instances du parti com[muniste] belge au travail dans le milieu belge”.

Lui-même, semble-t-il d'après ce document, prendrait part au “travail” ‘belge’ pendant les premières années de l'occupation. En 1942, il participerait à la constitution du Front de l'Indépendance, au plan national. Ce Comité National se crée en mars 1942 et Jospa, d'après “La question juive en Belgique”, en serait alors membre. Le document précise que c'est “en étant membre du Comité National du F.I. qu[{il a] agi en son nom” pour former le C.D.J. Jospa a pu convaincre “le parti [d']accept[er son] plan”. Il "m'a désigné comme responsable pour tout le pays d'organisation de sauvetage des Juifs et de leur résistance contre l'ennemi”, écrit l'auteur anonyme de ce rapport. Jospa date ce moment du “début de 1942, quand les Allemands [sont] passé[s] à l'anéantissement systématique des Juifs” et ont pris “les premières mesures économiques”.

Les premières ordonnances économiques datent, en fait, du printemps 1941, mais, formant un cadre, elles sortent leur plein effet à la fin du printemps 1942. De nouvelles ordonnances portent alors directement atteinte aux conditions matérielles d'existence. Plus encore, au mois de mai, l'occupant procède à la liquidation des entreprises juives, forcée ou volontaire suivant l'importance du chiffre d'affaires. Dans son plan nazi, cette phase précipitée au printemps 1942 prépare l'expulsion imminente des Juifs du pays, leur “évacuation” pour reprendre le jargon nazi.

Dans sa lecture de l'histoire, “la question juive en Belgique” reconstruit ces ‘étapes’ comme la réalisation progressive d'un “programme de Nuremberg” et suppose ainsi une continuité linéaire de la législation raciale de 1935 au génocide de 1941-1942. “Petit à petit”, écrit Jospa à propos de la “situation des Juifs pendant l'occupation, “les Allemands commençaient à réaliser le programme de Nuremberg: l'anéantissement des Juifs. Tout d'abord, des mesures économiques tendant à l'exclusion complète des Juifs de la vie du pays. Ensuite, commença leur déportation dans les camps de concentration [sic[87]] principalement à Auschwitz (Haute-Silésie), c.a.d. leur anéantissement au plein sens du mot.

Dans cette interprétation de l'histoire advenue, “il est clair”, pour Jospa, “qu'en pareille situation, toute l'activité de la vie politique juive devait se concentrer dans la lutte contre l'occupant et dans une défense organisée systématiquement. Les communistes, voulant se mettre à la tête des masses juives, devaient mobiliser toutes leurs forces pour cette activité, organiser le sauvetage systématique des masses, et tout d'abord des enfants. En devenant créateur d['un] plan semblable, les communistes avaient la possibilité de former autour de leur programme antifasciste un front unique, beaucoup plus large que parmi des masses belges. Étant donné que l'hitlérisme présentait la menace de mort pour tous les Juifs sans distinction, ce front unique pouvait enserrer toutes les classes de la population juive, y inclus la bourgeoisie réactionnaire, en y excluant seulement des fascistes et des traîtres juifs, collaborateurs de l'ennemi.

Encore “fallait”-il, explique Jospa en bon léniniste, “faire dans ce but une analyse exacte de la situation, établir un plan d'action clair et trouver le chaînon qui, lorsqu'on s'en saisit, permet d'entraîner toute la chaîne. Il fallait jeter dans la lutte toutes les forces pour réaliser ce programme. D'après “La question juive en Belgique”, Jospa tiendrait ce “chaînon”, dès “mars 1942 , quand, écrit-il, “j'ai entrepris la création des comités de défense des Juifs ( C.D.J.) sous l'égide du F.I. formé récemment”.

L'“Historique du C.D.J.” d'Yvonne Jospa, qui date encore de l'occupation, donne une autre chronologie. Dans ce document de la clandestinité, c'est, “en juillet 1942 , que “Joseph (PC) s'est adressé à plusieurs représentants de la population juive au nom du F.I.” [88]. Cette pièce d'archives qui identifie la démarche de Ghert Jospa comme celle d'un communiste dément aussi la version résistancialiste de la mémoire orale. La “Solidarité juive”, si essentielle dans la mémoire, est absente de ce C.D.J. en formation. L'organisation n'est pas même représentée en tant que telle, mais bien le “P.C.” qui dispose ainsi d'une double représentation dans le C.D.J. dès sa fondation.

L'“Historique” d'Yvonne révèle encore qu'au sein même du comité clandestin, au fur à mesure qu'il s'élargit, l'influence communiste gagne du terrain en ralliant, ici, tel “sans-parti”, là, tel autre socialiste. Elle entraînera des frictions, après l'arrestation de Jospa, le 21 juin 1943, “une lutte ouverte”, dit même l'“Historique”. Bien que son épouse ait été la cible de cette “lutte” intestine, Ghert Jospa ne l'évoque nullement dans sa “Question juive en Belgique”. Non pas en raison de cette réserve qui le porte, dans ses propos, à en écarter les aspects personnels et à privilégier, même dans les passages à la première personne, la dimension politique. Yvonne est tout aussi discrète dans son “Historique”. Elle ne laisse apparaître aucune émotion quand elle évoque Joseph et le lecteur qui l'ignorerait ne pourrait deviner qu'elle relate l'activité de son propre mari, alors détenu à Buchenwald. Il n'empêche que s'agissant de cette “lutte ouverte” dont sa position personnelle dans le C.D.J. est l'enjeu, elle en informe le responsable des cadres de la Fédération bruxelloise du C.D.J. Le rapport de Ghert Jospa rescapé du camp a une autre finalité. Il s'agit, en rendant compte de l'activité des communistes, de valoriser dans '“l'histoire héroïque de la résistance active”, la “puissante organisation clandestine de défense juive” qu'il est parvenu à mettre sur pied en adaptant la ligne du parti à la situation des Juifs pendant l'occupation.

L'évolution du C.D.J. après son arrestation ou, tout au moins, celle des alliés sionistes entame pourtant la ‘puissance’ du “front unique” qu'il a voulu fonder sur la base du “programme antifasciste” du parti communiste. Dans cette “lutte ouverte” dont parle Yvonne, les sionistes, toutes tendances confondues et finalement regroupés en novembre 1943 en une “Fédération sioniste”, s'efforcent, au printemps suivant, de “ravir l'initiative aux communistes” dans le domaine du placement des enfants juifs où ils jugent l'“influence communiste exclusive[89]. Ils sont alors engagés dans l'opération des certificats d'échange germano-palestinien et prétendent déplacer les enfants cachés par l'organisation clandestine dans des “foyers sionistes” bénéficiant d'une protection diplomatique contre le risque d'une déportation immédiate[90]. Les sionistes tablent sur cette immunité des “vétérans sionistes” agréés par l'autorité allemande et inclinent, même dans le sauvetage des enfants juifs, à rompre avec le principe d'illégalité. Leur but, expliquent-ils, est de “s'occuper ainsi à la fois de (leur) bien-être physique et moral" et surtout d'assurer leur éducation “dans un esprit national juif, laïc ou religieux”[91]. S'ils échouent dans leur tentative de prendre le contrôle des 2.500 enfants cachés qu'administre alors la section Enfance, l'option légale des certificats d'échange germano-palestinien est une autre signe d'une dérive qui préoccupe le C.D.J..

Au moment où, en novembre 1943, les sionistes reconstituent leur fédération en marge du comité clandestin, ce dernier en réunion nationale avec les délégués des comités locaux rappelle avec force ses objectifs initiaux. Il tient à “donner fermement expression” - pour reprendre ses termes - “que le Comité soit en premier lieu une organisation de lutte et de résistance et que le travail social important dont on s'occupe devra toujours dégénérer en simple travail de bienfaisance[92]. De même, dans le rapport qu’il adresse, peu après, en Suisse pour justifier ses demandes pressantes de fonds auprès du représentant de l'American Jewish Joint Distribution Committee, le C. D.J. rappelle la dualité du “but principal de ce comité” à sa constitution. Il se proposait de “mener la lutte contre l'occupant dans le cadre du mouvement belge de résistance, en participant à l'activité de résistance sur le plan national belge et en organisant” la défense juive. Or, tout autant qu'au sein de ce comité unitaire, communistes et sionistes se disputent sur la manière de pratiquer celle-ci, en particulier dans le cas des enfants, ils ne s'accordent pas sur les modalités de “la lutte contre l'occupant”.

Certes, dans cette question, l'extrême gauche sioniste reste proche des communistes, mais il n'empêche qu’après le débarquement de Normandie, elle opte pour l'attentisme. Elle reste “pour le moment” , explique son organe Unzer Wort en juin 1944, “sur ses positions cachées” et n'appelle ses “masses juives” qu'à attendre “le signal au moment voulu de se jeter dans le combat contre les barbares nazis pour la liberté et l'indépendance” du pays occupé. L'enjeu juif du combat à venir est certes, selon les “ouvriers sionistes de gauche”, de “venger nos parents, frères et soeurs, vieillards et enfants sauvagement assassinés par les nazis”, mais ce devoir de vengeance juive n'implique aucune participation à des actions immédiates qualifiées d'“avant-garde”. A son point de vue, il s'agit de se préparer aux combats de la Libération. L'avance rapide des Alliés qui surprendra toute la résistance belge ne laissera pas aux sionistes le temps de former leurs “groupes de combat”. Ces derniers ne se constituent qu'avec la débâcle allemande, dans les journées fébriles de septembre 1944[93].

Ces “groupes de combat” sionistes de la Libération ne rejoignent pas alors les “milices patriotiques” du Front de l'indépendance. Le mouvement de résistance où la défense juive a pu s'organiser pendant l'occupation ne comporte au moment de la retraite allemande que la “milice” recrutée dans les “masses juives” de la mouvance communiste. Au dire d'Unzer Kampf, l'organe en langue yiddish de la fédération bruxelloise du parti communiste, elles commençaient “déjà” en août 1944, “à former des groupes de combat patriotiques”. L'annonçant, le journal communiste juif invitait “toutes les organisations juives [...à une] collaboration étroite [...] avec le Front de l'Indépendance”[94]. Comme la “parole” sioniste de gauche, ce “combat” communiste juif invoquait le “compte à régler avec l'hitlérisme”: “il nous doit une dette de sang”, proclame Unzer Kampf, dans son dernier numéro de la clandestinité. Mais, s'ils tiennent le même discours en yiddish, ces résistants juifs, communistes d'un côté, et, de l'autre, sionistes-socialistes de gauche, ne forment pas un seul et même front pour l'apurement des comptes.

Plus encore, cette “résistance des Juifs” dont Le Flambeau vante les mérites du temps de Joseph, reste pendant l'occupation l'apanage des communistes juifs et de leurs sympathisants. Au demeurant, “les Juifs qui n’ont pas voulu se laisser prendre et qui ont trouvé la mort n'étaient pas aussi “nombreux'” que l'organe de la “section de défense des Juifs du Front de l'Indépendance” le prétendait, en mars 1943. Et, surtout, aucun n'a été abattu “dans [cette] lutte armée contre les agents de la gestapo” dont le journal clandestin voudrait convaincre ces lecteurs. Mais appelant à une telle rébellion, le porte-parole du C.D.J y réfère l'entrée en résistance de ceux qui “ont rejoint les rangs du Front de l’Indépendance ou des Partisans et luttent avec les patriotes belges contre l’envahisseur”[95]. Ce discours tendait à faire du comité ce qu'il n'a jamais été, un mouvement structuré de résistance juive. Il est demeuré un comité de rencontre - donc, aussi un champ clos d'affrontement -. Les services sociaux qu'il a installés dans la clandestinité ont été l'essentiel de son activité et de sa réussite dans le sauvetage des Juifs. Cette défense juive que chaque tendance interprétait selon ses options idéologiques et politiques a certes été leur plus grand commun dénominateur, mais, en tant quel tel, il n’a pas suffi à constituer ses structures.

Il faut, pour en prendre la bonne mesure en histoire, bien apercevoir le moment chronologique où aboutit enfin l'initiative de Joseph. Si ce militant communiste entreprend de former le C.D.J. “en juillet 1942 , la gestation de son entreprise dure deux longs mois pendant lesquels, dans l'urgence des événements qui se succèdent, les communistes impriment une tout autre allure à la défense juive.

12.7 Le “défense juive” dans le temps de l'histoire

Le C.D.J. entame son histoire seulement au “début de septembre 1942 , d'après le rapport de fin 1943 envoyé en Suisse pour justifier la demande d’un budget mensuel de 2.000.000 de fr. belges. L’état des dépenses qui l'étaye le confirme: en bonne administration, il débute le “15 septembre 1942 . Tout autant, la première trace publique de l’activité du comité de défense juive date de l'automne 1942. Le Bulletin intérieur du Front de l'Indépendance qui fait connaître son plan de “mesures pratiques d'aide a la population juive” est du 17 octobre 1942.

Or, les fameuses “déclarations bouleversantes” du gouvernement polonais de Londres auxquelles ce document se réfère pour justifier l'urgence de l'action de sauvetage des Juifs de Belgique sont alors vieilles de cinq mois! Les milieux juifs concernés n'ont donc pas été bouleversés au point de hâter la formation de leur Comité de Défense. C’est seulement quatre longs mois après l’émission de la B.B .C. que se constitue enfin ce “groupement de résistance” réunissant, comme le rappelle le document ‘suisse’, des représentants de “l'extrême gauche” et de “la bourgeoisie” juives”

Ce rapport ‘suisse’ du CDJ ne contredit pas la chronologie de sa création dans l'Historique du C.D.J. rédigé pour l’information du P.C. Des premiers contacts de Jospa “en juillet” jusqu’à cette réunion du “début de septembre” où “la bourgeoisie” s’associe à “l’extrême gauche” pour une défense juive clandestine, l’écart situe toute la distance entre l'histoire réelle et la perception divergente par ses acteurs de ses enjeux.

Pendant que le C.D.J. tarde ainsi à se constituer, tout se joue pour les Juifs de Belgique. L'été 1942 est crucial, à tous égards. Avant la fin de l'été, 10 convois auront acheminé 10.038 des 24.906 Juifs déportés à Auschwitz jusqu’à la fin de l'occupation. Le premier convoi de la solution finale quitte Malines, le 4 août. Le 10e, justement le 15 septembre, quand le C.D.J. entame la comptabilité de ses dépenses. Certes, à l'Ouest, on ne sait pas ce qu'il advient des déportés. On ignore que les 10 premiers convois ont, dès leur arrivée, livré 6.274 déportés aux chambres à gaz d'Auschwitz. Mais surtout, on ne parvient pas à concevoir cet assassinat systématique des déportés juifs dès leur sortie du convoi, en dépit de ce qu'on apprend des massacres perpétrés en Pologne et quoi qu'on en dise pour “provoquer [l'] indignation du peuple belge.

Du sort des déportés de Malines, on peut seulement parler, comme le premier numéro du Flambeau en mars 1943, de cet “‘Est’ mystérieux dont personne ne revient[96]. Huit mois plus tard, et alors que les informations parviennent maintenant de toutes parts sur “l'extermination des Juifs” qui “dure” depuis “deux ans”, Le Flambeau est toujours aussi perplexe quant au sort des “vingt-deux transports de Juifs” partis de Belgique. “Que sont devenus ces milliers de malheureux ? Personne“, estime l'organe de la défense juive, “ne saura répondre à cette question angoissante[97].

Le rapport que le comité clandestin rédige peu après sur son activité depuis sa fondation est tout aussi indécis. Écrit à d'autres fins que de propagande, le document déclare “inqualifiables” les mesures prises contre les Juifs au cours de l'été 1942 et explique qu'alors “on se rendit compte qu'il ne s'agissait pas du travail obligatoire mais bel et bien de déportations vers l'inconnu dans de telles conditions que le pire était à craindre“. Ces craintes et, en tout état de cause, le sentiment d'une menace de déportation massive de la population juive ne datent pourtant pas de la fin de l'été 1942.

Dès les derniers jours de juillet, les Juifs convoqués au camp de rassemblement de Malines ne pensent pas, pour la plupart, que l'occupant les réquisitionne pour le travail obligatoire. Comme ils ne se présentent pas en nombre suffisant à la caserne Dossin, les officier SS des affaires juives imposent à l'Association des Juifs en Belgique - l'A.J.B. - créée sur ordre de l'occupant - de les rassurer et de les inviter à obéir. Le 1er août, l'institution officielle dont les employés distribuent les convocations à domicile y joint un appel en ce sens du grand rabbin et des présidents des institutions israélites, la plupart membres de son comité directeur. Les dirigeants juifs officiels transmettent “les assurances données par l'Autorité occupante, [qu']il s'agit effectivement d'une prestation de travail, et non d'une mesure de déportation[98]. Craignant les rafles aveugles et anonymes, les présidents du judaïsme officiel s'emploient à persuader les convoqués que “la non-observance de l'ordre de travail pourrait entraîner de fâcheuses conséquences, tant pour les membres de (leur) famille que pour la population juive toute entière”.

L'appel n'a pas l'effet escompté. Dès la mi-août, les SS de la solution finale comprennent qu'ils ne parviendront pas à remplir les convois sans recourir à la contrainte policière. Ils procèdent alors, les 15-16 et 28-29 août, à deux razzias nocturnes sur le quartier juif à Anvers, en se servant de la police belge disponible. Ces rafles ont l'importante, toute proposition gardée, de la rafle du Vélodrome d'Hiver, dans la capitale française un mois plus tôt. Dans la capitale belge, les officiers SS risquent un incident politique en réquisitionnant la police nationale. Aussi, attendent-ils la nuit du 3 au 4 septembre pour opérer avec les forces de police allemande et leurs supplétifs de la SS flamande. Cette troisième nocturne de la solution finale en Belgique est certes moins fructueuse que les précédentes anversois, mais frappant pour la première fois les Juifs de Bruxelles, elle a un effet décisif sur la formation du comité de défense juive.

C'est, en effet, cet événement bruxellois du début de septembre qui précipite la fondation du comité clandestin, après plus d'un mois de tractations entre Jospa et ses interlocuteurs. Les contraintes de sécurité conspirative ne rendent pas compte de la lenteur des contacts entre “l’extrême gauche” et la “bourgeoisie”. Jospa, comme il le laisse entendre après coup, n'a pas rencontré de difficultés à l'extrême gauche. Le rapprochement entre les communistes de la M.O .I. et les “ouvriers sionistes de gauche” - les Linke Poale Sion - est antérieur. Il date du printemps 1942. Il est alors politique et syndical. Dans cette convergence, les relations entre les deux tendances de l'extrême gauche juive sont alors les meilleures. Fin juin, Unzer Wort, l'organe des sionistes apporte même une contribution financière non négligeable à la presse communiste belge. Le Drapeau Rouge le remercie, dans la première quinzaine de juillet, pour son versement de 3.000 fr., ce qui représente, au prix de vente du journal - 0,75 fr. - l'équivalent de 4.000 exemplaires gratuits ou, à l'aune du minimum vital d'un militant, près de trois mois de clandestinité.

Le problème dans cette longue gestation du comité, ce sont les tergiversations du côté de la “bourgeoise”. Cette difficulté n'apparaît guère dans le compte rendu qu'en fait Jospa, dans l'immédiat après-guerre. Lui parle d'un réussite “assez“ facile. “Malgré que dans les milieux juifs, on savait que [le] F.I. était dirigé par les communistes”, expose-t-il dans “La question juive en Belgique”, “j'ai réussi assez facilement à convaincre les représentants de toutes les importantes tendances politiques juifs et notamment: des Juifs assimilateurs, des sionistes, des Poale-Sion de gauche, des Juifs orthodoxes et des communistes”. En fait, - et Jospa n'évoque pas cette circonstance - pratiquement tous ses interlocuteurs sont alors des personnalités engagées ... dans l'A.J.B., mais mal à l'aise devant le rôle de ses dirigeants pendant l'été.

Le rapport ‘suisse’ du C.D.J. y fait allusion, en situant justement la création du comité au “moment tragique de l'existence de la population juive abandonnée à son sort par l'A.J.B”. Mais, ce faisant, ces notables de la “bourgeoisie” ne rompent pas pour autant avec l'institution juive légale. Eux demeurent à leur domicile officiel du statut des Juifs dont, au même moment, sort, en masse toute une population alertée par la grande razzia du début de septembre et qu'il faut aider à franchir le pas de l'illégalité. Surtout, du fait de son alliance avec “l'extrême gauche” - en particulier sa fraction communiste - cette “bourgeoisie” doit non seulement s'engager dans une activité illégale, mais aussi à entrer en résistance et sous l'égide d'un Front de l’Indépendance où elle redoute l'emprise de communistes.

C'est que ce comité unitaire de défense juive ne se fixe pas, du moins à son départ, au temps de “Joseph”, un objectif exclusivement juif. Le salut des Juifs s’y inscrit dans une résistance qui est totale. Il ne se conçoit pas autrement, du point de vue communiste. C'est le sens, en octobre 1942, de l'appel “Aux armes contre les Gestapo” : le modèle de tract du “bulletin intérieur” du F.I. adjure les Juifs de “sauve[r leur] vie en [se] cachant” ou, à défaut, de “résiste[r] par la force [...] [d']arrache[r] les armes aux brutes de la Gestapo et [de les] abatt[re...] comme des chiens. En résistant, votre mort ne pourrait être plus grave que si vous vous laissez conduire aux abattoirs de Pologne”, proclame le tract.

Deux mois plus tôt, devant “l’ignominieuse persécution des Juifs”, Le Drapeau Rouge appelait déjà la population belge à “aid[er] les israélites à résister à leurs bourreaux !’. Les communistes signalaient la “résistance grandissant” parmi les Juifs menacés de déportation et, anticipant sur les mots d'ordre d'octobre 1942, l 'organe central du parti communiste les engageait à une riposte violente. “C’est résolument, en ripostant par la violence s’il le faut“, proclamait le journal communiste, “que les victimes doivent résister à leurs bourreaux en se disant que la mort elle-même n’est pas pire que le sort qui les attend en cas de déportation“.

12.8 Le salut de la violence physique

La stratégie générale du P.C. dans l’occupation commande ces exhortations à la violence. Politique, elle détermine les militants juifs à recruter dans leur milieu des éléments pour l’action directe et armée. A l'occasion, ils ne manqueront pas, à mesure que l'information sur le génocide en cours se multiplie, d'en tirer argument pour cette “guerre totale”. Dans la conscience du “désastre polonais”, de l'“immense tragédie” de “l'extermination sadique du plus grand yishuv [la communauté] juif d'Europe”, l'un d'eux, - publiant en langue yiddish un organe au titre révélateur, Unzer Kampf - lance, en juin 1943 de Charleroi, l'appel le plus véhément à la lutte armée. “Nous autres Juifs”, proclame-t-il, n'avons rien à perdre! Plutôt que de risquer d'être pris dans quelque rafle et expédiés à Oschwitz [sic], mieux vaut combattre sur place, combattre ici, armes en mains! Sous la plume enflammée de ce militant communiste, on ne conçoit pas d'autre alternative à “la destruction du judaïsme polonais” que d'“éveiller [la] conscience, [d'y] allumer [...] le feu du combat, le feu de la vengeance”. Juif, cet appel à la lutte armée est pourtant essentiellement un discours communiste. Le parti, s'adressant non plus aux Juifs, mais à toute la population du pays, tient le même langage ‘juif’ - certes avec moins d'a-propos - quand il dénonce l'attentisme comme un consentement “à se laisser exterminer dans la peur et la lâcheté”, comme une acceptation que “des dizaines de milliers de Belges soient massacrés inutilement[99]. Dans son discours, le parti ne conçoit pas d'autre “’alternative [...] inéluctable” que d'“attendre et [de] se laisser massacrer comme les moutons que l’on conduit, bêlants, à l’abattoir, ou [de] prendre les armes”.

Pour cette lutte armée, il peut, tout particulièrement dans la capitale du pays occupé, compter sur son yiddishland de la M.O .I. C'est à travers ses structures que s'opère, en tant que démarche collective, la mobilisation de Juifs dans les combats de l'occupation. Les débuts de ce phé­no­mène collectif, mais spé­cifique à la mouvance juive du parti communiste, ne datent toutefois pas de la grande vague de déportations juives de 1942. C 'est toujours le parti qui décide le moment et le lieu où les plus aguerris de ses militants passent à l’action armée. Même si cette démarche est d'abord un engagement personnel - et prend à cet égard, un relief tout particulier dans la mémoire -, l’initiative ne vient cependant pas de la base. Dans sa mémoire égarée, le syndrome Manouchian des années quatre-vingts voudrait bien dans ce domaine également opposer les “motivations” des partisans à l'“indifférence” des chefs communistes. Aussi, lui faut-il disqualifier ces derniers dans la lutte armée.

A suivre la recomposition de cette mémoire, ce ne serait donc pas la politique du parti et ses choix stratégiques qui auraient déterminé la mobilisation des partisans. Le témoignage inverse, pour les besoins du réquisitoire, le rapport du parti communiste et de ses partisans à la lutte armée. Aussi, comme par une génération spontanée, ”une tendance favorable au déclenchement de la lutte armée apparaissait dans divers milieux et prenait consistance[100]. “Avec d'autres camarades”, le témoin du ressentiment partisan aurait “insisté et enfin, les premiers pas furent franchis à Anvers” où il demeura jusqu'à la fin du printemps 1942. Dans ce récit invérifiable sur ce point précis, cette première expérience armée se situerait peu avant la fuite du témoin de cette ville dangereuse pour les Juifs de la solution finale. Cela étant, le témoignage qui institue une expérience personnelle en histoire collective est remarquablement étriqué. Même à Anvers, les premiers pas sont bien antérieurs à l'action qu'évoque l'ancien partisan juif et qui sert son réquisitoire.

Dès décembre 1941, ces “premiers pas” ont déjà conduit devant le peloton d’exécution trois militants du parti - non-juifs en l’occurrence - arrêtés en septembre en préparant un attentat[101]. Asservi aux fantasmes de sa mémoire, l'”ex-commandant des partisans armés de Belgique” - titre dont s'affuble l'ancien partisan juif dans ses interventions publiques[102] - laisse ignorer qu’il a été, en vérité, un combattant de la deuxième, sinon de la troisième vague. La première date justement du dernier trimestre de 1941[103]. Comme l'établit si bien Du rouge au tricolore de José Gotovitch, le parti fait alors parler “la poudre” contre les biens les installations de l'armée allemande, non sans éprouver de “grandes difficultés à convaincre ses membres de la pertinence de ce choix ainsi qu'à susciter des volontaires[104].

La mémoire courte de l’histoire orale masque le pas suivant, de “la poudre aux balles”. Le parti amène ses militants à franchir celui-ci, après la sanglante répression du début de l’hiver 1941-42. Cette escalade de la terreur nazie - générale en Europe occupée - s'applique dans le cas ‘belge’ avec une relative retenue. Elle se concrétise principalement avec les “assassinats judiciaires” pour reprendre l’excellente formule de José Gotovitch qualifiant les condamnations à mort alors prononcées dans les conseils de guerre allemands. Le parti communiste tire argument de cette répression accrue dans sa pédagogie de la lutte armée. Il décide ses adeptes, comme le leur enseigne le guide du militant, à “régler les comptes avec les bourreaux, les hitlériens et les traîtres[105]. En d'autres termes, il engage ses partisans armés à passer à la violence physique, aux attentats personnalisés, aux meurtres politiques.

Jusqu’aux déportations de 1942, les communistes juifs n’ont guère d’autres “comptes” à régler. En Belgique, pendant les deux premières années de l’occupation, la persécution antisémite s'installe, également avec une relative circonspection et évite autant que faire se peut toute mesure susceptible de provoquer dans la population du pays un mouvement en faveur des Juifs. Les déportations juives de l’été de 1942 ouvrent brutalement d'autre “comptes”, du point de vue communiste. Invitant les Juifs à cette “riposte”, Le Drapeau Rouge insiste sur “le hardi coup de main effectué par quelques hommes armés qui entrent de force à l'Association juive, enfermèrent les employés dans une chambre et brûlèrent les fiches confectionnées sur ordre de la Gestapo[106]. L'incendie du fichier juif “montre la voie”, selon l'organe central du parti communiste.

L’attentat a lieu, le 25 juillet, deux jours avant l'ouverture du camp de rassemblement à la caserne Dossin à Malines. “L'Association juive” - en fait l'A.J.B - a accepté d’établir le fichier en vue de la déportation imminente[107]. La destruction des fiches - les copies seulement, car, par une dérision de l'histoire, l'officier SS des affaires juives vient, le jour même, de recevoir le fichier commandé - se veut un acte de sabotage. Mais, sa violence a une portée politique.

Elle concerne ... les notables juifs empêtrés dans leur politique de présence et acculés à un moindre mal de plus en plus étriqué. Sous la menace d'un revolver, les notables et leurs employés présents dans l'immeuble de l'A.J.B. s’entendent accuser, selon leur relation de “'l'incident‘, de travailler, “non pas dans l'intérêt des Juifs, mais contre leur intérêt et [d’]aid[er] à leur déportation massive en Pologne en confectionnant les fiches individuelles[108]. La résistance aux déportations de l'été 1942 se pose ainsi en une résistance à la politique des notables juifs. Et, cette résistance qui se veut une résistance dans “l'intérêt des Juifs”, est une résistance de Juifs, de Juifs communistes en l'occurrence.

Disposant depuis la fin du printemps 1942 d'un Corps mobile dans la capitale, l'ancien secrétaire politique de la M.O .I. qui l'a organisé - lui n'est pas juif - mobilise dans cette action sa compagnie juive. Elle se compose essentiellement de Juifs originaires de Pologne et parlant yiddish. La structure du Corps Mobile reproduit celle de la M.O .I. organisée en groupes de langue: à Bruxelles, ses membres et sympathisants sont le plus souvent juifs, mais les Juifs de Bessarabie, de nationalité roumaine, parlent plutôt le russe, quoique, comme Jospa, ils pratiquent aussi le yiddish. Ils n'en sont pas moins, dans les deux premières années de l'occupation, organisés sur une base bessarabienne. Du côté des Balkaniques, les Hongrois surtout sont davantage magyarisés. Ils ont leur propre organisation. Au niveau du Corps mobile, la structure de la M.O .I. donne ainsi trois compagnies, soit vingt à trente partisans, la compagnie balkanique, la compagnie juive et une petite compagnie de Bessarabiens, le groupe bessarabien de la M.O .I. fournissant au parti de préférence des militants politiques dont Jospa encore incarne le modèle.

L'intervention des partisans juifs dans le secteur juif ne se limite pas à la “leçon de morale” du 25 juillet 1942, pour reprendre l'expression significative qu'emploie le rapport de l'A.J.B. sur l'incendie du fichier. L'écoutant, les notables ne l'ont pas entendue. Non seulement, ils entreprennent de faire distribuer les convocations que leur délégué livrant le fichier achevé rapporte de sa visite à Kurt Asche, l'officier SS des affaires juives. Mais encore, ils lancent, le 1er août, cet appel à l'obéissance que l'extrême gauche sioniste qualifiera, encore au printemps 1944, de “signe de Caïn[109].

Pendant ce mois d'août 1942, les communistes, juifs et non juifs, suivent avec beaucoup d'attention le comportement d'insoumission des convoqués. Le Drapeau Rouge sait que cette tentative de rassembler les déportés dans l'ordre et le calme n'a “pas donné aux négriers nazis [sic[110]] les résultats escomptés”. L'organe communiste se réjouit de ce que “le nombre de personnes ne répondant pas aux convocations n'a cessé de croître”.

De fait, à peine 40% des 10.000 Juifs convoqués se présentent personnellement au rassemblement de Malines, du 27 juillet au 3 septembre. Mais, essentiellement dans les toutes premières semaines. La première grande razzia sur le quarter juif d'Anvers indique, le 15 août, que les convoqués présents à Malines ne suffisent plus à remplir les convois prévus.

Le parti, dont l'analyse politique prend cependant en compte cette évolution, attend jusqu'au 29 août pour faire intervenir ses partisans juifs, une nouvelle fois[111]. Alors que dans la nuit du 28 au 29, la deuxième razzia d'Anvers vient signifier définitivement que le temps des convocations est bel et bien révolu, c'est à Bruxelles qu’“un bras ven­geur”, pour reprendre l'expression du Dra­peau Rouge, abat “en rue”, non pas l’officier SS qui les avait fait distribuer, mais le chef juif de la “mise au tra­vail” dont les employés juifs avaient porté l’ordre de réquisition au domicile des 10.000 Juifs convoqués à Malines.

12.9 Le “bras vengeur

Il “n'avait pas hé­si­té”, explique le journal commu­niste, “à coopérer avec l'occupant pour mar­ty­riser ses con­­ci­toyens juifs[112]. La cible nazie, tout aussi accessible que le ’traître‘ juif, n'entre pas dans le champ de tir des partisans juifs. Il n'y a pas de paradoxe dans le fait que le SS qui déporte les Juifs à Auschwitz reste en vie ! La ligne du parti n'autorise pas encore, à cette date, la terreur partisane à s'exercer sur les officiers et sous-officiers allemands. En Belgique, la chasse aux Allemands est bien plus tardive qu'en France. Ici, elle répond à une nouvelle escalade de la répression nazie. Il s’agit, en réplique à “l’assassinat des ‘otages terroristes décrété à la toute fin de 1942, d’“opérations punitives contre les bandits hitlériens”, de contre-représailles des partisans[113], annonce leur Commandant national après les premières fusillades de leurs camarades[114].

Etablissant ces listes d'“otages terroristes” à fusiller sur ordre du Commandant militaire pour la Belgique et le Nord de la France , les policiers SS ne font pas cette distinction entre résistants juifs et Juifs de la résistance que le débat historiographique des années quatre-vingts incline à introduire dans la lecture de la résistance juive. Dans la répression, “le seul fait qu’il s’agit d’un Juif qui a été trouvé porteur d’un revolver chargé permet de supposer qu’il appartient à des milieux terroristes”. C'est pour ce motif - et ce seul motif - Moszek Rakower dit “Vladek” et Simon Engielszer désignés comme “otages terroristes”, sont assassinés, le 6 janvier 1943, dans le bois de Hechtel à Bourg Léopold.

Les policiers SS ignorent tout de leur activité. Pris dans un contrôle d'identité, le 5 décembre 1942, ils n'ont rien avoué à leurs tortionnaires. “Vladek” est pourtant une proie de choix. Il est l'ancien secrétaire politique de la section juive de la M.O .I. et, alors, l'adjoint du commandant de la compagnie juive. Le commandement revient, comme au sommet du Corps mobile, à un ancien des Brigades Internationales en Espagne, Charles Rochman, mais c'est à Vladek Rakower qu'on confie la redoutable mission d'être, dans l'attentat du 29 août 1942, ce “bras vengeur” qui abat le chef juif de la mise au travail.

Cet attentat procède d'une autre logique politique que la chasse aux Allemands dans les rues de la capitale belge, à la nuit tombante, au tout début de l'hiver 1942-1943. Pendant l'été des déportations juives, la violence partisane a pour cible, comme le réclame Le Drapeau Rouge, les “complices” des “bourreaux antisémites”, même s'ils sont juifs. L'objectif - politique - est de faire le vide autour de l'occupant, dans le secteur juif comme dans les autres. Le ressort de cette violence physique est de terroriser quiconque collabore. Aussi, le jour de l'enterrement de leur collègue abattu en rue, des menaces de mort arrivent chez les autres notables juifs. Les billets les accusent, comme le note l'un d'eux, “de livrer [leurs] coreligionnaires aux ennemis avec beaucoup de précipitation[115].

Eux ne comprennent pas ces critiques puisqu’ils essayent - c'est une autre stratégie de défense - de “sauv[er] quelques personnes qui, de toute évidence, doivent être remplacées par d’autres[116]. “Impuissants” face aux exigences allemandes, ils considèrent qu’il n’y a pas d’autre alternative que leur politique de moindre mal pour sauver ce qui peut l'être. Pourtant, s'ils n'acceptent pas la leçon du 29 août, ils ne se “sen[ent] pas très en sécurité”. C'est l'aveu que confie à son journal l'un des directeurs de l'A.J.B. Le notable juif livre cette confidence après un autre attentat qui, de prime abord, n'aurait aucune relation immédiate avec le drame juif. Le Corps mobile, sa compagnie balkanique vient, le 6 septembre, de faire exploser une bombe au cinéma Marivaux où l’organisation nazie flamande, la DeVlag a réuni ses fidèles. Cette cible des partisans n’est pas “juive”. Elle est “neutre” dans la grille de lecture d'une Résistance juive en France[117] qui en exclue les F.T.P.-M.O.I., homologues de leurs camarades du Corps mobile des partisans de Bruxelles.

L'attentat qui n'est pas directement dirigé contre les déportations juives n'est pourtant pas “neutre”. Les nazis flamands ne le sont nullement dans la question juive. Ils constituent, dans ce pays, les auxiliaires les plus zélés de sa “solution finale". Tant à Anvers qu’à Bruxelles, les SS allemands ne sauraient organiser la traque des clandestins qui commence en cette fin de l'été 1942 sans les forces supplétives de la SS Flamande. Ils leur confient aussi, à partir d'octobre, la garde extérieure du camp de rassemblement de Malines. L'attentat du 6 septembre n'a cependant pas pour raison première le rôle capital des nazis flamands dans la persécution des Juifs.

Il n'empêche dans ces circonstances historiques où tout s'enchevêtre que l’explosion de cette bombe artisanale dans leur assemblée à Bruxelles retentit sur la problématique juive. Elle fait revenir le notable juif sur la mort toute récente de son collègue. S'il exprime alors quelque inquiétude pour sa propre “sécurité”, l'explosion du Marivaux ne donne pas pour autant un nouvel impact au “bras vengeur” juif qui a frappé au coeur du dispositif juif mis en place pour la déportation des Juifs. En dépit de “tous ces attentats stupides”, le notable juif reste “absolument certain de n’avoir aucune chose à [se] reprocher que celle d’avoir sauvé quelques personnes” et il ne s'interroge pas sur le bien-fondé de la politique de présence et de moindre mal qu'il pratique avec les autres membres du Comité Directeur. Seul leur président se résout, quatre jours après la grande rafle de Bruxelles, à y renoncer sans concevoir d'autre alternative. “Etant donné que les événements de ces dernières semaines ne lui permettraient plus d'exercer ses fonctions à la satisfaction des autorités supérieures”, le Grand Rabbin “les prie poliment de lui permettre de se retirer” de la présidence de l'A.J.B.[118]. Les autres directeurs cherchent au contraire à renouer le contact avec les autorités allemandes[119]. Ils sont perplexes. La mort de leur délégué auprès de la police de sécurité a “momentanément” suspendu leur “liaison avec cet 'organisme[120]. Dans l'attente d'une invitation, ils tentent d'apprendre de l'administration militaire si “l'A.J.B. a encore une raison d'être[121].

Le “bras vengeur” escomptait un autre résultat. Après l'attentat du 29 août, Le Drapeau Rouge crut pouvoir annoncer que “ la Gestapo a dû fermer les locaux de cette institution devenue inutile”. Le journal communiste se trompait, et doublement. Dans le plan nazi, l'A.J.B. avait encore d'autre fonctionnalité que de rassembler les déportés. Mais surtout, l'attentat n'a pas pour les collègues du “chef de l'‘Association juive’” l'exemplarité que le parti lui confère dans son analyse.

Eux ne se considèrent pas comme des traîtres. Ils ne comprennent pas qu'il a “payé sa trahison” comme l'annonce l'organe central du parti communiste. A leurs yeux, “cet homme plein de santé et de dévouement a été lâchement assassiné”. Ce “brave homme qui avait pris sur lui le service des interventions dans la question de la mise au travail des Juifs [...] n’accomplissait là qu’une besogne des plus louables, puisqu'il essayait de faire exempter des gens malades, etc. [...]”. Sans doute, ses interventions “ne changeai[en]t rien à la situation générale”, mais, conscients de l'impasse, les notables juifs ne concevaient pas d'autre politique possible. Pour eux, l'attentat n'est pas politique. “Dieu sait”, écrit-il, après les menaces de mort qu'il a reçues, ainsi que ses collègues, ”nous nous sommes dévoués pour empêcher ces déportations, mais on ne veut pas comprendre ou ce sont des gens pour qui on n’a pu intervenir qui ont instigué le crime”.

Le parti communiste, ses militants juifs ont une tout autre perception de l'enjeu. La violence dont ils usent - l'attentat du “bras vengeur”, les menaces de mort - doit persuader les notables juifs d'abandonner leurs postes[122]. Il s'agit de les amener à rompre avec la légalité. Cette rupture est au principe même de la stratégie communiste, y compris dans la question juive. Dès que l'A.J.B. se constitue, les militants communistes la dénoncent à la population et appellent les Juifs à lui résister. “Il fallut”, explique en juin 1942 le rapport de la M.O .I. d'Anvers sur son activité pendant les six derniers mois, “passer à une lutte plus politique contre l'occupant et pour éclairer les masses sur les mesures discriminatoires d'Hitler et de ses valets contre la population juive[123].

Le document M.O.I. ne dit pas si ces “valets” d'Hitler sont seulement les collaborateurs d'ordre nouveau, voire les autorités belges ou également les directeurs de l'institution juive créée sur ordre de l'occupant. A Bruxelles, l'organe des intellectuels communistes où milite G. Jospa n'a aucun doute à ce sujet. Dès la publication de l'ordonnance allemande, Les Temps nouveaux évoque “la trop célèbre communauté juive d'Allemagne[124] [qui] a servi d'instrument (d')exécution de plusieurs mesures d'exception prises contre les juifs dans le Reich. Bien avertis des problèmes juifs, ces intellectuels communistes espèrent encore à cette date que “cette communauté sera sabotée par les citoyens juifs et, entre autres, que les autorités israélites refuseront d'y apporter leur concours[125]. L'espoir déçu, Les Temps Nouveaux ne se prive pas, au printemps 1942, d'accuser l'institution juive “de faire le jeu des nazis[126]. A Anvers, dans l'activité de la M.O .I. locale, cette “lutte plus politique” contre les “valets” d'Hitler consiste, au même moment, à mener “une campagne contre la communauté obligatoire et le payement de l'impôt à cette communauté”. Dans cette tentative de boycott, les communistes juifs rejoignent leurs rivaux de l'extrême-gauche sioniste.

De manière plus significative que les communistes, le Parti ouvrier sioniste de gauche prend justement la “parole” au lendemain de l'ordonnance allemande créant - en novembre 1941 - l'A.J.B. Dès décembre, il publie le premier numéro de son organe Unzer Wort et cette “parole” de résistance en langue yiddish appelle, dans la clandestinité, “le peuple juif” à défendre son “honneur humain et national” et à refuser, en conséquence, ”la mission traîtresse d'aider l'occupant en organisant la communauté obligatoire”[127]. A son point de vue aussi, les notables institués ne peuvent “pas compter sur l'aide des masses juives”[128]. L'A.J.B - cette extrême-gauche sioniste le répète encore en juin 1942 - est l'“instrument de notre ennemi le plus sanglant”[129]. Dans sa véhémence lyrique, le tract que le parti sioniste diffuse, le 10 mai, pour le deuxième anniversaire de l'invasion allemande flétrit l'institution comme “le marteau forgé de notre sang et de notre chair qui, manoeuvré par les nazis, assène des coups aux ouvriers et masses juives”[130]. En un mot, “l'AJB est l'exécuteur direct de la Gestapo dans la communauté juive” .

Au moment où cette A.J.B. distribue les convocations pour la déportation, cette contestation véhémente de la politique des notables juifs prend chez les communistes juifs la forme la plus violente. Au delà des mots de l'histoire, les gestes de cette résistance juive et communiste obligent à prendre acte qu'il n'y a aucun flou dans les clivages chez les Juifs de la solution finale. Au contraire des représentations unanimistes de la mémoire collective, ces Juifs du temps du génocide ne conçoivent pas une stratégie unique de défense dans cette tragédie commune. La guerre, l'occupation, la persécution antisémite, la déportation des Juifs et même leur extermination ne constituent pas, à cet égard, une cé­sure. Ces cir­constances n'annulent aucunement les modèles socio-politiques et culturels d'a­vant­-guer­re. Ils s'adaptent aux conditions nouvelles et à leurs contraintes, sans pour autant évacuer leurs différences.

On s'interdit de saisir cette dynamique de l'histoire réelle en excluant de sa mémoire les Juifs et communistes des premières années quarante. C'est leur comportement d'alors qui oblige à se poser les questions de l'histoire.


* Publié dans Hertz Jospa, Juif, résistant, communiste, MRAX-EVO, Bruxelles, 1997.
**  Publié dans L'insurrection du ghetto de Varsovie, textes réunis par Joël Kotek autour de Raul Hilberg, Complexe-CEESAG, Bruxelles, 1994, pp.99-116.

[1]. Annie Kriegel au colloque la résistance juive, in Le Monde juif, n°118, avril-juin 1985, p.53. Le colloque organisé est organisé par le Centre de Documentation Juive Contemporaine de Paris  en collaboration avec l'Amicale de Liaison des Anciens Résistants Juifs.
[2]. D. PECHANSKI, “La singularité et l’intégration”, in De l'exil à la résistance, Réfugiés et immigrés d'Europe centrale en France  1933-1945, Ed. P.U. de Vincennes-Arcantère, 1989, (actes du colloque international, à l'Institut du Temps Présent, à Paris  en 1987).
[3]. Voir M. MARRUS, L'holocauste dans l'histoire, Flammarion, Paris , 1990, n. 54, p.310.
[4]. in Le Monde juif, n°118, avril-juin 1985, p.50.
[5]. Henri Bulawko, "L'Étoile et le Fusil, La Traque des Juifs", in Cahiers Bernard Lazare, n°117/118, janvier-juin 1987, p.135. Voir aussi les références dans A. rayski , Le choix des Juifs sous Vichy , entre soumission et résistance, Ed. La Découverte , Paris , 1992.
[6]. Voir M. MARRUS, L'holocauste dans l'histoire, Flammarion, Paris , 1990, p.192
[7]. Voir notamment le dossier de Points Critiques sur L'Étoile et le Fusil, n°30/31. Voir aussi M. STEINBERG, Un certain regard in Points Critiques, n°32.
[8]. L'ouvrage de S. Brachfeld, (Ils n'ont pas eu les gosses, Institut de Recherche sur le judaïsme belge, Herzlia, (1989), est typique: il légitime, au moment où l'ancien Enfant caché prend le relais de la mémoire des derniers rescapés de la déportation, celle des anciens pensionnaires des homes légaux juifs de l'occupation.
[9]. L'écriture des documents de l'histoire orale pose problème. Très souvent, le témoin n'est pas l'auteur du texte de son témoignage. C'est le cas de A. Nejszaten, dans Partisans armés juif, 38 témoignages, Ed. Les enfants des Partisans juifs de Belgique , 1991. Dans ce règlement de compte avec le Parti communiste, son fils, Michel, tient la plume. Le fait n’est pas négligeable dans la mémoire égarée du père. Le fils n’a pas seulement la motivation filiale des “Enfants de Partisans”. Il a aussi son propre compte à régler avec le parti communiste. Dans les années ‘60, il a appartenu à la dissidence maoïste. Les “marxistes-léninistes” belges, les “grippistes” inclinent à imputer le ‘révisionnisme ’ du P.C.B. aux changements survenus dans sa direction pendant la guerre, après l'arrestation de Jacques Grippa. Écrivant pour son père, M. Nejszaten organise sa mémoire comme argumentaire de cette thèse. Pour apprécier combien le militant excelle à dénaturer ce qui ne lui convient pas, il vaut la peine de lire son pamphlet largement diffusé par mailing, “Campagne de discrédit contre les partisans juifs (réponse à l'historien Maxime Steinberg )”, n°4, 1992, ASBL Renouveau ouvrier, Seraing, éd. resp. M. Nejszaten.
[10]. Auparavant, le débat se limite aux remous que provoquent, tantôt, la publication d'un livre (ainsi B. GARFINKELS, Les Belges face à la persécution raciale 1940-1944, CNHEJ-ULB, Bruxelles, 1965); tantôt, un geste symbolique (ainsi, en 1972, la substitution de l'étoile de David à la croix sur les tombes de résistants juifs fusillés au Tir national à Schaerbeek ( voir sur cette affaire, M. STEINBERG, "La problématique de la résistance juive", in Points critiques, revue trimestrielle de l'Union des Progressistes Juifs de Belgique , novembre 1979, n°2, pp. 8-29.)
[11]. Voir S. COURTOIS, D. PESCHANSKI & A. RAYSKI, Le sang de l'étranger, les immigrés de la M.O .I. dans la Résistance , Fayard, Paris , 1989, p. 362.
[12]. 49 étrangers  et 34 juifs, ibidem, p. 351.
[13]. Ibidem, p. 9.
[14]. Partisans armés juif, 38 témoignages, Ed. Les enfants des Partisans juifs de Belgique , 1991.
[15]. "Werden joodse partisanen verraden door sommige leiders van het Onafhankelijkeidsfront en de Kommunistische Par­tij?", in Belgisch Israelitisch Weekbland, 7 juin 1991.
[16]. Voir le détail in M. STEINBERG, L'Étoile et le Fusil, La Traque des Juifs, t.3, vol. 2, Ed. Vie Ouvrière, Bruxelles, 1987, pp. 169-172.
[17]. Dans le droit de réponse qu'il fait adresser à la presse. Voir A. NEJSZATEN, “Rechtzetting naar aanleiding van de artikels ‘Werden joodse partisanen verraden door sommige leiders van het Onafhankelijkeidsfront en de Kommunistische Par­tij?’”? in Belgisch Israelitisch Weekbland, 28 juin 1991. Voir aussi M. BAILLY, “Témoins contre historiens”, in Le Soir, 27 juin 1991.
[18]. S. COURTOIS, D. PESCHANSKI & A. RAYSKI, ouvr. cit, p.384.
[19]. En revanche, dans l'affaire Manouchian en France , un passage de dernière lettre de Missik Manouchian à sa compagne, Mélinée, le 21 février 1944 se prête à toutes les hypothèses. Manouchian écrit: “je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus ” . Manouchian, jugé par un conseil de guerre, désigne par ces derniers les policiers français qui l'ont livré, avec ses camarades, aux occupants allemands. Voir ibidem, p. 370.
[20]. Archives (clandestines) de la fédération bruxelloise du P.C.B. (communiqué par José Gotovitch), “Rapport sur l'existence d'un courant d'autonomie qui règne parmi les P.A. de Bruxelles au lendemain des arrestations”, signé: Maas, non daté, voir M. STEINBERG, L'Étoile et le Fusil, La Traque des Juifs, t.3, vol. 2, p. 179. L 'identification de Maas n'est pas correcte dans l'ouvrage. Emmanuel Maïler qui s'est aussi appelé “Maas” ne se reconnaît pas dans l'écriture de ce rapport. Sa relation aux dirigeants du parti communiste était plus familière.
[21]. C'est l'allégation qui figure dans Partisans armés juif, ouvr. cit., p. 374. Dans cette lecture, la dénonciation de la dissidence “implique selon les règles en vigueur à l'époque une CONDAMNATION A MORT. Effectivement, de soi-disant "dissidents" ont été exécutés sur ordre de certains responsables, d'après un faisceau d'éléments probants: Müller et Alex Glaz. Jules, quant à lui, s'est senti encerclé et a échappé de justesse à des poursuivants en réussissant à contacter un responsable qui le connaissait personnellement. Émile Glaz était également recherché et dégoûté, il s'est quasiment laissé arrêter comme réfractaire au travail obligatoire. Il faut remarquer ici le procédé d'insinuation qui consiste à évoquer l'existence d'“un faisceau d'éléments probants” dont aucun n'est présenté.
[22]. Voir le détail, dans M. STEINBERG, L'Étoile et le Fusil, La Traque des Juifs, t.3, vol. 2, pp. 172-184 .
[23]. Voir Partisans armés juifs, 38 témoignages, p. 375.
[24]. M. BAILLY, “ Des Partisans armés juifs trahis?”, in Le Soir, 12 juin 1991.
[25]. Suite aux réactions suscitées, le Belgische Israelitische Weekblad finit par publier un état de la question (M. MARREVEELD, “Belgisch-joods verzet beschuldigt communistsche leiding van verraad", Belgische Israelitische Weekblad, 29 novembre 1991) dont la conclusion porte qu'“après plus de quarante ans, il semble qu'on ne puisse fournir la preuve des accusations de trahison d'Abraham Nejszaten”.
[26]. Partisans armés juifs, p. 363.
[27]. Denis Peschanski, in Le Monde juif, n°118, avril-juin 1985, p.52.
[28]. L. LAZARE, La Résistance juive en France , Paris , 1987, p.128
[29]. A. KASPI, Les Juifs pendant l'occupation, Le Seuil, Paris , 1991 p. 317.
[30]. Ibidem, p. 15.
[31]. Ibidem, p. 321.
[32]. Denis Peschanski au colloque sur la Résistance juive, in Le Monde juif, n°118, avril-juin 1985, p.52.
[33]. Annie Kriegel, ibidem, p.54.
[34]. Ibidem, p.55.
[35]. J. ADLER, Face à la persécution, les organisations juives à Paris  de 1940 à 1944, Paris, Calmann-Lévy, 1985p. 213.
[36]. R. POZNANSKI, Être juif en France  pendant la Seconde Guerre mondiale, Hachette, Paris , 1995, pp.504-505.
[37]. A. RAYSKI, Nos illusions perdues, Balland, Paris , 1985, p.91, cité d'après A. KASPI, ouvr. cit., p. 285
[38]. Préface de F. Bédarida, in A. rayski , Le choix des Juifs sous Vichy , ouvr. cit., p. 11.
[39]. Stéphane Courtois, in Le Monde juif, n°118, avril-juin 1985, p.59.
[40]. S. COURTOIS & A. RAYSKI, Qui savait quoi? L'extermination des Juifs 1941-1945, La découverte, Paris , 1987
[41]. A. Rayski, La M.O .I.: spécificité de la résistance juive”, in De l'exil à la résistance, Réfugiés et immigrés d'Europe centrale en France  1933-1945, Ed. P.U. de Vincennes-Arcantère, 1989, p. 251.
[42]. A. rayski , Le choix des Juifs sous Vichy , ouvr. cit. , p.317.
[43]. J. ADLER, “L’historiographie de la résistance juive en France ”, in Le Monde juif, n°118, avril-juin 1985, p. 41.
[44]. L’expression est de Georges Wellers au colloque la résistance juive, in Le Monde juif, n°118, avril-juin 1985, p.50.
[45]. A. Latour, La résistance juive en France  1940-1944, Paris , 1970, p. 12.
[46]. L Poliakov, Le bréviaire de la haine, Paris , 1951, p. 257-258.
[47]. H. Arendt, Eichmann à Jérusalem, Paris , 1966, p.18.
[48]. L. LAZARE, Le Livre des Justes, histoire du sauvetage des juifs par des non juifs en France , 1940-1944, J. C. Lattés, 1993.
[49]. L. STEINBERG, La révolte des Justes, les Juifs contre Hitler , Paris , 1970, p.19
[50]. A. Latour, ouvr. cit. , p. 12.
[51]. D. Diamant, Les Juifs dans la Résistance française, Paris , 1971, p. 19.
[52]. Ibidem, p. 17
[53]. J. Ravinne La résistance organisée des Juifs en France  , Paris , 1973, p. 30. ,
[54]. Arnold Mandel, dans L’Arche, juin-juillet 1973, n° 196, cité d’après A. RAYSKI, Le choix des Juifs, ouvr. cit. , p. 319.
[55]. Voir l’allocution d’André Kaspi au colloque sur la résistance juive, in Le Monde juif, n°118, avril-juin 1985, p. 39.
[56]. Annie Kriegel, ibidem, p.55,
[57]. A. COHEN, La Shoah , Ed. Cerf, Paris , 1990, p. 83; également in A. COHEN, Persécution et sauvetage, Juifs et Français sous l'occupation et Vichy , Cerf, Paris, 1993, p. 364.
[58]. L. LAZARE, La Résistance juive en France , p. 178
[59]. A. KASPI, Les Juifs pendant l'occupation, p. 373-374.
[60]. L. LAZARE, ouvr. cit., p.227.
[61]. A. KASPI, ouvr. cit., p. 321
[62]. Ibidem, p. 373-374.
[63]. Ibidem, p. 322.
[64]. Annie Kriegel admettait que “souligner la prégnance du paramètre que constitue le salut des Juifs pour s’autoriser à parler de Résistance juive est plus facile à dire qu’à faire: il aurait fallu connaître beaucoup mieux qu’on ne le connaissait et que peut-être il se connaissait lui-même le projet nazi, ses étapes et ses modalités pour, à coup sûr et sans aucune incertitude ni ambiguïté, statuer sur l’économie de salut qui devait s’imposer aux Juifs, militant du rang, ou notable ou responsable,
[65]. A. COHEN, Persécutions et sauvetages, ouvr. cit., p. 365.
[66]. Ibidem, p.366.
[67]. A. Cohen est persuadé que “le fait que la spécificité de la politique antijuive devait être évidente pour déclencher une action efficace”. Il l'écrit - il s'en “inquiète” [sic] même! - après son analyse de la “distorsion” qu'introduisaient les communistes: "l'information fut déformée afin qu'elle s'ajuste à la ligne générale de propagande du parti (Ibidem, p.320).
[68]. cité d'après M. MARRUS, ouvr. cit. , p. 192.
[69]. R. POZNANSKI, Être juif en France  pendant la Seconde Guerre mondiale, pp. 505-518.
[70]. Le journal Libération (zone Sud), n°14, 24 juin 1942 se réfère déjà à la déclaration du général Sikorski, Voir A. COHEN, Persécutions et sauvetages, ouvr. cit., p. 320.
[71]. “La question juive”, in Bulletin intérieur du Front de l'Indépendance, 17 octobre 1942.
[72]. Une circulaire de Simon aux Éclaireurs Israélites de France , en août 1942 reprend l'essentiel de l'émission du 2 juin 1942, indiquant qu'"à Minsk, récemment 35.000 Juifs ont été passés à la mitrailleuse et, depuis l'occupation allemande, 700.000 Juifs ont été tués en Pologne, femmes, vieillards, enfants, hommes, tout y est passé, soit chambres à gaz, soit massacres (Alain MICHEL, Les Éclaireurs Israélites de France pendant la Seconde Guerre Mondiale, Paris , 1984, p. 123 cité d'après L. LAZARE, ouvr. cit., p. 177.)
[73]. Voir le texte in S. KLARSFELD, Vichy -Auschwitz , le rôle de Vichy dans la solution finale de la question juive en France , Fayard, Paris , 1983, vol. 1,, pp. 361-362.
[74]. La lettre précise: “et notamment d'en exclure tous les anciens combattants et volontaires étrangers  avec leurs familles, les enfants de moins de 18 ans isolés, et en tout cas, les jeunes filles pour qui ces déportations  risquent d'avoir les conséquences les plus révoltantes”.
[75]. M. MOCH et A. MICHEL, L'étoile et la francisque, les institutions juives sous Vichy , éd. du Cerf, Paris , 1990, p. 153. Voir également, R. POZNANSKI, Être juif en France  pendant la Seconde Guerre mondiale, p.426. Voir aussi A. COHEN, Persécutions et sauvetages, ouvr. cit., p. 293 qui parle d'“une diffusion extrêmement large pour ainsi dire sans précédent, par rapport aux protestations présentées jusqu'alors”.
[76]. Cette politique de moindre mal est d’autant moins adéquate en la circonstance que c’est précisément la politique du Gouvernement français dans la déportation des Juifs de France  qui la fait basculer dans le génocide des Juifs d’Europe, en suggérant aux officiers SS  de la solution finale de déporter également les enfants qu'il n'avait pas osé exiger. Voir M. STEINBERG, "Le paradoxe français dans la solution finale à l'Ouest", in Présence du passé, lenteur de l’histoire, Vichy , l’Occupation, les Juifs, in Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, n°3, mai-juin 1993, pp. 567-582.
[77]. “La question juive”, in Bulletin intérieur du Front de l'Indépendance, 17 octobre 1942.
[78]. [CDJ], Rapport sur la population juive du mois de septembre 1942 jusqu'à la fin de décembre 1943
[79]. Selon la définition d'Annie Kriegel, in Le Monde juif, n°118, avril-juin 1985, p.55,
[80]. Voir sur ce débat ‘belge’ des années soixante, M. STEINBERG, "Les débats d'une mémoire", in P. BRODER, Des Juifs debout contre le nazisme, présenté par Maxime Steinberg , E.P.O., Bruxelles, 1994.
[81]. L. STEINBERG, Le comité de défense des Juifs en Belgique  1942- 1944, C .N.H.J., Bruxelles, 1973, p. 88. Dans cette lecture unanimiste, Lucien Steinberg découvre même “l’apparition d’un instinct de conservation national. Les mères juives ont senti que la préservation du peuple juif passait par la séparation de leurs enfants”. Son préfacier, Henri Bernard, historien de la résistance belge, y aperçoit le “miracle d’Israël”, cette volonté d’Israël de survivre [qui] s’est manifestée chez nous”, en Belgique, “par l’action admirable du C.D.J.
[82]. [G. JOSPA], “la question juive en Belgique ”, [1945], 7 pages. Le document, découvert tout récemment , corrobore la reconstitution de la démarche de Jospa dans M. STEINBERG, L'Étoile et le Fusil, 1942, Les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique, Éditions Vie Ou­vrière, Bruxelles, 1984, t 2, pp. 115 et suivantes et dans M. STEINBERG, L'Étoile et le Fusil, La Traque des Juifs, t.3, vol. 1, chapitre III "La défense juive". Le texte de Jospa a toutefois l'avantage de mieux éclairer son rôle personnel au moment de convaincre le parti communiste de la validité de sa proposition. Malheureusement, il ne fournit pas d'information sur ses interlocuteurs et sur leurs attitudes.
[83]. Archive du P.C.B., “Jeanne” (formulaire biographique), Voir M. STEINBERG, L'Étoile et le Fusil, 1942, Les cent jours de la déportation, ouvr. cit., p. 59.
[84]. Archive du P.C.B., “Je suis né à Varsovie  [..] Edgar”, Bruxelles, le 23 août 1944 Voir M. STEINBERG, L'Étoile et le Fusil, 1942, Les cent jours de la déportation, p.61.
[85]. “Nouvelles de l'U.R.S.S.”, in Le Flambeau, mars 1943.
[86]. “Le 25e anniversaire de l’Armée rouge”, in Le Flambeau, mars 1943.
[87]. La masse des Juifs de Belgique  n'a pas été déportée dans quelque camp de concentration que ce soit. Les deux tiers des 25.000 déportés juifs sont assassinés dès leur sortie des trains, à l'arrivée d'Auschwitz .
[88]. “Historique du C.D.J.”, signé: Yvonne, 7.7.1944.
[89]. CDJC CXXI-44 La situation des Juifs en Belgique ” , rapport sioniste anonyme de mars 1944
[90]. Voir M. STEINBERG, L'Étoile et le Fusil, La Traque des Juifs, t.3, vol. 1. chapitre VII
[91]. “Union sioniste, Poale Sion et Sionistes-socialistes au chef responsable du département enfant, Bruxelles le 28 avril l944”, reproduit in R. DELATHOUWER, Comité de Défense des Juifs - CDJ - Témoignages et docu­ments recueillis entre 1947 et 1951, (Bruxelles, 1951, polycopie, non paginé.
[92]. [CDJ], Rapport sur la population juive du mois de septembre 1942 jusqu'à la fin de décembre 1943
[93]. Voir à ce sujet la note critique sur la 9e Brigade du Mouvement National Belge (le M.N.B.), in M. STEINBERG, L'Étoile et le Fusil, La Traque des Juifs, t.3, vol. 2, p. 27, n.31.
[94]. Le Front de l'Indépendance et nous, les Juifsdans Unzer Kampf (Bruxelles), n°5, août 1944.
[95]. “La résistance des Juifs”, in Le Flambeau, mars 1943.
[96]. “Quand la bête est acculée”, in Le Flambeau, mars 1943.
[97]. “Le martyrologue des Juifs en Belgique ”, in Flambeau, n°4, novembre 1943.
[98]. Association des Juifs en Belgique  Comité directeur (cir­culaire jointe à l'ordre de prestation de tra­vail), voir le document original reproduit dans M. STEINBERG L'Étoile et le Fusil, Les cent jours de la déportation, t.2., ouvr. cit., p. 186.
[99]. “Préparons le soulèvement national! Pour vivre et vaincre, il faut lutter”, in Le Drapeau Rouge, n°66, 25 mai 1944.
[100]. “Mon frère à Bruxelles”, écrit-il, “était de ceux qui encourageaient le Parti à entrer dans cette voie. Il me rallia à son opinion et, dans mon entourage à Anvers , j'ai propagé l'idée que le temps était venu de lutter les armes à la main. Avec d'autres camarades, j'ai in­sisté et enfin, les premiers pas furent franchis à An­vers” ( voir Partisans armés juifs, 38 témoignages, ouvr. cit., p. 335).
[101]. Le 28 décembre 1941, sont exécutés John De Renty, Louis Lenaerts et Jules de Walle, arrêtés en septembre 1941.
[102]. Voir la signature de A. Nejszaten, “droit de réponse à l'article “Des partisans armés juifs ont-ils été trahis”,  in Belgische Israelitische Weeklabd, 28.6.1991.
[103]. Voir sur ce point J. GOTOVITCH, Du rouge au tricolore, résistance et parti communiste, Ed. Labor, Bruxelles, 1992, p. 157 et sq.
[104]. Ibidem, p. 168.
[105]. cité d’après J. GOTOVITCH, p. 172.
[106]. “L'ignominieuse persécution des Juifs. Aidons les Israélites à résister à leurs bourreaux“, in Le Drapeau rouge, Le Drapeau Rouge, n°33, août 1942.
[107]. voir M. STEINBERG, L'Étoile et le Fusil, Les cent jours de la déportation, t.2, pp. 213-219. Également M. STEINBERG, L'Étoile et le Fusil, La Traque des Juifs, t.3. vol. 2, pp. 42-43.
[108]. Archives privées. A.J.B. rapport sur l'incident survenu en date du samedi 25 juillet 1942 au local sis 56, boulevard du Midi à Bruxelles où s'effectuait la recopie des fiches individuelles des membres de l'AJB.
[109]. Nous persévérerons” , in Unzer Wort, n°, fin mai (1944).
[110]. On remarquera que le journal communiste lit cette déportation en terme de mise au travail , et non d'extermination.
[111]. D'après P. Broder (in Des Juifs debout contre le nazisme, ouvr. cit.), G. Jospa serait à l'origine des deux attentats contre l'A.J.B. “Gert Jospa se dépensa sans compter pour recueillir des renseignements sur ce qui se faisait et se disait au sein du Comité Directeur de l'A.J.B., afin de pouvoir contrecarrer l'activité néfaste de cette dernière”. Max Katz, l'un des trois responsables - avec Broder justement - du groupe juif communiste de Charleroi, avait ses entrées à l'A.J.B. de Bruxelles. Il était, à titre d'employé, secrétaire du comité de l'A.J.B. de Charleroi. “C'est Max Kaz qui [..] signala à G. Jospa la décision de l'A.J.B. de Bruxelles de fournir à la Gestapo une nouvelle liste et des fiches individuelles de toute la population juive [..]Quand Jospa eut obtenu ces renseignements, il s'adressa aux Juifs partisans armés et, le 29 juillet 1942, quatre partisans juifs, sous le commandement de Charles Rochman, firent irruption dans le local de l'A.J.B., boulevard du Midi, à Bruxelles” [..] Ce fut encore Max Katz qui signala l'activité dangereuse d'un membre du Comité Directeur de l'A.J.B., agent de liaison entre cette dernière et la Gestapo : le nommé Holzinger [..] , qui fut abattu par les Juifs P.A. en plein jour, à Bruxelles, au mois d'août 1942 .
[112]. “Résistez aux bourreaux antisémite s et frappez leurs complices”, in Le Drapeau rouge, n°35, septembre 1942
[113]. Et non pas de récupérer des armes sur les cadavres allemands, comme le dit la mémoire embourbée dans le syndrome Manouchian.
[114]. “Communiqué n°12 du Commandant des Partisans”, in Le Partisan n°5, janvier 1943.
[115]. S. VANDEN BERG, “Journal de guerre”, entrée du 1er septembre 1942.
[116]. ibidem, entrée des 4-5-6 septembre 1942.
[117]. L. LAZARE, La Résistance juive en France , pp. 126-227
[118]. Archives privées. Le Grand rabbin de Belgique , Bruxelles, le 8 septembre 1942, à M. le Chef de l'administration militaire . Conc. la demande de démission du président de l'Association des juifs en Belgique.
[119]. Voir M. STEINBERG, L'Étoile et le Fusil, La Traque des Juifs, t.3. vol.1, pp. 72-74.
[120]. M.S.P. P.V. du C.D de l'A.J.B. Rapport de l'entretien de MM. Benedictus et N. Nozyce avec M. von Hahn, conseiller d'administration militaire , le 14 septembre 1942.
[121]. M. BENEDICTUS, "Historique du problème juif en Belgique  depuis le 10 mai 1940 jusqu'au 21 décembre 1942” , Lisbonne le 18 février 1943, p. 15.
[122]. Les communistes juifs ne sont parvenus à un tel résultat que dans la petite communauté de Charleroi où ils décident le comité local de l'A.J.B. de se saborder au moment de la rafle du 24 septembre 1942. A la différence de leurs camarades des autres villes, ils s'étaient introduits, par le biais de leur cuisine populaire, dans les services de l'A.J.B. locale. Voir P. BRODER, Des Juifs debout contre le nazisme, ouvr. cit. Également M. STEINBERG, L'Étoile et le Fusil, 1942, Les cent jours, ouvr. cit., p. 115.
[123]. Archives privées (communiqué par J. Gotovitch) Verslag werking MOI der laatste 6 maanden, signé: Jos, (15 juin 1942, Anvers ) Rapport sur l'activité M.O.I. “Jos” est Meyer Balkan.
[124]. Il s'agit de l'Association du Reich des Juifs en Allemagne , créée par l'ordonnance du 4 juillet 1939. Cette communauté relevait de l'Agence centrale pour l'émigration juive, organisme du Service de sécurité de la SS , qui à l'époque n'a pas encore fusionné avec la police d'état.
[125]. Temps Nouveaux, 20 décembre 1941, p. 7.
[126]. “L'Ecole juive”, dans Temps Nouveaux, n° 21, avril 1942. L 'article communiste prend argument présence d'un jeune trotskiste dans le personnel enseignant de l'Ecole moyenne juive pour démontrer que “l'association juive ne peut donc avoir la confiance de la population”.
[127]. Les masses juives sous la botte nazie, in Unzer Wort, n°1, décembre 1941.
[128]. Les inquisiteurs nazis au travail, in Unzer Wort, n°2, mars 1942.
[129]. Unzer Wort, n°4, juin 1942.
[130]. Archives privées, Aux travailleurs et masses populaires juifs de Belgique , (tract en yiddish, pour le deuxième anniversaire de l'occupation, fin mai 1942).