20. Le paradoxe de Wannsee

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20.  1 La mémoire de la conférence
20.  2 Une conférence des secrétaires d'Etat?
20.  3 Le lieutenant de la solution finale
20.  4 Le tournant de l'automne 1941
20.  5 Les possibilités de l'Est
20.  6 L'ordre de liquider tous les Juifs
20.  7 L'hypothèque du travail
20.  8 Les pleurs de la bourgeoisie
20.  9 Le test des Juifs allemands
20.10  Les appareils à gaz pour les inaptes
20.11  Les camions de la mort à Chelmno
20.12  Le paradoxe du 20 janvier 1942

20.1 La mémoire de la conférence*

La mémoire ne fonctionne pas comme l'histoire. Pour se souvenir, il lui faut certes aussi des repères dans le temps et dans l'espace, mais elle les charge d'une symbolique qui, réductrice dans ses représenta­tions, déforme la complexité historique, voire l'occulte. Dans la mé­moire du génocide, la conférence de Wannsee, moins notoire que le sym­bole d'Auschwitz, a subi la même dérive perverse[1]. Ériges en “conférence d'une importance décisive[2], les entretiens du 20 janvier 1942 sur les bords du Wannsee, près de Berlin, ont été considérés comme le point de départ du génocide et assignés à l'emploi de figurer le moment de la décision “de passer à l'extermination physique des Juifs[3]. Une pédagogie plus expéditive ne craint même pas d'enseigner, en un raccourci caricatural à force de schématiser l'histoire, qu''“à la conférence de Wannsee, Hitler et les dirigeants nationaux-socia­listes décident d'[...] organiser la solution finale  du problème juif en Europe par la déportation et l'extermination[4].

Le paradoxe de cette fameuse conférence de Wannsee, c'est que la mé­moire n'y trouve pas ce que, faute d'en avoir compris l'enjeu réel, elle s'acharne à y lire à n'importe quel prix. Le “procès-verbal de conférence” qui a été conservé n'a cessé d'être sollicité en tous sens comme s'il avait été rédigé sur mesure[5]. Un document d'histoire n'est toujours qu'une fenêtre entrebâillée qu'il faut apprendre à entrouvrir en appliquant les règles du métier[6]. La critique historique n'a d'objet que dans ce rapport à l'histoire en cours. A l'encontre du regard rétrospectif, elle n'emprunte pas à cette dernière les éléments les plus susceptibles de valider les sym­boles du temps présent.

Le discours métahistorique se compose lui à rebours de l'accompli sans s'apercevoir qu'il altère, ce faisant, le sens de cet accomplissement. Du texte de Wannsee, il ne retiendra que ce qui le conforte dans une pédagogie de l'horreur, mais qui dénature le génocide de son atrocité singulière. Le procès-verbal traitant de “l'évacuation des Juifs vers l'Est” annonce que “la solution finale du problème juif en Europe de­vra être appliquée à environ 11 millions de personnes” et précise que, “dans [ce] cadre”, les “valides” seront “affectés au service du tra­vail”. “Il va sans dire”, insiste ce passage fameux, “qu'une grande partie d'entre eux s'éliminera tout naturellement par son état de dé­ficience physique. Le résidu qui subsisterait en fin de compte - et qu'il faut considérer comme la partie la plus résistante - devra être traité en conséquence”.

Cette notion nazie d'extermination par le travail n'avait jamais été formulée de manière aussi explicite avant la conférence de Wannsee. Elle laisse entrevoir - implicitement, faut-il le dire - le sort ré­servé aux autres, les plus nombreux, ces millions de Juifs inaptes au travail de forçat et dont le texte de Wannsee a bien soin de ne pas parler. Il n'en faut guère plus au discours de la mémoire pour pré­tendre qu'à Wannsee, “la solution finale  de la question juive prend son sens véritable[7].

Une telle interprétation du judéocide serait un contresens histo­rique. Il consiste à amalgamer les morts dans l'enchevêtrement de tous les crimes nazis. Comme la notion tout aussi ambiguë de “camp” d'extermination, cette lecture d'une extermination “par tous les moyens” confond la mort concentrationnaire avec “la grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre[8]. Himmler, le chef des SS, s'en expliquait dans un discours secret bien plus explicite que n'importe lequel des propos tenus à Wannsee. Dans le discours d'Himmler expert en la ma­tière, les massacres, fussent de Juifs, ne suffisent pas à faire l'événement. Ce qui fait la différence du judéocide et qui signifie, dans la réalité historique, cette “grave décision de faire disparaître ce peuple”, c'est, selon Himmler, la mise à mort des enfants juifs. Elle excluait, de la part de ses services, l'improvisation d'une ex­termination par “tous les moyens”, et en particulier le recours à ce travail forcé dans les camps de concentration effectivement meurtrier, mais aucunement typique du judéocide.

Identifier à l'extermination systématique des Juifs cette perspective de la mise au travail inscrite dans le texte de Wannsee revient à faire l'impasse sur l'exposé du lieutenant d'Himmler, le 20 janvier 1942. Lui présentait “l'évacuation des Juifs vers l'Est” parmi les “palliatifs” et s'il parlait, dans ce “cadre”, du travail des “valides”, il assurait son auditoire que ses services, quant à eux, mettaient déjà “à profit [leurs] expériences pratiques, si indispen­sables à la solution finale à venir du problème juif”. Le texte de Wannsee reste des plus discrets à ce sujet, mais d'autres documents d'époque en disent davantage et instruisent la singularité génoci­daire de ces “pratiques” avant la conférence de Wannsee.

En l'occurrence, la vérité du 20 janvier 1942 n'est pas dans le pro­cès-verbal de conférence. Le document ne saurait être détaché de son contexte. En resituant l'enjeu réel de Wannsee, on s'apercevra que cette “évacuation des Juifs vers l'Est” annoncée dans le document était déjà en cours et qu'en la circonstance, le service compétent mettait au point la technologie la plus  appropriée à l'entreprise du génocide. L'ordre du jour de cette conférence “au sujet de la solution finale” n'était aucunement de prendre quelque décision que ce soit. Il s'agissait certes d'une “conférence des secrétaires d'Etat”, comme en témoigna Eichmann, qui en avait rédigé “le procès-verbal[9], mais les hautes personnalités de l'Etat et du parti nazis s'étaient réunies, le 20 janvier 1942 à l'invitation du lieutenant d'Himmler pour les af­faires de police. La rencontre se déroula au siège d'Interpol, - le n°56-58 au Grand Wannsee - dont il avait la présidence et en présence de ses officiers supérieurs de la SS et de la police. Dans un tel cadre, le rôle des secrétaires d'Etat invités n'avait, en aucune fa­çon, l'importance de leur rang.

20.2  Une conférence des secrétaires d'Etat?

Aux dires d'Eichmann, “il n'y avait jamais eu auparavant une confé­rence de cet ordre et il n'y en eut plus par la suite réunissant au­tant de personnalités[10]. Ce témoignage donné pendant l'instruction de son procès à Jérusalem en 1961 ne saurait être négligé. Tout autant que le “procès-verbal de conférence”, “l'évacuation des Juifs vers l'Est”, qui y est annoncée, porte l'empreinte personnelle d'Adolf Eichmann. La liste des participants à la conférence le renseigne comme délégué de l'Office Central de la Sécurité du Reich. Eichmann y était le chef du bureau IV B-4, chargé précisément des “affaires juives et [de l']évacuation” et ce service fonctionna, tout au long de la solu­tion finale, comme le dispatching de cette formidable migration de millions de personnes vers leur mort[11]. Interrogé sur ses graves res­ponsabilités, l'accusé de Jérusalem tenta d'évacuer sa présence à la conférence de Wannsee. Il y était “un pantin”, affirma-t-il, implorant le policier israélien qui actait ses déclarations, d'ajouter des guil­lemets au mot. Il avait été “bien trop petit”. “A vrai dire”, Eichmann récusait même les guillemets. “Tous les autres étaient, en général, des Obergruppenführer (généraux de corps d'armée) et des Gruppenführer (généraux de division)”. “Qui, parmi ces messieurs, se préoccupe d'un petit lieutenant-colonel[12]? A l'entendre, il y avait là tout “le gra­tin[13]. “C'est la première fois de ma vie que je prenais part à une telle conférence avec de hauts fonctionnaires, des secrétaires d'Etat”, insista-t-il comme s'il était encore ébloui d'avoir été to­léré dans une assemblée aussi prestigieuse. Dans la logique de cette stratégie de défense, le tout petit lieutenant-colonel de la Sécurité du Reich livrait néanmoins une indication qui, rétablie dans sa signi­fication historique, mérite toute l'attention. Le témoin de Jérusalem souligne le rôle, à Wannsee, du lieutenant d'Himmler, le tout puissant général d'armée SS Reinhard Heydrich d'autant plus imposant dans le témoignage d'Eichmann que ce dernier s'y faisait tout petit. Heydrich aurait donc convoqué tout “le gratin” pour “faire saisir l'étendue de son influence”. La “vanité légendaire” d'Heydrich l'aurait incité à réunir une assemblée si importante pour s'y prévaloir comme “le maître absolu de tous les Juifs dans les territoires occupés par l'Allemagne ou situés dans sa zone d'influence”. En somme, la “conférence des se­crétaires d'Etat” n'aurait été qu'une manière d'affirmer l'autorité du lieutenant d'Himmler dans la solution finale. Pour autant que cette problématique soit saisie dans le contexte de Wannsee, le texte de cette conférence se laisse lire de ce point de vue bureaucratique.

20.3 Le lieutenant de la solution finale

Les quinze pages dactylographiés du “procès-verbal” se présentent, en effet, comme la conférence du chef de la police de sécurité et du ser­vice de sûreté. Sept pages y sont réservées à son exposé et si le nom du lieutenant d'Himmler ne figure pas sur la liste des personnalités présentes, les quatorze nommées sont bel et bien venues à Wannsee pour l'entendre, au plein sens du terme. D'entrée, Heydrich informe l'“assemblée [de] sa nomination au poste de plénipotentiaire pour la préparation de la solution finale”. Il tient cette nomination du Maré­chal du Reich, Hermann Goering. Le document date du 31 juillet 1941 et confirme un mandat antérieur attribué en 1939, le 24 janvier. Heydrich a joint, le 29 novembre, la photocopie de la lettre d'habilitation à ses convocations comme si la réunion avait pour raison d'être de faire connaître aux “instances centrales compétentes” les pouvoirs qui lui ont été conférés en matière de solution finale “dans la sphère d'influence allemande en Europe”, quatre mois plus tôt[14].

La “vanité légendaire” d'Heydrich - pour conserver le mode psycholo­gique du témoignage d'Eichmann - n'avait nullement besoin d'un docu­ment signé du principal lieutenant d'Hitler. Avant même que le Maré­chal Goering lui en donnât acte par écrit le 31 juillet, Heydrich était, pour ses agents installés dans les territoires occupés, rien de moins que le “commissaire européen aux question juives[15]. Cette “mission” qu'il “a reçu[e] du Führer” justifiait, un mois avant le mandat de Goering, “ses bureaux en France” d'intervenir, dans ce ter­ritoire sous administration militaire, “afin de pouvoir, en temps utile, agir avec une efficacité à 100 % comme services extérieurs du commissaire européen aux question juives”. Dès janvier 1941, ses agents estimaient que, “conformément aux tâches relatives au traite­ment des Juifs en Europe confiées au chef des SS dans le Reich”, le “contrôle” des mesures antijuives à prendre dans les territoires occu­pés leur incombait, quelle qu'en fût, au demeurant, le mode d'administration[16]. Le mandat du 31 juillet, rédigé à la demande d'Heydrich et confirmant des compétences aucunement nouvelles à l'échelle européenne avait néanmoins l'avantage bureaucratique d'imposer à “tous les autres organes gouvernementaux [...] de coopérer avec [lui] à cet effet”. La psychologie n'était pas au centre de cette problématique historique.

La question juive n'échappait pas aux conflits de compétence entre les différentes instances du Reich, du parti, de la SS et de la police[17]. Le principe du Führer - du chef - les générait. Dans l'Etat hitlérien, chaque chef était responsable de son domaine de compétence “en vertu de [ses] pleins pouvoirs exécutifs”, comme y insistait le général Otto von Stülpnagel, dans le conflit qui l'opposait à Heydrich en personne à propos de la question juive, peu avant que ce dernier ne convoquât la conférence de Wannsee[18].

Bien qu'aucun représentant de l'armée n'y ait été invité, ce conflit avec le commandant militaire en France renseigne sur les préoccupa­tions d'Heydrich au moment de réunir la conférence. Tout autant que le 20 janvier 1942, Heydrich a besoin de s'y référer à cette charge qu'il exerce “depuis des années de préparer la solution définitive de la question juive en Europe”. Lui “en porte la responsabilité”, insiste-t-il de toute son autorité[19]. Dans cette dispute avec von Stülpnagel, l'argument n'emportait pas la décision. Les services d'Heydrich s'étaient permis, dans son ressort territorial, des “actions contraires à [s]es intentions, susceptibles de saboter les missions dont [il était] chargé et qui, plus est, de discréditer gravement la Wehrmacht et le Reich[20]. A son insu, des explosifs amenés spéciale­ment et en secret ... de Berlin par la Sécurité du Reich ont servi à dynamiter 7 synagogues à Paris, dans la nuit du 2 au 3 octobre 1941. Furieux, ce général de l'armée exigeait rien de moins que le limogeage d'un général de la SS , le général de brigade Max Thomas, délégué en titre d'Heydrich pour la France et la Belgique. Von Stülpnagel récla­mait aussi la tête de son représentant à Paris, un major SS[21]. Hey­drich eut beau expliquer au Haut Commandement de l'armée que les at­tentats du début d'octobre 1941 étaient une démonstration de puis­sance, prouvant qu'on disposait des “forces nécessaires non seulement pour la lutte contre le bolchevisme, mais aussi pour déclencher une attaque contre les Juifs, autrefois si puissants à Paris”. L'arrogance des militaires jaloux de leurs prérogatives lui fit même perdre conte­nance et, à défaut d'autres arguments, Heydrich se retrancha derrière l'autorité de Hitler. Ce faisant, le chef de la police politique nazie livrait, dans cette correspondance avec le Haut Commandement de l'armée au début de novembre 1941, un témoignage capital sur la genèse du génocide. Lui, se permettait-il d'écrire, il n'avait accepté les “offres” des dynamiteurs des synagogues parisiennes “qu'à partir du moment où, en haut lieu, la juiverie avait été désignée avec force comme l'incendiaire responsable en Europe qui doit disparaître défini­tivement[22]. Ces explosions retentissant dans leur “citadelle euro­péenne” les avertissaient, selon le mot d'Heydrich, qu'elle “ne pou­vait plus leur offrir de sécurité”. Du point de vue SS, l'attentat contre les 7 synagogues au début d'octobre était comme le coup de se­monce d'un compte à rebours, déclenché tout au début de l'automne, voire à la fin de l'été 1941 et relancé à la conférence de Wannsee.

En l'occurrence, ces explosions avaient aussi été un coup “dans [le] dos” du général von Stülpnagel - selon ses propres termes - et l'argumentation idéologique et politique d'Heydrich ne répondait en rien à ses réclamations. “Le Haut commandant de l'armée ne [put] ad­mettre”, écrivit ce dernier dans sa réponse à Heydrich, “que des actes d'une importance politique capitale aient été exécutés contrairement aux accords formellement stipulés et à l'insu du commandant militaire chargé par le Führer de l'administration de la France occupée et seul responsable devant lui[23]. Dans ce conflit de compétences où chaque autorité invoquait le Führer, Heydrich dut finalement céder du ter­rain. Les attentats parisiens lui coûtèrent son “délégué pour la France et la Belgique ”. Concédant ce seul point, le chef de la Sécu ­rité du Reich, tout aussi imbu de ses prérogatives que vaniteux, ne voulut pas perdre la face. Max Thomas ne fut donc pas formellement li­mogé: “de toute façon, il n'aurait pas pu poursuivre son activité en France”, apprit le haut commandement . Il aurait “déjà été chargé [...] le 29 septembre 1941 [sic] d'une nouvelle mission à l'Est dans le cadre des opérations de la police de sécurité”. Quatre jours avant les explosions dans les synagogues parisiennes qui motivaient la plainte du commandant militaire en France, le général de brigade SS Max Thomas aurait donc pris ses nouvelles fonctions, le commandement du Groupe d'action C en “opérations” en Ukraine où les agents de la SS et de la Police n'agissaient pas sur le mode symbolique!  En vérité, le 23 octobre 1941 encore, Thomas était toujours en fonction à Bruxelles. A cette date, le chef de la Gestapo à l'Office Central de la Sécurité - Heinrich Müller, l'un des participants de la conférence de Wannsee - lui transmettait la décision d'Himmler d'interdire l'émigration des Juifs[24]. Heydrich évoqua cette interdiction, le 20 janvier 1942.

L'interdit d'émigrer marque, en effet, un tournant crucial dans le dispositif exécutif de la solution finale après la résolution, prise “en haut lieu”, peu avant l'attentat des synagogues parisiennes, de faire “disparaître définitivement” les Juifs.

20.4  Le tournant de l'automne 1941

Le 20 janvier 1942, le Chef de la Sécurité du Reich ne s'autorise pas à dévoiler devant ses auditeurs que l'interdiction de toute émigration privait, dès l'automne 1941, de toute issue en Europe les Juifs voués à “disparaître définitivement”. Heydrich en a toutefois dit assez pour que l'assemblée saisisse pleinement qu'en “haut lieu”, on avait alors définitivement renoncé à la “méthode légale”. Jusqu'en octobre 1941, expose-t-il, “le but” poursuivi “consistait à nettoyer l'espace vital allemand de ses Juifs par la méthode légale”. Il s'agissait, dans cette légalité du Reich hitlérien, de “prendre toutes les mesures utiles afin de préparer une émigration accélérée” et même, “d'accélérer l'émigration dans tous les cas particuliers”. Au 31 oc­tobre 1941, le bilan de cette “méthode légale” se chiffre à une émi­gration “d'environ 537.000 Juifs” grand-allemands. Le solde restant, 249.788[25] - selon les chiffres d'Eichmann communiqués à la conférence de Wannsee - relève d'“une autre possibilité de solution”. “Le Chef des SS du Reich et chef de la Police  allemande”, explique ici Hey­drich, “considérant les dangers que présenterait l'émigration en temps de guerre et au vu des possibilités de l'Est a, depuis lors, interdit toute émigration aux Juifs”. Dès l'automne 1941, c'était donc “vers l'Est” que les Juifs seront “évacués”, étant donné “les possibilités” qui s'y offrait, “solution” dont Heydrich avertit à toutes fins utiles les secrétaires d'Etat présents à Wannsee qu'elle a été “adoptée avec l'accord du Führer”.

Le chef de la police de sécurité et du service de sûreté les a réunis moins pour “préciser les questions de principe” que pour les “traiter [...] avec toutes les administrations centrales en vue de coordonner leur action”. D'emblée, Heydrich a fixé le cadre, sinon les limites, de cette coordination souhaitée. “C'est”, spécifie le procès-verbal officiel, “le Chef des SS du Reich et chef de la police allemande (chef de la police de sécurité du service de sûreté) qui sera respon­sable de l'ensemble des mesures”. La formule est bancale. Les paren­thèses ajoutées dans le texte définitif, revu et corrigé, associent et confondent en une seule et même responsabilité personnelle Himmler et son lieutenant pour les affaires de police. Heydrich l'est au plein sens du terme. Chef de la police SS, il relève immédiatement d'Himmler dont il dirige l'Office central de la Sécurité du Reich et dont, à ce titre, il tient sa responsabilité exécutive dans la solution finale. Dans ce rapport hiérarchique, la conférence n'a d'autre objet que d'obtenir que “toutes les personnes présentes” lui apportent “leur aide et leur concours dans la réalisation de la solution du problème”, comme Heydrich les y invite en conclusion de la réunion. La raison de Wannsee est cette nécessité bureaucratique d'amener les autres “administrations centrales” à ne pas entraver la compétence exclusive de la Sécurité du Reich dans cette solution finale.

Rien peut-être ne l'indique mieux que le sort fait à la proposition du général de division SS Hofmann pendant la conférence. Chef de l'Office central pour la race et l'immigration, lui représente pourtant une autre branche du complexe SS d'Himmler[26]. Il intervient dans l'examen des “difficultés” prévisibles dans “les territoires européens soumis à [l'] influence” allemande, mais non occupés. Ce sont les pays du groupe B dans la statistique des Juifs à soumettre à la solution fi­nale; du moins de la plupart d'entre eux, car Eichmann, englobant toute l'Europe, a incorporé dans ce groupe B également les 18.000 Juifs de Suisse ou encore les 55.000 de la Turquie d'Europe, pays neutres, et tout autant les 320.000 d'Angleterre ou, mieux encore, près de 2.000.000 de Juifs soviétiques qui ne sont toujours pas tombés aux mains des nazis[27]. Si, comme Heydrich en prévient la conférence de Wannsee, “le développement de la situation militaire aura une in­fluence prépondérante sur la date à laquelle devra débuter chaque série d'évacuation importante”, “l'hiver [...] réellement [...] ter­rible” de 1941/1942 où, aux dires d'Himmler, l'Allemagne hitlérienne était menacée “d'une catastrophe” ne justifiait pas l'optimisme can­dide de son service des affaires juives[28].

La guerre-éclair déclenchée contre l'U.R.S.S. le 22 juin 1941 s'était enlisée, dès l'automne, dans une guerre d'usure. Non seulement, les Soviets n'avaient toujours pas été refoulés au-delà de l'Oural, mais décidément plus coriaces que les adversaires précédents, ils venaient, le 5 décembre de contre-attaquer devant Moscou et ils avaient repoussé l'envahisseur nazi sur 150 km . Le 7, l 'attaque japonaise contre Pearl Harbor bouleversait toutes les données stratégiques, avec l'entrée en guerre des États-Unis contre l'Allemagne hitlérienne, le 11 décembre. Ces développements de la fin de l'année 1941 avaient empêché la conférence de Wannsee de se réunir à la date prévue, le 9 décembre. Ils commandaient tout autant le rythme et l'allure de la “solution fi­nale”, et notamment les relations avec les pays de la zone d'influence allemande. Dans ce domaine qui relève des compétences du ministère des affaires étrangères, Heydrich, comme il l'annonce à la conférence de Wannsee, avait déjà obtenu avant la réunion que les “techniciens com­pétents” de ce ministère “s'entendent avec leurs collègues” de la po­lice SS. Le sous-secrétaire d'Etat Martin Luther, présent le 20 jan­vier, prévoit lui aussi des “difficultés dans certains pays dès qu'on voudra traiter le problème de façon radicale”. Heydrich les pressen­tait, notamment, en Hongrie, pays ami, et avait recommandé “d'imposer au plus vite un conseiller pour les questions juives au gouvernement hongrois”. Son collègue de l'Office central de la race et de l'immigration saisit ici l'occasion d'y envoyer un de ses techniciens “pour l'orientation générale”, disait-il. Le procès-verbal acte aussi­tôt - seule décision réellement prise à Wannsee - qu'”on décide alors pour éviter qu'[il ...] ne prenne des initiatives de lui-même” d'en faire “à titre provisoire [... un] attaché de police en qualité d'assistant”.

Toute la solution finale est une affaire de police politique relevant de la Sécurité du Reich et les policiers SS qui la constituent sont présents en force à Wannsee: ils sont 5 sur les 15 hauts fonction­naires de l'Etat et du Parti, de la SS et de la police réunis, ce 20 janvier, pour concerter “leur action”. Les adjoints d'Heydrich le plus directement impliqués sont là: le général de division SS Müller, le chef de la section IV de la Sécurité du Reich - la Gestapo - et son spécialiste de l'“évacuation”, Eichmann. Le “petit” lieutenant-colonel SS n'est pas, dans cette assemblée, l'officier le plus subalterne. Ru­dolf Lange n'est que major SS: il représente des services de police de l'Ostland - les Pays baltes et la Biélorussie. Le cinquième policier SS présent est le colonel SS Schoengarth, rien de moins que le délégué d'Heydrich dans le Gouvernement général, la partie de la Pologne non incorporée dans le Grand Reich allemand. Les autres services de police à l'Est n'ont pas été invités à Wannsee. Ni le général de brigade SS Thomas, le nouveau chef du Groupe C, ni les autres commandants des Groupes A, B et D qui opèrent dans les territoires soviétiques occupés.

L'absence de ces services est révélatrice du point de vue d'Heydrich sur ces “possibilités de l'Est” qui, dans son exposé, ont ouvert l'”autre possibilité de solution”. Le Chef de la Sécurité du Reich circonscrit à la Pologne et aux Pays baltes le point d'arrivée de cette “évacuation des Juifs vers l'Est” et il a invité à les représen­tants des autorités politiques responsables du lieu géographique de la solution finale.

20.5  Les possibilités de l'Est

Le Gouverneur général de Pologne, Hans Frank a délégué le plus haut fonctionnaire de son administration. Le secrétaire d'Etat, Josef Büh­ler, y témoigne des meilleures dispositions à l'égard d'Heydrich. L'homme de Frank reconnaît sans réserve que “la solution de la ques­tion juive au Gouvernement appartient” au Chef de la Sécurité du Reich. “Ses efforts”, assure-t-il, “seront soutenus par les autorités” locales. Lui “ne demande qu'une chose”, note le procès-verbal, “que la question juive dans ce pays soit résolue au plus vite”. Dans sa fréné­sie d'être débarrassé “des deux millions et demi de juifs qui seraient touchés par ces mesures” - 2.284.000 selon les chiffres d'Eichmann - , le représentant du Gouvernement général rompt aussi avec la convention de langage de Wannsee. Le “procès-verbal” l'a suivi et a acté son ar­gument d'urgence à savoir que “la majorité, de toute façon, est inapte au travail”. Techniquement, insistait Bühler, leur “évacuation” du Gouvernement Général était aisée “parce que le problème des transports n'y présente qu'un caractère secondaire”. L'homme de Frank à Wannsee savait que les Juifs inaptes au travail à “évacuer” n'iraient pas bien loin[29].

Le 16 décembre 1941, à Cracovie, capitale du Gouvernement général, Frank, annonçant à ses chefs de service qu'il enverrait son secrétaire d'Etat à la conférence, avait exprimé son sentiment sur “la grande mi­gration juive [qui] va commencer”. Frank était “entré en pourparlers au sujet de leur déportation vers l'Est” pour “en finir avec les juifs[30]. Dans ce discours prononcé “en toute franchise”, le “vieux national-socialiste” voulut expliquer à ses hauts fonctionnaires ce que signifiait désormais cet “Est” de “l'évacuation” des Juifs. Son “attitude” à leur égard se fondait “sur l'espoir de leur disparition”. “Croyez-vous qu'on les enverra dans des villages de l'Ostland?”, ajou­tait-il à l'intention de ses collaborateurs qui n'auraient pas deviné ce qu'était cette “disparition”. “Voilà”, ajoutait-il, “ce qu'on nous a dit à Berlin: […]  nous n'avons pas besoin de Juifs, que ce soit dans l'Ostland ou dans le Commissariat du Reich pour les Territoires de l'Est. ... Alors, liquidez-les vous-mêmes.”. Livrant cette confidence, Frank invi­tait ses fonctionnaires à se “débarrasser de tout sentiment de pitié. Nous devons exterminer les Juifs partout où nous nous trouvons, et partout où il y en aura la possibilité, et ceci pour maintenir l'édifice du Reich, dans son ensemble”.

L'ancien Commissaire du Reich pour l'unification de la Justice et du droit allemand savait, comme Heydrich à Wannsee, qu'il fallait désor­mais recourir à “d'autres méthodes” que légales. Les “événements gi­gantesques, uniques dans leur genre” qui se préparaient appelaient à dépasser les “conceptions démodées”. Frank concevait cette nécessité. Il était même arrivé à concevoir que le génocide impliquait une tech­nologie appropriée, mais lui ne parvenait à imaginer qu'elle fût pra­ticable. De surcroît, dans sa frénésie, il voulait exterminer plus de Juifs qu'il n'en avait dans son ressort territorial. “Nous ne pouvons pas fusiller ou empoisonner ces 3.500.000 de Juifs [sic], mais nous pouvons néanmoins prendre des mesures qui, d'une manière ou d'une autre, aboutiront à leur extermination”. En tout cas, s'il ne savait encore “où et comment seront réalisés ces desseins”, lui faisait confiance aux “services” compétents. “Ces mesures gigantesques”, an­nonçait-il, “seront mises au point pendant les délibérations qui au­ront lieu dans le Reich”.

Son délégué à Wannsee, intervenant pour que l'on commence par le Gou­vernement général, réclama-t-il des précisions sur les moyens? Le “procès-verbal” n'en dit rien, mais il acte, après l'intervention de Bühler, une discussion dont il indique seulement qu'elle porta “sur les différentes façons de résoudre la question”. Le texte mentionne encore Bühler, ainsi que Meyer, le secrétaire d'Etat du Ministère des Territoires occupés de l'Est, à propos de “certaines mesures prépara­toires” à prendre dans leurs territoires respectifs, “tout évitant d'inquiéter en quoi que ce soit la population”. Interrogé sur ce compte rendu laconique, Eichmann a fini par concéder, lors de son pro­cès à Jérusalem, que la discussion avait portée “sur les manières de tuer envisageables[31].

Le secrétaire d'Etat Meyer, du Ministère des Territoires occupés de l'Est, était plus averti que son collègue du Gouvernement tout au moins sur les possibilités d'une solution par fusillade. Comme Hans Frank, son ministre, Alfred Rosenberg était tout pénétré de la gran­deur de cette “tâche historique”. Le 18 novembre 1941, Rosenberg, plus impatient encore que le Gouverneur général de Pologne avait, quant à lui, convoqué la presse à son ministère. “Seules sont appelées à mettre ces mesures en oeuvre”, expliqua-t-il aux journalistes, “des personnes qui considèrent cette question comme une tâche historique, qui n'agissent pas par haine personnelle, mais de ce point de vue po­litique et historique très lucide[32]. Cette rencontre avec la presse procédait de l'information négative à propos de ces “choses” que les journalistes devaient savoir, mais qu'“il serait extrêmement regret­table” qu'elles soient publiées “dans la situation délicate où se trouve le Reich allemand”. Rosenberg n'en tenait pas moins à informer la presse, en cet automne 1941, de ce que “les territoires de l'Est sont aussi appelés à résoudre [...] la question juive”. D'après ses chiffres - inférieurs à ceux d'Eichmann -, “quelques six millions de Juifs vivent encore en Europe et cette question”, annonçait désormais ce ministre nazi, “ne peut être résolue que par une élimination biolo­gique de tout le judaïsme en Europe”.

L'auditoire n'appartenait pas aux cercles devant lesquels le secret du génocide pouvait être entièrement dévoilé. Dans son propos, Rosenberg laissait aux journalistes le soin d'imaginer comment les sphères supé­rieures du IIIème Reich concevaient cette “élimination biologique”. En tout cas, explique-t-il, “la question juive ne sera réglée en Alle­magne que lorsque le dernier juif aura quitté le territoire allemand, et en Europe lorsqu'il n'y aura plus un seul Juif sur le continent eu­ropéen jusqu'à l'Oural”. L'“élimination biologique” des 6 millions de Juifs d'Europe qui, dans la pensée raciste, constituaient le judaïsme, s'accomplirait-elle donc, comme en Allemagne, avec le départ du “dernier juif” vers “l'Est”? Cette démographie “biologique” serait-elle une vaste migration vidant le continent européen de toute pré­sence physique juive? Rosenberg ne levait pas l'ambiguïté. Il disait seulement à ses auditeurs: “il nous faut éviter que quelque race ro­mantique, en Europe, ne s'avise de reprendre les Juifs chez elle. Pour cela, il faut les repousser au-delà de l'Oural ou”, ajoutait-il sibyl­lin, “les éliminer d'une manière ou une autre”.

A la différence de Hans Frank et de ses fonctionnaires du Gouvernement général, on n'ignorait pas au ministère de Rosenberg tout au moins une manière de les éliminer autrement qu'en les refoulant vers l'Oural à travers un territoire soviétique que l'armée rouge s'acharnait à ne pas céder. Trois jours avant la conférence de Rosenberg, le commis­saire du Reich de l'Ostland, Erich Lohse, avait, de Riga, posé à son ministère la question de savoir si “tous les Juifs des territoires de l'Est doivent être liquidés [...] sans considération d'âge et de sexe, ni d'intérêts économiques[33]. Une question qui, dans sa simplicité, définit, en termes d'époque, ce que les historiens de la solution fi­nale qualifient au sens historique du terme de génocide.

20.6  L'ordre de liquider tous les Juifs

Le chef de la division politique du ministère des Territoires occupés de l'Est, Georg Leibbrandt qui accompagnerait le secrétaire d'Etat Meyer à la conférence de Wannsee avait réclamé de Lohse “un compte rendu de [l'] affaire” de Libau, en Lettonie[34]. Le Commissaire du Reich y avait interdit, en octobre, “des exécutions de Juifs [...] parce que la manière dont elles se poursuivaient”, avait estimé Lohse, “était absolument inadmissible”. L'Office d'Heydrich avait reproché au ministère des territoires occupés de l'Est cette immixtion inadmis­sible de l'administrateur du territoire dans la tâche de ses tueurs SS. Sommé de s'expliquer, Lohse comprit que Leibbrandt se rangeait, dans cette affaire de Libau, au point de vue de la SS et de la police. Aussi, se décidait-il à questionner le ministère sur l'existence d'“un ordre, selon lequel tous les Juifs des territoires de l'Est doivent être liquidés. Faut-il”, interrogeait-il, “mettre cet ordre à exécu­tion sans considération d'âge et de sexe, ni d'intérêts écono­miques(par exemple ceux de la Wehrmacht pour les ouvriers spécialisés des usines d'armement)”? Lui, Lohse, était tout disposé à procéder au “nettoyage des territoires de l'Est de tous éléments juifs”, mais il objectait les “nécessités de l'économie de guerre” auxquelles, en bon administrateur, il prétendait soumettre la “solution” du problème juif. Les fusillades désormais systématiques des tueurs SS en “opération” dans l'Ostland ne correspondaient pas aux dispositions an­térieures. Lohse n'avait découvert “aucun ordre de ce genre”, ni dans les directives élaborées au début de l'invasion des territoires sovié­tiques[35], “ni dans les autres instructions qui [lui étaient] parve­nues” depuis. Leibbrandt ne répondit pas par écrit à cette mise en de­meure. Un mois après, le 18 décembre, son adjoint à la division poli­tique, Otto Braütigam confirmait les “rencontres[36] [qui] ont dû appor­ter des éclaircissements” au Commissaire du Reich pour l'Ostland[37]. “En principe”, spécifiait-il néanmoins pour que Lohse s'y conformât, “on ne tiendra [donc] pas compte des considérations d'ordre économique pour résoudre ce problème”. En conclusion, la division politique s'en remettait “directement” au chef supérieur de la SS et de la Police dans l'Ostland - le représentant personnel d'Himmler - pour “régler les questions qui se poseront par la suite”. Le ministère des terri­toires occupés de l'Est concédait - comme le Gouvernement général - aux services du Chef de la SS du Reich et de la police allemande la pleine et exclusive compétence dans la solution finale.

Sur le terrain, les relations étaient moins harmonieuses entre ces instances policières et politiques. Lohse n'avait pas seulement provo­qué un différend à propos des “fusillades” de Libau en octobre 1941. Il avait encore envoyé au ministère un “rapport du 4.10.1941 concer­nant la solution de la question juive” où, d'après le projet de ré­ponse d'Alfred Wetzel, expert spécial des questions raciales du minis­tère, Lohse traitait “des incidents [survenus] au cours des fusillades de Juifs à Vilna”, “fusillades [qui] étaient publiques[38]. Vilna, en Lituanie, relevait, comme Libau en Lettonie du Commissariat du Reich pour l'Ostland. A Wannsee pourtant, ce fut le petit major SS Rudolf Lange, qui représentait le Commandant de la police de sécurité dans le ressort territorial de Lohse. Ce major SS ne commandait pas les ser­vices de police du district le plus important dans les Pays baltes. A la Lettonie , son ressort territorial, les chiffres d'Eichmann à Wann­see attribuent à peine 3.500 Juifs à soumettre à la “solution finale”. Lange en comptait un peu plus, exactement 3.700[39], dans le rapport d'activité du Commando d'action n° 2 dont il venait de prendre le com­mandement en décembre 1941[40]. Rédigées à l'époque de la conférence de Wannsee, en janvier 1942, les notes du major SS rendent compte des massacres perpétrés par cette formation de la SS et de la police de­puis son entrée dans les Pays Baltes[41]. En moins quatre mois - jusqu'au début d'octobre 1941 -, ce commando de tueurs avait assassiné “environ 30.000 Juifs. Après l'établissement au début de novembre des 3 ghettos de Lettonie, les tueurs SS s'étaient attaqués à cette popu­lation captive en trois ou quatre assauts successifs faisant 30.984 nouvelles victimes dont 2.350 au ghetto de Libau. De cette double hé­catombe lettonne se chiffrant à plus de 60.000 personnes, il restait en vie 3.700 Juifs - 300 à peine à Libau - “épargnés lors de cette ac­tion parce que”, notait Lange, “il s'agissait de bons artisans dont la force de travail continue à demeurer indispensable pour le fonctionne­ment de l'économie et spécialement de l'économie militaire”.

A l'aune de la solution finale en cours dans les Pays baltes, le “score” de la Lettonie n'était pas le plus formidable. En Lituanie, le commando d'action n°3 du colonel SS Karl Jäger - absent à Wannsee - totalisait plus du double de victimes: 137.346[42]. “Aujourd'hui”, pou­vait conclure triomphalement le chef des tueurs le 1er décembre 1941, “il m'est possible d'affirmer que le Commando d'action 3 a atteint l'objectif fixé, il a résolu le problème juif en Lituanie. Il n'y a plus de Juifs dans le secteur, excepté les travailleurs juifs affectés à des tâches spéciales”, soit environ 34.500. A Wannsee, Eichmann a arrondi le chiffre à 34.000. A suivre Jäger, il s'en fallut de peu que la situation lithuanienne soit identique à celle du dernier pays balte, l'Estonie renseignée comme “nettoyée de ses Juifs” dans la sta­tistique de Wannsee[43]. Jäger avait bien eu “l'intention de faire li­quider ces [34.500] travailleurs juifs et leurs familles, mais le com­missaire du Reich et la Wehrmacht se sont montrés extrêmement hostiles à ce plan, en conséquence de quoi: il est interdit de fusiller ces Juifs et leurs familles”. Le colonel SS voulait bien concéder qu'“on a un besoin urgent de quelques travailleurs juifs restant”, du moins, à son estime, jusqu'à “la fin de l'hiver[44].

20.7  L'hypothèque du travail

En un autre sens que la formule d'Heydrich à Wannsee, le “développement de la situation militaire” avait introduit, avant le catastrophique hiver 1941/1942, une tension dans la solution finale. Dès l'échec de la guerre-éclair en URSS en automne, les services d'Himmler furent confrontés à l'impératif de concilier le génocide à peine enclenché avec les besoins de plus en plus pressants de l'économie de guerre. A Wannsee, Heydrich, disposé à réduire les dif­ficultés avec les “autres administrations centrales”, se montra conci­liant à l'égard de leurs préoccupations. Son exposé sur l'extermination par le travail des “valides” évacués à l'Est était la concession à ces “considérations d'ordre économique” dont “en prin­cipe”, dans le programme de la Sécurité du Reich, “on ne tiendra pas compte”, comme le ministère de Rosenberg en avait averti le Commis­saire du Reich de l'Ostland, à la veille de l'hiver.

Le collègue d'Heydrich à l'Office central de l'administration et de l'économie SS n'avait cependant pas été invité à Wannsee. Affaire de police, la solution finale ne relevait pas de cet autre organisme du complexe d'Himmler, responsable, quant à lui, des entreprises SS des camps de travail et de concentration. Du point de vue du Chef des SS du Reich et de la police allemande, l'“institution [concentrationnaire], si souvent condamnée [...dans] des milieux exté­rieurs au Parti” n'était réservée, comme Himmler le souligne dans son discours sur la “grave décision” qu'à “un petit nombre de Juifs” parmi les centaines de milliers de “criminels politiques et de droit com­mun”, “de Polonais, de Russes et autre racaille” pour lesquels ces camps étaient conçus[45]. Le système, désormais mobilisé pour les be­soins de l'économie de guerre, était en pleine réorganisation, au mo­ment de la conférence de Wannsee[46]. Dès le 1er février 1942, il pas­sait tout entier sous le contrôle d'un nouvel Office central écono­mique-administratif SS incorporant l'inspection des camps. Cinq jours après Wannsee, Himmler, annonçant ces “importantes tâches écono­miques”, avertissait l'inspection de ses camps de l'arrivée prochaine de 100.000 Juifs et 50.000 Juives provenant, précisait-il, d'Allemagne[47]. La “mise au travail” - l'“arbeitseinsatz” qui a servi, surtout à l'Ouest, de prétexte à la mise en route des trains de la so­lution finale - n'a pas uniquement été le camouflage grossier de l'entreprise génocidaire. Dans la mobilisation totale de l'Europe al­lemande à partir de 1942, l 'exploitation jusqu'à son épuisement com­plet de la force de travail des Juifs “valides” s'imposait comme une contrainte de l'économie de guerre.

Cette hypothèque économique pesait sur le déroulement de la “solution finale”, sur son rythme et son allure. Il s'y imposait, pour reprendre la formule de la Centrale SS de l'économie et de l'administration, que “les Juifs aptes au travail, qui émigrent dans l'Est, [...] inter­romp[ent] leur voyage et travaille[nt] à l'industrie de guerre” dans ses camps SS[48]. Le chef des SS, responsable du “voyage”, ne parvenait pourtant pas à contenir la contradiction dans le cadre unique des structures de son organisation multiforme. Himmler se heurtait, comme il s'en plaignait, à “beaucoup de difficultés avec beaucoup d'institutions économiques[49]. A Wannsee, il avait fallu précisément inviter un représentant du Bureau du plan de quatre ans, le secrétaire d'Etat Erich Neumann. Le procès-verbal lui fait dire “que les Juifs travaillant dans les entreprises indispensables à l'effort de guerre, ne pourront être évacués aussi longtemps qu'ils seront irremplaçables” sur le territoire du Grand Reich. Dans le Gouvernement général, l'obstacle économique ne jouerait pas aux dires de son secrétaire d'Etat. Si, à l'en croire, “les problèmes de main d'oeuvre ne s'opposeront pas à l'action”, l'impatient Bühler faisait bon marché de cette coalition d'intérêts allemands qui se disputeraient les travail­leurs des ghettos, tout au long de la solution finale dans le Gouver­nement général. Himmler, ironique, ne se priverait pas de pourfendre ces “institutions économiques” devant les dignitaires du parti.

Leurs prérogatives avaient pourtant été agréées à Wannsee. La conférence n'avait pas seulement été réunie en raison “de l'importance extraordinaire” de la solution finale projetée. L'“évacuation” qui avait déjà commencé avait justifié Heydrich de convoquer cette rencontre quatre mois après le mandat écrit l'autorisant à réclamer la coopération de “tous les autres organes gouvernementaux[50]. Dans la convocation du 29 novembre, le lieutenant d'Himmler y insistait “d'autant plus que depuis le 15 octobre 1941 , écrivait-il, “l'évacuation des Juifs du territoire du Reich, y compris le protectorat de Bohême et de Moravie, vers l'Est, a déjà commencé par convois réguliers”.

Cette déportation des Juifs d'Allemagne confrontait les autorités du Reich à ces “interventions incessantes” et pour le moins agaçantes que Heydrich souhaitait éliminer “d'un coup” comme il l'expliqua à la conférence de Wannsee. L'évacuation des Juifs du Grand Reich y avait provoqué des remous pendant l'automne 1941. Dans son discours au Gou­vernement général, le 16 décembre, Frank avait, dans sa “franchise”, reconnu devant ses chefs de service “que les mesures antijuives ap­pliquées actuellement dans le Reich, sont sujettes à des critiques[51]. Frank savait que “des rapports relatifs au moral du public, il ressort qu'on parle de cruauté, de dureté, etc.”. Hitler en personne s'était même irrité de ces pleurnicheries de la “bourgeoisie[52].

20.8  Les pleurs de la bourgeoisie

Que des bourgeois pleurnichent aujourd'hui sous le prétexte que les Juifs doivent quitter l'Allemagne, voilà un trait qui peint ces culs-bénits”, avait dit Hitler devant ses familiers, le 19 novembre, dix jours avant qu'Heydrich ne lance ses convocations. Cette déportation en cours était, à son point de vue, une épreuve, un test dans le contexte fâcheux de l'automne 1941. En présence d'Himmler et d'Heydrich, il venait de rappeler sa prophétie “que le Juif disparaî­trait d'Europe dans le cas où la guerre ne pourrait être évitée[53]. Cette thématique hitlérienne de la belligérance juive justifiait le “vieux national-socialiste” Hans Frank d'engager ses fonctionnaires à écarter tout sentiment de pitié. “Le Führer avait dit, un jour”, rap­pelait le Gouverneur général de Pologne, que “si la juiverie réussis­sait à déclencher une nouvelle guerre mondiale, non seulement le sang de tous ceux qu'elle aura entraînés dans la guerre serait versé, - mais le Juif aura fini d'exister en Europe[54]. Le thème ne datait pas de cet automne 1941.

En haut lieu” - et publiquement - l'argument avait été repris “avec force”, dès le 30 janvier. A l'occasion du huitième anniversaire de son avènement, Hitler avait averti que “les mois et”, ajoutait-il alors, “les années à venir prouveront” qu'il avait “vu juste[55] . A l'en croire, il avait prophétisé que “si les Juifs devaient plon­ger le reste du monde dans une guerre générale, dans ce cas, tout le judaïsme cesserait de jouer un rôle en Europe”. Le Führer du IIIe Reich se référait, dans ce discours du 30 janvier 1941, à celui qu'il aurait, selon ses dires, prononcé “le 1er septembre 1939 devant le Reichstag”. Les réminiscences historiques de Hitler sont toujours à traiter avec prudence. Au moment où ses armées envahissaient la Po ­logne, le Führer du IIIe Reich n'avait absolument rien dit au sujet des Juifs. La seconde guerre commençait bel et bien, mais Hitler ne redoutait pas une conflagration générale à propos de la Pologne. Sa stratégie diplomatique et militaire de la guerre-éclair limitait le combat à un seul adversaire isolé. En revanche, au début de 1939, une coalition des autres puissances contre ses annexions était de l'ordre du possible. Le discours prononcé le 30 janvier 1939 pour le sixième anniversaire de son entrée à la chancellerie avait été on ne peut plus explicite en matière d'“extermination de la race juive” au cas où “la finance juive internationale réussi[r]ait, en Europe ou ailleurs, à précipiter les peuples dans une guerre mondiale”. En janvier 1939, Hitler imputait à cette belliqueuse “finance juive internationale” le sombre dessein d'oeuvrer à “la bolchevisation de l'Europe et [à] une victoire du judaïsme”. En janvier 1941, les préparatifs de la campagne de Russie lui interdirent toute allusion à cette alternative “bolchevique” à l'extermination des Juifs d'Europe.

L'invasion de l'U.R.S.S. n'en prit pas moins, dès le 22 juin, le ca­ractère très particulier d'une guerre d'extermination raciale et idéo­logique[56]. Les troupes savaient, au départ, que “le bolchevisme est l'ennemi mortel du peuple national-socialiste allemand. C'est”, aver­tissait l'État-Major de l'Armée de Terre, le 4 juin, “contre cette idéologie et contre ceux qui la portent que l'Allemagne engage la lutte”. Ce qui signifiait, apprenait l'armée, “l'intervention sans mé­nagement et énergique contre les instigateurs bolcheviques, les parti­sans, les saboteurs et les Juifs, et l'élimination totale de toute ré­sistance active ou passive[57]. Suivant l'avance des troupes, les agents de la Sécurité du Reich concentraient leur “intervention”, comme le rapportait l'un de leurs groupes dès septembre 1941, sur la tâche “re­lativement plus facile, de l'élimination des Juifs[58]. Les tueurs de la SS et de la police n'opéraient pas seulement dans l'Ostland. Là, les commandos d'action de Jäger ou de Lange relevaient du Groupe d'action A. Trois autres groupes B, C et D opéraient du Nord au Sud des territoires soviétiques occupées. Le Groupe A dans les Pays Baltes avait le meilleur score. Établissant, à la date du 25 octobre 1941, son “rapport sur le nombre d'exécutions”, le Groupe A totalisait 135.567 victimes[59]. Toutes n'étaient pas juives. Les tueurs SS massa­craient aussi des “communistes” et des “aliénés”, mais ces derniers pesaient si peu dans leur balance des morts. Le Groupe B en opération en Biélorussie, moins expéditif, alignait seulement 45.467 morts à la date du 14 novembre[60]. Le Groupe D - chargé du Sud - n'aura quant à lui, fusillé 55.000 Juifs qu'à la date du 13 décembre 1941[61]. Le Groupe C - en Ukraine - se classait en seconde position dans ce dé­chaînement meurtrier contre les Juifs des territoires soviétiques: le 3 novembre 1941, un rapport de la Sécurité du Reich lui attribuait 80.000 morts dont “75.000 Juifs environ[62].

L'intervention sans ménagement et énergique” des groupes de tueurs de la SS et de la police contre le judéo-bolchevisme avait pris plus en plus l'allure d'un génocide avec le “chiffre record” - pour reprendre leur terminologie[63] - de plus de 300.000 Juifs tués avant l'hiver 1941/1942. L'activité meurtrière du Groupe C en Ukraine situe assez bien le moment où ces tueries basculent dans l'extermination systéma­tique. Cette formation a accompli ... en deux jours la moitié des 75.000 meurtres juifs dont elle fait état le 3 novembre 1941! “A Kiev”, signalait déjà un compte rendu secret de Berlin en octobre, “la totalité des Juifs furent arrêtés et les 29 et 30 septembre, 33.771 de ces Juifs furent exécutés[64]. Cette hécatombe des Juifs ukrainiens dans le ravin de Babi Yar se déroula au début de l'automne 1941, dix jours à peine après l'entrée des troupes allemandes dans la ville. La ba­taille de Kiev fut l'une des plus importantes de cette campagne de Russie: il fallut un mois pour réduire cette poche de résistance. A ce rythme, l'Allemagne, tout hitlérienne qu'elle fût, se retrouvait, comme l'Allemagne impériale de 1914/1915, confrontée à une longue guerre d'usure avec l'obligation de se battre sur tous les fronts. Dans leur exécration du “judéo-bolchevisme”, les tueurs SS se déchaî­nèrent contre les Juifs de Kiev dans une action de représailles “la plus considérable”, note leur rapport qui précise, étant donné la nou­veauté de la chose dans ces tueries coutumières, que celle-ci s'appliquait “exclusivement aux Juifs avec toutes leurs familles”. Englobant les femmes et surtout les enfants, ce massacre de Babi Yar s'inscrivait dans une mutation capitale dans la pratique meurtrière des SS[65]. Désormais, elle procédait de la “grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre” dont parlerait Himmler en octobre 1943. L 'événement de Kiev datait le temps où, selon Heydrich, “en haut lieu”, on vouait “avec force” les Juifs à “disparaître définitive­ment”, et principalement ceux qui étaient au centre de la question juive, les Juifs allemands

20.9  Le test des Juifs allemands

Dans ses propos de table, Hitler expliquait, peu après, et en présence d'Himmler et d'Heydrich, que “cette race de criminels a sur la conscience les deux millions de morts [allemands] de la [première] guerre mondiale et maintenant des centaines de milliers”. Évoquant la déportation des Juifs allemands qu'il venait d'autoriser en septembre, le Führer du IIIe Reich rejetait, dans cet argumentaire, toute récri­mination contraire. “Que personne”, rétorquait-il par avance, “ne vienne me dire qu'on ne peut pourtant pas les parquer dans les régions marécageuses? Qui donc se soucie de nos hommes?”. Hitler veut dire de ses soldats qu'il a lancés, au début de l'été dans la campagne de Rus­sie sans prévoir - dans sa mégalomanie raciale - qu'il faudrait un équipement d'hiver pour toutes les armées engagées et contraintes, contre toute attente, de faire face à une armée rouge certes durement éprouvée, mais nullement défaite. Le 21 octobre, alors que l'échec d'une guerre-éclair conçue pour cinq mois devenait patent, Hitler se montra des plus explicites sur la vertu pédagogique du génocide. Ses familiers l'entendirent affirmer qu'”en exterminant cette peste, nous rendrons à l'humanité un service dont nos soldats ne peuvent se faire une idée”[66]. Devant Himmler et Heydrich, le Führer n'avait pas trouvé “mauvais d'ailleurs que la rumeur publique nous prête”, disait-il, “le dessein d'exterminer les Juifs. La terreur est une chose salutaire[67].

C'est, à cet égard que les pleurnicheries bourgeoises l'agaçaient au plus haut point dans ses propos de table du 19 novembre. Hitler éprou­vait le besoin de rappeler “les notions de base qui [...] ont servi dans la lutte pour le pouvoir”. “Les mêmes notions” s'appliquent “aujourd'hui dans la lutte que nous menons sur le plan mondial”, en­seignait-il[68]. Lui restait persuadé de “triomphe[r] éga­lement dans cette entreprise parce que”, assurait-il, “nous luttons fanatiquement pour notre victoire et que nous croyons en notre victoire”. La dépor­tation des Juifs allemands procédait de cette pédagogie du fanatisme nazi. “Est-ce nous qui avons créé la nature, établi ses lois”, se contentait de dire Hitler volontiers énigmatique sur le sort des “évacués”. “Les choses sont comme elles sont et nous n'y pouvons rien”. Mais cela dit, “le parti”, insistait son chef suprême, “doit demeurer aussi dur qu'il a été durant la conquête du pouvoir. Il faut qu'en tout temps, le Führer ait la certitude qu'il peut compter sur l'appui inébranlable des membres du parti et qu'il peut compter d'autant plus que certains compatriotes sous le poids des circons­tances se montreraient chancelants”.

Le fidèle Himmler tenant à démontrer qu'il “possèd[ait] la résistance nerveuse pour éteindre avec le pied le moindre petit feu et encore plus tous les feux de quelque importance”, développerait cette théma­tique dans son discours sur “la grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre”. Devant les plus hauts chefs du parti, celui des SS illustrait la détermination farouche de ses hommes avec ses confi­dences sur cette question “la plus difficile à résoudre de toute [sa] vie”. Lui n'avait pas tergiversé quand, selon son propos, “la question suivante [lui] a été posée: que fait-on des femmes et des enfants?” “Je me suis décidé confier et j'ai là aussi trouvé une solution évi­dente”, tint à dire Himmler devant ces dignitaires nazis responsables des “décisions au plus haut niveau du Parti”. Et d'expliquer alors ce qu'est un génocide, bien qu'il n'utilisât pas le mot. “Je ne me sen­tais en effet pas le droit d'exterminer les hommes - dites si vous voulez, de les tuer ou de les faire tuer - et de laisser grandir les enfants qui se vengeraient sur nos enfants et nos descendants. Il a fallu prendre la grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre” “Ce fut”, ajoutait-il, “pour l'organisation qui dut accomplir cette tâche la chose la plus dure qu'elle ait connue”. Il “cro[yait] pouvoir dire que cela a été accompli sans que [ses] hommes ni [ses] officiers en aient souffert dans leur coeur ou dans leur âme”. Jamais, le chef des tueurs SS n'avait été aussi explicite que dans ces confi­dences d'octobre 1943. Himmler - et ceci est essentiel - n'y parlait de génocide qu'à partir du moment où, du massacre des hommes, il avait fallu passer à celui des femmes et surtout des enfants. Cette diffé­rence fait la singularité de l'extermination des Juifs qui n'est pas un massacre “ordinaire” - doit-on dire - d'hommes, de femmes, voire d'enfants, fussent-ils juifs au demeurant. La décision d'exterminer également les enfants donne la singulière mesure de cette “tâche aussi terrible” dont Himmler chargea ses “braves SS[69]. Dans un autre dis­cours devant les officiers supérieurs de l'armée, leur chef voulut bien concéder qu'il avait eu un instant d'hésitation, “quand le Führer [lui] a donné l'ordre de mettre en oeuvre la solution finale de la question juive”. “Je me suis demandé”, avouait-il, “si je pouvais exi­ger de mes braves l'exécution d'une tâche aussi terrible [...]. Mais”, se corrigeait-il aussitôt, “il s'agissait en définitive d'un ordre du Führer face auquel il ne pouvait y avoir d'hésitation. Entre temps, la tâche a été accomplie: il n'y a plus de question juive”. Déjà, dans son discours d'octobre 1943, Himmler promettait que “la question des Juifs sera réglée d'ici la fin de l'année dans les pays occupés par nous. Il ne subsistera plus que des restes de populations juives qui auront trouvé abri quelque part”. Dans le Reich en tout cas, les gau­leiter - les chefs régionaux du parti - avaient tous leurs apaise­ments. “Qu'il n'y ait plus de Juifs dans votre province est pour vous une chose satisfaisante et évidente”, constatait avec fierté le chef des SS du Reich et de la police allemande dans son discours sur la “grave décision”.

Dès septembre 1941, “le Führer [avait] désir[é] que l'ancien Reich et le Protectorat soient vidés et libérés des Juifs en progressant de l'Ouest à l'Est[70]. D'après le plan d'Heydrich, il s'agissait, dès la mi-octobre, conformément au “désir exprimé par le Führer d'expulser les Juifs de l'espace allemand, si possible avant la fin de l'année” de “résoudre le problème juif dans le Protectorat” de Bohême-Moravie dont il venait, en septembre, d'être nommé[71]Protecteur”, titre qui lui conférait rang de ministre et lui donnait désormais l'accès direct “en haut lieu”. Le plan d'évacuation des Juifs concernait aussi “partiellement” l'ancien Reich en octobre 1941, mais rien que du Pro­tectorat, pas moins de 80.000 Juifs devaient être évacués vers l'Est.

Le 18 septembre, Himmler avait annoncé l'arrivée des Juifs du Grand Reich au gauleiter Geiser, le responsable du Wartheland, la province orientale formée de territoires polonais incorporés au grand Reich. Le chef des SS s'efforçait “d'abord de transférer les juifs de l'Ancien Reich, en tant que première étape dans les régions annexées depuis deux ans au Reich, pour les envoyer au printemps prochain encore plus loin à l'Est”. Dès le début de l'automne, alors qu'“en haut lieu”, la conception de la solution finale s'était radicalement modifiée, Hey­drich annonçait à la conférence du 10 octobre sur l'“évacuation” des Juifs du Grand Reich que “50.000 sont prévus pour Minsk et Riga” dans le Commissariat du Reich pour l'Ostland. Les commandants des Groupes d'action de la SS et de la Police dans la zone opérationnelle étaient “habilités” à les “recevoir dans les camps [...] réservés aux commu­nistes”. A la Sécurité du Reich, on se préparait fébrilement à équiper ces “camps” de “moyens” plus appropriés pour “recevoir” ces Juifs “évacués” du Grand Reich.

20.10  Les appareils à gaz pour les inaptes

L'expert spécial de la politique raciale au Ministère des Territoires occupés de l'Est, Ehrard Wetzel, estima utile, le 25 octobre, d'en in­former Erich Lohse, en réponse à son rapport sur les “incidents” sur­venus au cours des fusillades de Vilna[72]. En sa qualité d'expert, il a le contact avec Eichmann. Le haut fonctionnaire de l'’“évacuation” lui a “fait savoir que des camps sont prévus pour les Juifs à Riga et à Minsk où pourront être transférés même les Juifs de l'ancien Reich. A l'heure actuelle”, annonçait Wetzel le 25 octobre, “on évacue des Juifs de l'ancien Reich pour les envoyer à Litzmannstadt” - Lodz en allemand - “et d'autres camps encore, d'où ils partiront vers l'Est, et, s'ils sont aptes au travail, dans les camps de travail”.

Ce départ vers “l'Est” des Juifs inaptes au travail à un sens très précis dans la lettre d'un Wetzel bien informé des fusillades de Juifs soviétiques. Avec la déportation des “Juifs de l'ancien Reich” vers cet Est où le massacre prend, en cet automne 1941, l 'allure d'un géno­cide, l'analyse de “la situation actuelle” dévoile à l'expert racial qu'“il n'y a aucun scrupule à avoir pour liquider, selon la méthode Brack, les Juifs inaptes au travail”. “De cette façon”, ajoute Wetzel, “des incidents tels que ceux qui ont eu lieu au cours des fusillades de Juifs à Vilna [...] ne seront plus tolérés et ne seront plus pos­sibles”.

Cette “méthode Brack”, plus discrète que les fusillades “publiques”, n'était pas “sans présenter quelque danger” avec ses “baraquements” équipés d'“appareils à gaz”. Le père de la “méthode”, Victor Brack, général SS à titre honorifique, dirigeait le service II à chancellerie personnelle du Führer. Cette commission de travail du Reich pour les établissements thérapeutiques et hospitaliers était installée à Ber­lin, Tiergartenstrasse, 4 (la rue du jardin zoologique). L'adresse donna son nom de code à l'“action T4”, cryptogramme du massacre sous prétexte d'euthanasie des déficients mentaux parmi la population alle­mande. L'action T4, décidée en octobre 1939 - un mois après l'invasion de la Pologne - fit 70.000 victimes allemandes jusqu'en août 1941. Les malades mentaux étaient assassinés au moyen de bouteilles d'oxyde de carbone dans 5 asiles psychiatriques. Ces établissements équipés de chambres à gaz se situaient, tous, sur le territoire de l'ancien Reich, à Grafneck, Brandenburg, Sonnenstein, Hartheim et Hadamar. La population allemande ne tarda pas à réaliser ce qui s'y passait. Les protestations obligèrent de suspendre le massacre “euthanasique[73]. L'arrêt provisoire de l'action T4 rendit les spécialistes de la “méthode Brack” disponibles pour “collaborer”, dès l'automne, à la nouvelle version de “solution de la question juive[74].

Le diligent Wetzel avait appris - et il s'empressa de l'annoncer à Lohse - que Brack “s'est déclaré prêt à collaborer à l'installation des baraquements nécessaires et des appareils à gaz” dans les camps prévus dans l'Ostland, mais qu'il estimait “plus facile de fabriquer ces appareils sur place plutôt que dans le Reich” et il était disposé à “envoyer son personnel à Riga”. Cette collaboration devait néanmoins suivre les filières hiérarchiques et Wetzel recommandait à Lohse, d'autant qu'Eichmann était “d'accord”, de faire appel aux hommes de Brack “par [l'] intermédiaire de [son] chef supérieur de la SS et de la police”. La lettre de Wetzel n'a finalement pas été envoyée au com­missaire du Reich de l'Ostland. Non pas que le zèle de l'expert spé­cial de la politique raciale au Ministère des Territoires occupés de l'Est eût été intempestif. L'expert Wetzel est un exemple typique de ces “personnes qui considèrent cette question comme une tâche histo­rique” et dont son ministre Rosenberg allait dire, devant la presse allemande, le 18 novembre, qu'elles agissent d'un “point de vue poli­tique et historique très lucide”.

Seulement, le trop lucide fonctionnaire de la politique raciale au Mi­nistère des Territoires de l'Est n'avait pas pris en compte toute l'“expérience” des escadrons de la mort se déplaçant de village en village et de ville en ville dans les territoires soviétiques. La “méthode Brack” avec son infrastructure lourde de “baraquements” et d'“appareils à gaz” ne convenait pas à leur mobilité. Au demeurant, l'extermination des Juifs d'Europe était une opération d'une tout autre “envergure” que le massacre de moins de 100.000 débiles mentaux en deux ans au moyen de bonbonnes d'oxyde de carbone. Les services de la Sécurité du Reich s'inspirant de “méthode Brack” adaptèrent cette technologie aux impératifs de la solution finale.

Dans sa discrétion sur les “expériences pratiques” de la Sécurité du Reich, Heydrich n'avait pas invité à la conférence de Wannsee ni un représentant de la chancellerie personnelle du Führer, ni même ses of­ficiers SS les plus avertis des progrès réalisés dans cette recherche d'une technologie appropriée au génocide en cours. Heydrich n'avait pas jugé utile la présence, fût-elle silencieuse - comme celle des autres officiers de la police SS invités à Wannsee -, du lieutenant-colonel SS, Walter Rauff, de son bureau II D des “questions techniques à l'Office central et de son expert, le sous-lieutenant SS August Be­cker, docteur en chimie. Fin 1941, le service technique de la Sécurité du Reich avait mis au point une technologie exterminatrice mieux adap­tée à la mobilité des escadrons de la mort déployés dans les terri­toires soviétiques. Les 4 Groupes d'action de la SS et de la police en opérations” allaient recevoir du service de Rauff des “camions de la mort”. L'appellation est d'époque.

En tournée d'inspection auprès de leurs “commandos spéciaux”, l'envoyé de Rauff dut constater au printemps 1942 que “ces voitures étaient de­venues si connues que non seulement les autorités [allemandes], mais aussi la population civile [soviétique] les appelaient les “camions de la mort”. Le sous-lieutenant SS August Becker n'était pas parvenu, en dépit de ses efforts d'imagination, à “dissimuler longtemps ces voi­tures”. Il s'agissait de camions de marque Diamond ou Saurer aménagés en chambres à gaz mobiles[75]. Pour tuer leurs passagers, les SS ne ma­nipulaient plus des bouteilles d'oxyde de carbone. Les gaz d'échappement étaient branchés à l'intérieur de la caisse. Les tueurs des Groupes d'action C et D de la SS et de la Police que le docteur en chimie attaché au service de Rauff venait de visiter dans les terri­toires soviétiques occupés ne maîtrisaient toutefois pas convenable­ment cette technique du gazage. Rodés aux fusillades massives et sau­vages qui n'avaient pas cessé, ils n'employaient généralement pas “de façon correcte” la nouvelle méthode plus sophistiquée. “Pour en finir le plus vite possible”, constatait navré le chimiste de Berlin, “le conducteur presse l'accélérateur à fond. En agissant ainsi, on fait mourir les gens par étouffement, et non par assoupissement progressif comme prévu”. Aussi, le spécialiste en gazage humain de la Sécurité du Reich - il avait fait ses premières armes dans le programme d'euthanasie[76] - donna-t-il les “directives” adéquates: “grâce à un ajustement correct des leviers”, recommandait-il, “la mort est plus rapide et les prisonniers s'endorment paisiblement. On ne voit plus de visages convulsés, plus d'excrétions, comme on en remarquait aupara­vant”, assurait son rapport à Berlin.

Dans la capitale du IIIe Reich, le chef du service technique SS n'avait toutefois pas lieu de se plaindre du “commando spécial” engagé dans le Wartheland.

20.11  Les camions de la mort à Chelmno

Depuis décembre 1941 , se félicite Rauff en juin 1942, “ont été trai­tés de façon exemplaire 97.000 Juifs avec les trois camions fournis à Kulmhof. Chelmno en polonais était le centre d'extermination juive par le gaz, et non pas un camp. Situé au Nord-Ouest de Lodz, à une cin­quantaine de km. de la principale concentration de Juifs du fief d'Arthur Greiser, les Juifs du Wartheland qui n'intéressent pas les services économiques, étaient amenés, convoi après convoi, à l'ancienne résidence seigneuriale du village, le château de Chelmno; après s'y être déshabillés, ils prenaient place dans un des 3 camions de Rauff qui les attendait à la sortie; la porte à peine fermée, ils s'y précipitent, affolés d'“angoisse”, pendant que les gaz d'échappement commencent à les asphyxier[77]. Sa tâche accomplie, le “camion de la mort” quitte enfin le château, avec son chargement de cadavres qu'il convoie dans le bois de Rzuchow à 4 km de distance; dans ce “camp de la forêt”, une équipe de vingt à trente prisonniers juifs - les seuls internés de ce  centre d'extermination - déchargent les corps et les font disparaître.

Le choix de Chelmno comme premier camp sans détenu de la solution fi­nale est une concession d'Heydrich aux autorités du Wartheland. Celles-ci n'avaient absolument pas apprécié, pendant l'automne 1941, le programme d'évacuation des Juifs du Grand Reich vers cette province orientale. Dans sa conférence du 10 octobre, six jours avant la pre­mière “évacuation”, Heydrich avait averti qu'il fallait “encore ména­ger beaucoup les autorités de Litzmannstadt”, Lodz en allemand. Du 16 octobre au 4 novembre, 20.000 Juifs du Grand Reich furent finalement déportés vers ce ghetto surpeuplé. Des 300.000 Juifs du territoire, 140.000 y avaient été enfermés sur un espace de 4,14 km2. Dès l'été 1941, les autorités politiques et policières locales considéraient “sérieusement” qu'“ils courent le risque, cet hiver, de ne pouvoir être tous nourris” et cette bureaucratie pressait Berlin de “liquider les Juifs inaptes au travail par un moyen quelconque à action ra­pide[78]. L'état-major du Chef supérieur des SS et de la police du ter­ritoire l'avait suggéré à Eichmann, à la Sécurité du Reich. L'autorisation parvint seulement à la fin de l'année. “En accord avec le chef de l'Office Central de la Sécurité du Reich, le général de corps d'armée SS Heydrich”, Himmler autorisa, comme le lui rappelle Greiser, en mai 1942, de soumettre au “traitement spécial [...] envi­ron cent mille Juifs se trouvant sur le territoire de [s]on  district” en utilisant à cette fin, “le commando spécial” mis à sa disposi­tion[79].

Les difficultés surgies pendant l'évacuation des Juifs du Grand Reich vers l'Ostland expliquent aussi pourquoi l'Office Central de la Sécu ­rité se décida, comme en témoigne Hans Frank dans son discours du 16 décembre 1941, de les “liquider” sur place, dans le Wartheland. Dès que le 16 novembre, les convois prirent la direction de Minsk et de Riga, les commandos des escadrons de la mort n'envisageaient nullement de faire la moindre différence entre “les hordes bestiales autoch­tones” et ces “gens qui”, aux dires du Commissaire général de la Bié ­lorussie, “viennent des mêmes milieux culturels que nous[80]. En Litua­nie, le commando d'action 3 ne se gêna pas de fusiller, le 25 novembre 1941, 1.159 Juifs, 166 Juives et 175 enfants juifs, toutes “personnes déplacées de Berlin, Munich, Francfort sur Main”, mentionne le colonel SS Jäger dans son rapport du 1er décembre[81]. Le 29 novembre, c'était au tour, toujours d'après la chronologie de ses tueries, de 693 Juifs, 1.155 Juives et 152 enfants juifs”, toutes “personnes déplacées de Vienne et Breslau”.

Le 30 novembre, à 13 heure 30, Himmler, présent à la Wolfschanze , le quartier général de Hitler, nota, à la suite d'une conversation télé­phonique avec Heydrich: “transport de Juifs de Berlin, pas de liquida­tion[82]. A nouveau, comme avec l'hypothèque du “travail”, les “intentions” des tueurs SS de Lituanie butaient sur les dérives de la solution finale. Les doléances ne provenaient pas seulement de cette “bourgeoisie” dont les pleurs agaçaient déjà Hitler, le 19 novembre 1941. Le chef des SS, sarcastique, ne se priverait, dans son discours sur “la grave décision”, de railler, devant cette assemblées des plus hauts dignitaires du parti, ces “nationaux-socialistes respectables et convenables [qui] connaissent tous un Juif convenable lui aussi”. Himmler, opposant la détermination farouche de ses tueurs, s'y plai­gnait du “nombre de gens - mêmes des camarades du parti - qui ont adressé à n'importe quel service ou à moi-même”, confiait-il, “cette fameuse requête disant que bien sûr tous les Juifs sont des porcs, sauf Untel ou un Untel qui sont des Juifs convenables auxquels on ne doit rien faire”. A la fin de l'automne 1941, en Biélorussie, c'était le commissaire général qui se rebiffait contre le “traitement” prévu pour les Juifs “évacués” du Grand Reich. Wilhelm Kube, ami personnel d'Erich Lohse dont il relevait le priait de “donner personnellement des instructions officielles en ce qui concerne l'attitude que devra adopter l'administration civile à l'égard des Juifs déportés d'Allemagne en Biélorussie”, des “instructions précises”, insistait-il, “propres à conserver au Reich et à notre Parti le prestige auquel il a droit, tout en assurant l'exécution des mesures indispensables de la façon la plus humaine possible[83]. Kube “ne manqu[ait] certes pas de dureté” et il était “prêt à contribuer à la solution du problème juif, mais des gens qui viennent des mêmes milieux culturels que nous”, écrivait-il à son ami Lohse, “c'est tout de même autre chose que les hordes bestiales autochtones”. Lui ne voulait même pas “confier cette boucherie aux Lituaniens et aux Lettons”. Sur les 25.000 Juifs du Grand Reich annoncés, il en avait reçus “6 à 7.000 seulement” et il y avait remarqué “d'anciens combattants, détenteurs de la croix de fer de première, de deuxième classe, des blessés de guerre, des demi-aryens, même des trois-quarts aryens”. Il s'agissait là des problèmes en suspens qu'il était indispensable de traiter dans cette paradoxale conférence de Wannsee, le 20 janvier 1942.

20.12  Le paradoxe du 20 janvier 1942

Dés la conférence du 10 octobre 1941 sur leur “évacuation”,  les ser­vices d'Heydrich prévoyaient ces “difficultés”. En guise de précau­tions, le chef de la Sécurité du Reich avait insisté, en présence d'Eichmann, alors major SS, mais déjà spécialiste de l”“évacuation”, de “veiller absolument à ce que parmi les Juifs du Reich ne s'en trou­vent pas bénéficiant de protections exceptionnelles pour ne pas provo­quer une avalanche de lettres de protestation[84]. Heydrich n'entendait pas “épargn[er]” les Juifs décorés à titre militaire, mais il tolérait qu'évacués, ils bénéficient “des allégements prévus d'ici là, en ac­cord avec le commandement de la Wehrmacht ”. Dans son programme, “en aucun cas, les Juifs ne seront autorisés à rester dans le Reich, ils seront, au contraire, évacués dans des proportions à déterminer”. La précipitation du chef de la Sécurité n'avait pas réglé les problèmes que soulevait dans la population et parmi les autorités la migration des Juifs du Reich vers cet “Est” aux possibilités nouvelles.

La conférence de Wannsee avec les représentants des administrations centrales compétentes n'a pas d'autre raison d'être que cette néces­sité de lever les hypothèques entravant l'“action” des tueurs SS. “Une condition importante pour mener à bonne fin l'évacuation”, acte le procès-verbal du 20 janvier 1942, “c'est, selon le Général de corps d'armée SS Heydrich, de fixer très exactement la catégorie des per­sonnes à évacuer”. En ce qui concerne les Juifs du Grand Reich, Hey­drich n'avait pas l'intention d'“évacuer les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans, mais de les transférer dans un ghetto de vieil­lards - probablement Theresienstadt”, en Bohême dont il avait, dès la mi-octobre 1941, envisagé de faire “une zone de peuplement modèle pour servir la propagande allemande”. Cette ghettoïsation des vieillards comprendraient également “les Juifs grands blessés de [la première] guerre [mondiale] et les Juifs titulaires de décorations (Croix de fer, 1er classe). Cette solution opportune rend d'un coup” superflues “les interventions incessantes”, assura le chef de la Sécurité du Reich, le 20 janvier 1942. En revanche, la question “des demi-aryens, même des trois-quarts aryens” si troublante pour le Commissaire géné­ral Kube occupe longuement la conférence de Wannsee. Le chef de la chancellerie du Reich, Hans Lammers qui délégua son chef de cabinet Frederich Kritzinger le 20 janvier 1942 avait exposé son point de vue dans une lettre à Heydrich. Roland Freisler et Wilhelm Stuckart, les secrétaires d'Etat des ministères de la Justice et de l'Intérieur, également intéressés, assistaient à la conférence en particulier pour cette question épineuse. Stuckart, très réaliste, remarqua “que la réalisation pratique des possibilités de solution qui viennent d'être indiquées, en matière de mariages mixtes et de métis comportera un travail administratif des plus compliqués[85] et, “pour tenir compte en tous les cas, des faits biologiques”, il proposa de “procéder à la stérilisation forcée”. L'ineffable chef de l'Office central pour la race et l'immigration, plus radical en cette matière que son collègue de la Sécurité , venait aussi d'avancer l'idée. Hofmann s'imaginait que les Juifs “mixtes” concernés devineraient le sens réel de cette “évacuation vers l'Est” et préféreraient, devant l'alternative, “se soumettre à la stérilisation”. En l'occurrence, il s'agissait, en com­plément du génocide, d'une manière d'extermination rampante étalée sur une génération comme l'extermination par le travail des Juifs “valides l'était en fonction de la capacité de résistance physique et morale des concentrationnaires. Du moins, Heydrich ne s'arrêta pas longuement à l'hypothèque de la mise au travail. Elle occupe quelques lignes dans le procès-verbal. En revanche, la question des mixtes” qui, dans la statistique des Juifs du Grand Reich concernait 27.774 personnes[86] oc­cupe le tiers - 2 pages du procès-verbal - de l'exposé d'Heydrich sur la solution finale s'appliquant à environ 11 millions de personnes.

Le paradoxe de cette conférence de Wannsee est là, dans cette distor­sion entre les préoccupations de la haute administration nazie réunie le 20 janvier 1942 et l'extermination déjà en cours d'hommes, de femmes, de vieillards et surtout des enfants interdits de séjour dans le système concentrationnaire et assassinés dès leur “évacuation”.

La mémoire du génocide se fourvoierait si elle composait sa symbolique sur une pareille distorsion de l'histoire.


*  Le texte a été publié, sous le titre "Le paradoxe de Wannsee", dans Cahier de la Mémoire n°3 Wannsee et la shoah, polycopie éditée par Comité Zakhor - Union des déportés juifs, Bruxelles, 1992.

[1]. Voir à ce propos M. STEINBERG, "La symbolique d'Auschwitz ou l'impasse de la mémoire", dans M. & N. WEINSTOCK, Ed., Pourquoi le Carmel d'Auschwitz?, Revue de l'Université Libre de Bruxelles, 1990/3-4, pp. 47-62.
[2]. L. ATLAN et al., Les Juifs dans l'histoire, de 1933 à nos jours, Ed. PACEJ, 19, rue Téhéran, 75.008 Paris, 1984, p. 30.
[3]. E. GOUREVITCH & P. FACON, "Juifs", le Dictionnaire de la Seconde Guerre Mondiale, Ed. Larousse, 1979, vol. II, p. 1019. A l'article "Wannsee" (vol. II, p.1911), E. Gourévitch est moins affirmatif avec un compte rendu plus correct de la conférence.
[4]. Telle est l'histoire qu'enseigne un manuel des plus appréciés des professeurs de l'enseignement secondaire, Le temps présent, Ed. Bordas, 1983, p.32.
[5] . Le procès-verbal de conférence est classé dans la documentation du Procès de Nuremberg sous la cote NG 2586. Il a été partiellement publié en français dans H. MONNERAY, La persécution des Juifs dans les pays de l'Est, pp. 82-86. Le texte publié dans  le Cahier de la Mémoire n° 3 Wannsee et la shoah, polycopie éditée par Comité Zakhor - Union des déportés juifs, Bruxelles, 1992 s'inspire de cette traduction vérifiée sur le document original qu'il reprend intégralement.
[6]. Voir sur le journal du médecin SS d'Auschwitz, J.-P. Kremer, autre document malmené, M. STEINBERG, Les yeux du témoin et le regard du borgne. L'histoire face au révisionnisme, Cerf, Paris, 1990
[7]. Voir ATLAN et al., Les Juifs dans l'histoire, de 1933 à nos jours, p. 30.
[8]. Himmler aux Gauleiter et Reichsleiter à Posen, le 6 octobre 1943, in HIMMLER H., Discours secrets, Gallimard, Paris, 1978, pp. 167-169.
[9]. P. JOFFROY & K. KONIGSEDER, Eichmann par Eichmann, texte établi par Pierre Joffroy et Karin Königseder, Paris, 1970, p. 123.
[10]. Ibidem, p. 119.
[11]. C'est dans son bureau qu'il convoquait, cinq mois après Wannsee, le 11 juin 1942, les 3 officiers SS en charge des affaires juives à Paris, à Bruxelles et à La Haye pour mettre en route sur ordre d'Himmler la solution finale de l'Europe occidentale.
[12]. "J'étais assis dans un coin avec la sténotypiste et personne ne s'est occupé de nous. Nous étions beaucoup trop insignifiants", dans P. JOFFROY & K. KONIGSEDER, Eichmann par Eichmann ..", p. 134.
[13]. Ibidem, p. 117-118.
[14]. J. BILLIG, F. DE MENTHON, R. KEMPNER éd., Le Dossier Eichmann, Ed. W. Beckers, Kalmhout-Anvers, 1973, pp.97-98.
[15]. CDJC XXVI-1/Doc. Nur. RF 1207, La question juive en France et son traitement, Paris, le 1er juillet 1941, signé: lieutenant SS Dannecker, dans H. MONNERAY, La persécution des Juifs en France et dans les autres pays de l'Ouest, Paris, 1947, p. 85.
[16]. CDJC V Mémoire de Dannecker sur la création d'un Office central juif, 21 janvier 1941,. dans J. BILLIG, Le Commissariat Général aux questions juives,  t I, C.D.J.C., Paris, 1955, pp. 46-47.
[17]. On lira à ce propos Ch. BROWNING, La décision concernant la solution finale, dans Colloque de L'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, L'Allemagne nazie et le génocide juif; Gallimard-Le Seuil, Paris, 1985, pp. 190-216; également Ph. BURRIN, Programme ou engrenage : un grand débat historiographique, dans BEDARIDA, F. éd. La politique nazie d'extermination, Albin Michel, 1989, pp. 28-39.
[18]. Le commandant militaire en France, Paris, le 6 octobre 1941, au haut commandement de l'armée, État-major général de l'armée, Quartier général, objet: attentats contre set synagogues parisiennes dans la nuit du 2 ou 3 octobre 1941 dans H. MONNERAY, La persécution des Juifs en France et dans les autres pays de l'Ouest, Paris, 1947, p. 353.
[19]. Le chef de la police de sécurité et du service de sécurité, Berlin, le 6 novembre 1941 au haut commandement de l'Armée, à l'attention du quartier-maître général Wagner,  dans H. MONNERAY, La persécution des Juifs en France et dans les autres pays de l'Ouest, Paris, 1947, p. 353
[20]. Le commandant militaire en France, Paris, le 6 octobre 1941, au haut commandement de l'armée, État-major général de l'armée, Quartier général, objet: attentats contre sept synagogues parisiennes dans la nuit du 2 ou 3 octobre 1941, ibidem, p. 353.
[21]. Le major SS Helmut Knochen était le délégué du Chef de la police de sécurité et du service de sûreté en France.
[22]. Voir l'interprétation de Ph. BURRIN, Hitler et les Juifs, genèse d'un génocide, Le Seuil, Paris, 1989, pp. 140-141.
[23]. Haut Commandement de l'Armée, Quartier général, le 2 décembre 1941 à Monsieur le chef de la police de sécurité et service de sécurité, objet: attentats par explosifs contre les synagogues parisiennes, dans H. MONNERAY, La persécution des Juifs en France et dans les autres pays de l'Ouest, p. 359-360
[24]. CDJC XXVI-7 Office central de la Sécurité du Reich au délégué du Chef de la police de Sécurité et du Service de sûreté le général de Brigade SS Thomas à Bruxelles, concerne: émigration des Juifs, Berlin, le 23 octobre 1941, signé: Müller
[25]. Soit 131.888 dans l'"Ancien Reich" - l'Allemagne proprement dite -, 43.700 en Autriche et 74.200 dans le Protectorat de Bohême-Moravie, la partie de la Tchécoslovaquie incorporée dans le Grand Reich allemand.
[26]. Un septième dignitaire SS, l'Oberführer Klopfer représente la chancellerie du parti.
[27]. La Biélorussie (446.484) et l'Ukraine (2.994.464) sont occupés. N'est pas précisé le nombre de Juifs de la zone militaire qui s'étend au-delà de ces territoires jusqu'à la ligne du front.
[28]. Himmler, devant les généraux et chefs de service de la SS et de la police, déclarait, le 9 juin 1942 à Berlin: "l'hiver dernier a réellement été terrible. le discours du Führer au Reichstag l'a exprimé très ouvertement et l'a montré clairement à l'ensemble du peuple allemand. Ici, nous pouvons être encore plus francs. Nous aurions vraiment été menacés d'une catastrophe si le Führer n'avait pas pris les choses en main avec tout le génie et toute l'énergie qu'il possède, et soumis le destin d'une main ferme. Nous pouvons nous vanter d'avoir aidé le Führer à vaincre le destin. Je peux vous assurer que cet hiver, la SS n'a flanché ni un seul jour, ni un seul instant", dans H. HIMMLER, Discours secrets, Paris, 1978, pp.141-146.
[29]. Sur le témoignage de Bühler, voir R. HILBERG, La destruction des Juifs d'Europe, Fayard, Paris, 1988, 347, note 33.
[30]. H. MONNERAY, La persécution des Juifs dans les pays de l'Est, p. 202.
[31]. B. NELLESSEN, Der Prozess von Jerusalem, Düsseldorf, p. 206, cité d'après Ch. BROWNING, "La décision concernant la solution finale", dans L'Allemagne nazie et le génocide juif, Gallimard-Le Seuil, Paris, 1985, p. 207.
[32]. B. Arch. Kobl. R 6-37, cité d'après B. MÜLLER-HILL, Science nazie, science de mort, l'extermination des Juifs, des Tziganes et des malades mentaux de 1933 à 1945, Ed. O. Jacob, Paris, 1989, pp.47-48.
[33]. E. Lohse , commissaire du Reich pour l’Ostland au Ministre du Reich pour les Territoires occupés de l'Est,  Riga, le 15 novembre 1941, d'après L. POLIAKOV & J. WULF, Le IIIème Reich et les Juifs, Gallimard, Paris, 1959, p. 140 à 147.
[34]. Dr. Leibbrandt pour le Ministre du Reich pour les Territoires occupés de l'Est à E. Lohse , commissaire du Reich pour l’Ostland, Berlin, le 31 octobre 1941, d'après L. POLIAKOV & J. WULF, Le IIIème Reich et les Juifs, Gallimard, Paris, 1959, p. 140 à 147.
[35]. Ces directives connues sous le nom de "dossier brun" indiquaient que "toutes les mesures concernant la question juive dans les territoires occupés de l'Est doivent être prises avec l'idée qu'après la guerre, la question juive trouvera en Europe une solution générale. Il convient de les prendre comme mesures partielles et préparatoires et de les faire concorder avec les autres décisions prises dans ce domaine. D'autre part, l'expérience des territoires de l'Est pourra nous guider pour résoudre l'ensemble du problème juif, pour la bonne raison que les Juifs de ces territoires forment avec les Juifs du gouvernement général, le contingent le plus fort des Juifs d'Europe. Il convient de ne pas gêner l'action éventuelle de la population civile locale contre les juifs dans la mesure où elle n'entrave pas le maintien de l'ordre à l'arrière des unités combattantes". En d'autres termes, les autorités civiles n'avaient pas à empêcher les pogroms que les Groupes d'action de la SS et de la Police avaient mission de susciter, mais les tueries ne signifiaient pas que la solution finale avait, dès l'invasion de l'U.R.S.S. basculer dans le génocide. Voir le document dans H. MONNERAY, La persécution des Juifs dans les pays de l'Est, Paris, 1949, p. 78.
[36]. Voir aussi S. FRIEDLÄNDER, "De l'antisémitisme à l'extermination. Esquisse historiographique et essai d'interprétation", dans L'Allemagne nazie et le génocide juif, p. 30.
[37]. D'après L. POLIAKOV & J. WULF, Le IIIème Reich et les Juifs, Gallimard, Paris, 1959, p. 140 à 147.
[38]. Dr. Wetzel, Ministère du Reich pour les Territoires occupés de l'Est, au Commissaire du Reich pour l'Ostland, Berlin, le 25 octobre 1941, d'après P. JOFFROY & K. KONIGSEDER, Eichmann par Eichmann, pp. 162-163.
[39]. Lange en compte dans les ghettos de Riga: 2.500, de Dünaburg: 950 et de Libau:300.
[40]. Voir Ph. BURRIN, Hitler et les Juifs, p. 192 note 57.
[41]. Rapport du Dr. Lange en janvier 1942 à Riga, d’après H. KRAUSNICK & H.-H. WILHELM, Die Truppe des Weltanschauungskrieges, Die Einsatzgruppen der Sicherheitspolizei und des SD 1938-1942, DVA, Stuttgart, 1981, pp. 534-535.
[42]. E. KLEE, W. DRESSEN, V. RIESSE, Pour eux, "c'était le bon temps", La vie ordinaire des bourreaux nazis, Plon, Paris, 1989, pp. 40-54.
[43]. D'après le compte rendu nº6 sur l'activité et la situation des Groupes d'action de la SIPO et du SD en URSS, du 1er au 31 octobre 1941 (voir H. MONNERAY, La per­sécution des Juifs dans les pays de l'Est, p. 296-297), il y avait 2.000 Juifs seulement lors de l'entrée des troupes allemandes en Estonie. Le rapport ajoute: "les Juifs de sexe masculins, âgés de plus de 16 ans, à l'exception de médecins et des Présidents des communautés juives seront exécutés. Après cette opération qui n'est pas encore entièrement achevée, il ne restera dans la région Est que 500 femmes et enfants juifs". Jusqu'au 20 janvier 1942, le génocide avait, entre temps, accompli sa tâche.
[44]. Jäger ajoutait qu'"il faudrait, à mon avis, déjà commencer à stériliser les hommes afin d'empêcher toute procréation. Si une Juive était enceinte malgré cela, il faudrait la liquider".
[45]. Himmler aux Gauleiter et Reichsleiter à Posen, le 6 octobre 1943, dans H.HIMMLER, Discours secrets, Gallimard, Paris, 1978, pp. 167-169.
[46]. Voir à ce sujet, R. HILBERG, pp. 757 et suivantes.
[47]. Voir à ce sujet A. MAYER, La "Solution finale" dans l'histoire, p. 351, également p. 375.
[48]. NI-15392 Pohl à Himmler, 16 septembre 1942, cité d'après R. HILBERG, La destruction des Juifs d'Europe, p. 795.
[49]. Himmler aux Gauleiter et Reichsleiter à Posen, le 6 octobre 1943, dans H.HIMMLER, Discours secrets, Gallimard, Paris, 1978, pp. 167-169.
[50]. J. BILLIG, F. DE MENTHON, R. KEMPNER Ed., Le Dossier Eichmann, pp.97-98.
[51]. Hans Frank, le 16 décembre 1941, à Cracovie, d’après H. MONNERAY, La persécution des Juifs dans les pays de l'Est, p. 202.
[52]. A. HITLER, Libres propos sur la guerre et la paix, Flammarion, Paris, 1954, t I. p. 131
[53]. Entrée du 25 octobre 1941, dans A. HITLER, Libres propos, t I. p. 74.
[54]. Hans Frank, le 16 décembre 1941, à Cracovie, d’après H. MONNERAY, La persécution des Juifs dans les pays de l'Est, p. 202.
[55]. L. DAWIDOWICZ, La Guerre contre les Juifs, l933-1945, Ed. Hachette, Paris, 1977, p.183.
[56]. Voir M. STEINBERG, La piste "judéo-bolchevique"? Une bonne question mal posée, in Y. THANASSEKOS & H. WISMANN, éd. Révision de l'histoire, totalitarismes, crimes et génocides nazis, Le Cerf, Paris, 1990, pp. 176-186.
[57]. Ordre du jour de l'État-Major de l'Armée de Terre, le 4 juin 1941, directives pour le comportement de la troupe en Russie, dans J. BILLIG, La solution finale de la question juive, Essai sur ses principes dans le IIIème Reich et en France sous l'Occupation, Paris, 1977, p.60. Voir aussi H. KRAUSNICK & H.-H. WILHELM, Die Truppe des Weltanschauungskrieges, Die Einsatzgruppen der Sicherheitspolizei und des SD 1938-1942, DVA, Stuttgart, 1981, p.136.
[58]. Doc. Nuremberg NO-3151, RSHA R 86 le 17 septembre 1941, cité dans R. HILBERG, ouvr. cit., p.296.
[59]. Groupe d'action A, Compte rendu général jusqu'au 15 octobre 1941, le 31 janvier 1942, d’après L. POLIAKOV & J. WULF, Le IIIème Reich et les Juifs, Gallimard, Paris, 1959, p. 140 à 147. .
[60] Doc.Nuremberg NO 2825, RSHA IV-A 1 R 133, du 14 novembre 1941, cité dans R. HILBERG, ouvr. cit., p. 256.
[61]. Doc. Nuremberg NO 2828, Le chef de la police de sécurité et du service de sûreté, Compte rendu n°145 des événements survenus en U.R.S.S., Berlin le 13 décembre 1941.
[62] Le chef de la police de sécurité et du service de sûreté, Compte rendu nº128 des événements survenus en U.R.S.S.  Berlin, le 3 novembre 1941.
[63]. L'expression se trouve le document NO 2655 Le chef de la police de sécurité et du service de sécurité, Berlin, le 11 juillet 1941, compte rendu nº9 sur l'activité et la situation des Groupes d'action de la SIPO et du SD en URSS,  dans H. MONNERAY, La persécution des Juifs dans les pays de l'Est, p. 290-291: dans l'Ostland, expose le document, "le Commando d'action des cantons de Rokiskis, de Sarasai, de Perzai et de Prienai, vient d'atteindre pour les mêmes raisons le chiffre record de 85.000 exécutions. Les dits cantons sont désormais libérés de leurs Juifs".
[64]. Doc. Nuremberg R 1O2, compte rendu n° 6 sur l'activité et la situation des Groupes d'action de la Police de Sécurité et du Service de sûreté en U.R.S.S., du 1er au 31 octobre 1941, dans H. MONNERAY, op. cit., p. 298.
[65]. Ph. BURRIN, Hitler et les Juifs, p. 124 a brillamment démontré, en exploitant le document Jäger, qu'en septembre 1941 les femmes (26.243) et les enfants (15.112) sont les principales victimes du Commando d'action 3 en Lithuanie: un total de 41.355 sur 56.459 Juifs assassinés en un mois, un "bouleversement", estime l'historien, qui "ne peut être sorti que d'une volonté politique, qui, à un moment donné, s'était fait connaître sans équivoque".
[66]. Entrée du 21 octobre 1941, dans A. HITLER, Libres propos sur la guerre et la paix, Flammarion, Paris, 1954, t I., p.76-79
[67]. Entrée du 25 octobre l941, ibidem, p. 74.
[68]. Ibidem, p. 131
[69]. Cité d'après S. FRIEDLÄNDER, "De l'antisémitisme à l'extermination. Esquisse historiographique et essai d'interprétation", dans L'Allemagne nazie et le génocide juif, p. 32.
[70]. Lettre d'Himmler à Greiser, le 18 septembre 1941, dans J. BILLIG, La solution finale de la question juive, p.66.
[71]. Conférence sur la solution finale aux problèmes posés par les juifs, le 10 octobre 1941, dans P. JOFFROY & K. KONIGSEDER, Eichmann par Eichmann, texte établi par Pierre Joffroy et Karin Königseder, pp. 53-54.
[72]. Dr. Wetzel, Ministère du Reich pour les Territoires occupés de l'Est, au Commissaire du Reich pour l'Ostland, Berlin, le 25 octobre 1941, d'après P. JOFFROY & K. KONIGSEDER, Eichmann par Eichmann, pp. 162-163.
[73]. Il se poursuivit néanmoins sous l'appellation de "traitement spécial 14 f 13" avec les détenus des camps de concentration.
[74]. Une lecture téléologique et rétrospective du génocide voit, dans le massacre "euthanasique" un précédent et un préalable. Les faits résistent à cette explication idéologico-historique. D'une part, en 1939, les Juifs étaient moins nombreux sur le territoire du Grand Reich allemand que les 300.000 déficients mentaux concernés par l'action T4. S'attaquant à ces Allemands de "race aryenne", elle comportait plus de risques politiques que l'assassinat systématique des Juifs allemands "non-aryens". D'autre part, les SS n'ont pas utilisé, d'emblée, ces techniques de gazage dans l'extermination systématique des Juifs. Enfin, les techniciens du gazage mis au service de la "solution finale" improvisent, chacun dans son secteur, la technologie la plus appropriée à cet objectif, tantôt les gaz d'échappement d'un moteur, tantôt le gaz prussique. Dans les chambres à gaz des asiles "psychiatriques", ils avaient utilisé des bonbonnes de monoxyde de carbone. Voir E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret d'Etat, Ed. de Minuit, Paris, 1984; voir aussi Y. TERNON et S. HELMAN, Le massacre des aliénés, des théoriciens nazis aux praticiens, Ed. Casterman, Paris.
[75]. Dr Becker , sous-lieutenant SS au lieutenant-colonel SS Rauff à Berlin, Kiev, le 16 mai 1942, d'après H. MONNERAY, La persécution des Juifs dans les pays de l'Est, Paris, 1949  pp.148-15O.
[76]. Voir le témoignage d'August Decker, dans KLEE, E., W. DRESSEN, V. RIESSE, Pour eux, "c'était le bon temps", La vie ordinaire des bourreaux nazis, Plon, Paris, 1989, pp.63-66.
[77]. I D, Note du lieutenant-colonel SS Rauff, objet: modifications techniques à apporter aux camions spéciaux actuellement en service et à ceux qui sont en cours d'aménagement, Berlin, le 5 juin 1942, E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, Secret d'Etat, illustration III.
[78]. Lettre du major SS Rolf-Heinz Höppner, de l'état-major du Chef supérieur des SS et de la police dans le Warthegau au major SS A. Eichmann, le 16 juillet l941, dans KOGON, E., LANGBEIN, H & RUCKERL, A., Les chambres à gaz, secret d'Etat, pp.98-99. Le document rend compte des conclusions d'une réunion de "diverses administrations" du territoire de Arthur Greiser. L'une d'elles porte que "les Juifs courent le risque, cet hiver, de ne pouvoir être tous nourris. Il y a lieu de considérer sérieusement si la solution la plus humaine ne serait pas de liquider les juifs inaptes au travail par un moyen quelconque à action rapide. En tout cas, ce serait plus agréable que de les laisser mourir de faim."
[79]. Doc Nuremberg NO 246, Le Reichsstatthalter du Reichsgau Wartheland, au Reichsführer SS H. Himmler, Posen, le 1er mai 1942 signé: Greiser, traduction adaptée du document reproduit dans H. MONNERAY, La persécution des Juifs dans les pays de l'Est, pp.173-174.; Geiser écrit: "L'opération de traitement spécial d'environ cent mille Juifs se trouvant sur le territoire de mon district, autorisée par vous en accord avec le chef de la direction de la sécurité du Reich, le général de corps SS Heydrich, pourra être achevée d'ici deux à trois mois."
[80]. Le Commissaire Général pour la Biélorussie à monsieur le Commissaire du Reich pour les Territoires de l'Est Gauleiter Heinrich Lohse, à Riga, Minsk, le 16 décembre 1941 signé: Wilhelm Kube, dans H. MONNERAY, La persécution des Juifs dans les pays de l'Est, pp. 134-140.
[81]. E. KLEE, W. DRESSEN, V. RIESSE, ouvr. cit., pp. 40-54.
[82]. R. HILBERG, ouvr. cit., p. 305
[83]. Le Commissaire Général pour la Biélorussie à monsieur le Commissaire du Reich pour les Territoires de l'Est Gauleiter Heinrich Lohse, à Riga, Minsk, le 16 décembre 1941 signé: Wilhelm Kube, dans H. MONNERAY, La persécution des Juifs dans les pays de l'Est, pp. 134-140.
[84]. Conférence sur la solution finale aux problèmes posés par les juifs, le 10 octobre 1941, dans P. JOFFROY & K. KONIGSEDER, Eichmann par Eichmann, texte établi par Pierre Joffroy et Karin Königseder, pp. 53-54.
[85]. Voir cette problématique qui nécessitera encore deux autres conférences dans R. HILBERG, ouvr. cit., p. 361
[86]. Ibidem, p.402.