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VERSTEEGH, Julien
Mémoire
présenté sous la direction de
Université Libre de Bruxelles Source: Carcob/Dacob
*
Première partie : Considerations générales: Chapitre I - Situation internationale
A. Le monde et la guerre froide: petit aperçu historique Chapitre II - La Belgique des années septante
A. Situation économique
Seconde partie: Les prémisses de
AMADA-TPO: 1967-1970 Chapitre I: Le mouvement étudiant 1966-1969
A. Louvain 1966: première révolte Chapitre II: La constitution d'une "nouvelle gauche"
A. 1966-1967 : la radicalisation Chapitre III: La transformation de la conception du monde: premiers contacts avec la classe ouvrière
A. Premières expériences ouvrières Chapitre IV: Le SVB et le mouvement de contestation en Belgique Troisième partie: Ale Macht Aan de Arbeiders, Parti Communiste en construction 1970-1979 Chapitre I: La constitution de AMADA
I. Mijnwerkersmacht
Chapitre II : Evolution
interne et participation aux conflits sociaux
A. Développement organisationnel
Chapitre III - Bilan et consequences de la grève
des dockers
A. Participation de AMADA aux élections
Chapitre IV - Unification du mouvement
marxiste-léniniste en Belgique Chapitre V: De AMADA-TPO au Parti du Travail de Belgique
A. La politique du Front Uni
I. Ouvrages generaux Notes (renumérés et interactives, jh) Index des noms dans le texte liés à la gauche (jh) * Ce mémoire analyse le
développement politique, idéologique et organisationnel du mouvement Alle
Macht Aan de Arbeiders, Tout le Pouvoir aux Ouvriers, durant la période
1970-1979. Le mouvement Alle Macht Aan de Arbeiders est l'organisation mère de
Factuel Parti du Travail de Belgique. Né du mouvement
étudiant flamand de Louvain, un noyau progressiste a peu à peu émergé du
mouvement nationaliste flamand pour se constituer en organisation étudiante
contestataire qui, inspiré par le maoïsme et au contact des mouvements sociaux
de la Belgique de la fin des années soixante et du début des années septante,
a adopté l'analyse marxiste de la société comme base idéologique d'un
mouvement à vocation ouvrière constitué comme nouveau parti communiste en
construction. A la lumière du
contexte socio-économique de la Belgique des années septante, le mouvement va
se développer, se constituer en véritable parti au cours de dix années de
pratiques sociales et de débats idéologiques tant à l'intérieur qu'à
l'extérieur du mouvement. Cette évolution aboutira à la création en 1979 du
Parti du Travail de Belgique. Ce mémoire s'attache
donc à étudier l'apparition d'un nouveau mouvement communiste sur la scène
politique belge qui se veut, non pas le successeur mais le remplaçant Parti
Communiste issu de la troisième internationale. Ce Travail constitue une étape
dans la compréhension historique du succès et de la perpétuation des idées
communistes dans le dernier quart qu vingtième siècle, ceci principalement à
la lumière des archives internes du mouvement et des témoignages oraux des
différents acteurs membres, ex-membres ou spectateurs du mouvement. L'utilisation de ces
différentes sources a permis de mieux appréhender la connaissance d'un des
acteurs du mouvement communiste belge. Mots clefs - Table des matières Belgique
Remerciements - Table des matières Que tous ceux qui
ont participé à ce mémoire, de près ou de loin, et sans qui ce Travail n
aurait pas été possible, trouvent ici nos remerciements. Ma gratitude s
adresse particulièrement à Madame Morelli. promoteur de ce mémoire, qui nous a
orientés de ses précieux conseils et les responsables du Parti du Travail de
Belgique, particulièrement Nicole, responsable du centre de documentation, qui
ont gentiment accepté de mettre à ma disposition leurs archives. Je tiens également
à remercier chaleureusement Gûlay qui tout au long de cette année m 'a
courageusement « supporté » ainsi que mes parents pour leur patience et leur
aide technique. Ce mémoire n aurait
pas non plus pu voir le jour sans toutes les personnes qui m 'ont encouragé et
consacré un peu de leur temps : Luc Vervaet, Nadine Rosa-Rosso, Baudouin
Deckers, Hubert Hedebouw, Paul Deramelaere, Kris Merckx, Renate Willockx, Kris
Hertogen, Michel Mommerency, Roger Saeys, Stan Van Hulle, Warre Claes.
Marie-Rose Eligius, Jean Pestieau, Herman Veulemans, Herwig Lerouge, Arnould
Van Reussel, Flor De Witte. Jacques Boutemy, Michel Graindorge, Jean-Louis
Roefs, Pierre Marage et bien d'autres. A tous, merci.
* Liste des abréviations - Table des matières AMADA Alle Macht Aan
de Arbeiders
Introduction Mille neuf cent
nonante-six, je venais d'avoir dix-huit ans et finissais ma sixième année au
Lycée Dachsbeck, école de la Ville de Bruxelles, qui se pique d'être une école
pilote, de bonne réputation, à l'instar de l'Athénée Robert Catteau et
fréquentée principalement par les classes moyennes et dominantes agnostiques. Dans ce climat
studieux et traditionnel, éclatent en janvier les manifestations des
enseignants et des étudiants contre le projet Onkelinckx, dont l'application
menaçait l'encadrement des classes, la sécurité d'emploi des professeurs et la
qualité de l'enseignement en général. Les manœuvres du
gouvernement s'inscrivaient, je l'ai appris plus tard, dans un plan global de
la mise en œuvre en Belgique et en Europe, des théories néo-libérales visant à
raboter les budgets de l'état et à privatiser la plupart des entreprises
publiques. La réforme proposée ne pouvait qu'aggraver la médiocrité de
l'enseignement réservé aux classes populaires. Les professeurs du
Lycée Dachsbeck étaient particulièrement timides dans l'action menée contre le
gouvernement, sans doute parce que la Préfète en exercice était une Dame
Dupuis, attachée à l'époque au cabinet de Madame Onkelinckx (Ministre
Présidente de la Communauté française) et actuellement Ministre de
l'enseignement supérieur. Les élèves du lycée
étaient pareillement indifférents et se sentaient peu concernés . J'avais eu, à de rares
occasions, l'occasion de fréquenter, à l'intérieur comme à l'extérieur de
l'école, de « drôles de types » se réclamant des organisations de jeunesse du
Parti du Travail de Belgique, qui m'était alors inconnu. Us essayaient de
susciter l'agitation au sein de l'école. Je n'étais pas insensible au discours
de ces jeunes et je voyais dans leur organisation l'occasion d'exprimer une
révolte latente et de trouver des réponses aux préoccupations de mon âge. Je
me suis rapidement impliqué dans l'organisation
Rebelle. Avec quelques
compagnons de classe, nous entreprîmes d'animer la grève et de la diriger. Il s'agissait pour
beaucoup d'élèves de rhétorique, d'un divertissement, d'une occasion de braver
l'autorité et de ranimer l'esprit contestataire des années 68, vécu par leurs
parents. De manifestations en
discussions diverses, s'est développée ma sympathie politique pour l'extrême
gauche, ma défiance à l'égard des théories néo-libérales et pour finir, mon
engagement dans le Parti du Travail de Belgique (PTB), dont le mouvement Alle
Macht Aan de Arbeiders (AMADA) avait été le creuset. Il était donc
séduisant pour un jeune militant de retracer l'histoire de ce parti méconnu,
confidentiel et qui, pour la première fois en 1996, se montrait à moi sur le
plan politique. Mon intérêt était
renforcé par l'ignorance généralement répandue à l'égard de cette formation
qui n'a encore fait l'objet d'aucune étude sérieuse. Dix ans après la chute
du mur de Berlin et l'effondrement du bloc soviétique, alors que la Chine
s'engage irrémédiablement sur la voie du libéralisme et que l'Europe enterre
ses derniers partis communistes, Christophe Bourseiller constate que le Parti
du Travail de Belgique, « (...) une formation incroyablement dynamique »,
continue, contre vents et marées, à se revendiquer de la plus pure tradition
marxiste-léniniste(1). S'agit-il d'une
aberration, d'une survivance éphémère des rêves déchus d'une génération de
soixante-huitards dont les derniers ardents activistes s'essoufflent dans leur
coin Dans les deux cas, il
est nécessaire de s'intéresser à cette formation. S'il s'agit d'une survivance
comment l'expliquer ? Comment expliquer sa présence croissante ces dernières
années ? S'il s'agit de
l'expression d'un renouveau révolutionnaire, pourquoi en Belgique ? Il s'agira dans ce
mémoire d'apporter une première tentative d'explication au développement du
PTB par l'étude du mouvement AMADA dont il est issu. Lorsqu'en 1968 Ludo
Martens, actuel président du PTB, déclare : « Celui qui veut lutter aux
côtés des ouvriers a pris une option pour des dizaines d'années. Nous savons
que nous prenons nos distances de tous les succès et prestiges de la société
bourgeoise. Dans les dix ans, nous aurons prouvé que nous sommes dignes de la
confiance des ouvriers dans la lutte des classes », il dresse les grandes
lignes directrice du futur AMADA(2). Les jeunes militants
de 1968 agissent-ils en missionnaires, porteurs messianiques d'une parole
divine, percevant la possibilité d'éventuels prestiges et intérêts personnels
ou se prononcent-t-ils en matérialistes convaincus, fraîchement initiés à la
théorie marxiste qui leur fait espérer une issue révolutionnaire à un système
économique qui les scandalise ? Pour répondre à cette
question, nous nous efforcerons d'analyser et de comprendre l'émergence d'une
organisation à vocation révolutionnaire dans le contexte socio-économique de
la seconde moitié du XXe siècle. Il s'agira de mettre en lumière les liens de
causalité qui ont poussé déjeunes étudiants, emplis du climat contestataire de
1968, à découvrir, ou plutôt redécouvrir la théorie marxiste, à
progressivement l'assimiler et l'affiner en lien avec leur pratique sociale
définie. A l'instar de la
déclaration « prophétique » de Ludo Martens, les protagonistes et
fondateurs du PTB vont parcourir un long itinéraire qui les conduira depuis
les années 1966, des combats politiques à l'Université, des luttes sociales
dans les entreprises, à la rencontre d'autres mouvements se réclamant du même
terreau idéologique, à leur coopération ou à leur fusion et finalement au
congrès de fondation du PTB en 1979. A Louvain, les jeunes
étudiants fondateurs passeront par une étape marquée par le nationalisme
flamand opposé à « l'impérialisme culturel » francophone. De cette
première confrontation avec les problèmes politiques et l'autorité, nos jeunes
activistes plongeront dans les événements de 1968, dépasseront, dans le
Student Vakbeweging, les aspirations culturelles de leur première
contestation. Au contact d'étudiants
du Tiers Monde, ils élargiront leur vision du monde et nous verrons qu'ils se
persuaderont de la nécessité de rejoindre les luttes sociales en s'immergeant
dans les entreprises. Certains militants se
mettront à l'épreuve du Travail manuel, participeront aux actions de grève,
notamment dans les mines du Limbourg et au port d'Anvers. Ils étendront leurs
relations à leurs condisciples de l'Université de Gand, ils se livreront à
l'étude du marxisme, ils rallieront les thèses marxistes-léninistes mises en
avant par la Chine et Mao Tsé-Tung, prendront parti dans les luttes
doctrinales, opposant les militants du Parti Communiste traditionnel et
partisan des thèses de l'Union Soviétique à ceux qui ont fait scission au
profit des thèses chinoises, notamment le groupe Grippa, du nom d'un membre du
Comité central du PCB qui fit sécession. Dans la sphère de
l'extrême gauche, ils constitueront AMADA. Alle Macht Aan de Arbeiders. forme
d'abord de comités ouvriers disperses dans les lieux de Travail et
rapprocheront des différents groupements francophones qui se reclament de
l'extrême gauche AMADA suscitera la
naissance de TPO. Tout le Pouvoir aux Ouvriers, pour relayer l'action de
l'Union des Communistes (Marxistes-Léninistes) de Belgique l'UC(ML)B) en
Wallonie. A chaque étape, les
initiateurs du PTB éditeront des documents, rédigeront des rapports sous
différentes appellations. Il conviendra de
rechercher sous ces différentes publications, l'évolution du discours
politique et les enjeux des confrontations idéologiques qui écartèrent du
rassemblement un certain nombre d'associations et en groupèrent d'autres. La période que nous
nous attachons à étudier, qui s'étend de 1966 à 1979. fut particulièrement
fertile en rebondissements doctrinaux, structurels et conflits de tendances où
les intervenants se livrèrent à l'échange d'invectives caricaturales. De cet évantail, de ce
desordre vécu par l'extrême gauche, il semble que. sous le label
marxiste-léniniste, seul le PTB ait survécu, parti dont le souci actuel est.
outre ses objectifs révolutionnaires, de participer au jeu parlementaire par
la participation, à l'instar des partis traditionnels, aux élections
législatives et locales. Un historien peut-il être partisan et scientifique ? L'Histoire est-elle partisane ? La critique historique est-elle immanquablement tributaire des conceptions idéologiques ? Assurément oui. Mais
pour l'historien, il s'agit d'étouffer, tant que faire se peut. l'expression
d'une sympathie ou d'une antipathie qui lui ferait opérer un choix
discriminatoire des sources qu'il doit consulter. Il me fallait donc
être particulièrement attentif à limiter la chronique de la naissance et des
premiers développements du PTB. à la seule relation des faits, tels qu'ils
résultent des documents consultes : l'absence de toute monographie sur le
sujet et la naissance récente du Parti, limitaient donc mes recherches aux
archives constituées, à la presse publiée et aux témoignages des adeptes du
Parti et de ceux qui lui avaient tourné le dos. Ceci n'a pas manquer
de susciter des dispositions méthodologiques particulières. Ma qualité de militant
du Parti m'a permis d'obtenir un large accès aux archives internes que ses
membres ont bien voulu conserver, aux tracts et à la presse publiée depuis les
années septante et aux fichiers des membres et ex-membres que j'ai pu
largement interroger. Si une partie des
archives a fait l'objet d'une classification, il n'en va pas de même pour la
plus grande partie des documents. La première difficulté a été de gérer la
masse de documents disponibles et d'en faire un tri judicieux. Néanmoins
nombre de documents ont été égares ce qui a considérablement rendu difficile
les investigations. De plus certaines
informations n'ont pas pu être consultées. Le nombre de membres, la
composition sociologique du mouvement, sont des données gardées secrètes par
le PTB qui invoque des raisons de sécurité. Nous n'avons donc pu qu'émettre
des estimations sur base des données disponibles : taux de participation aux
différents rassemblements du mouvement, résultats électoraux, importance du
soutien financier, nombre de cellules actives, etc. L'accès aux archives internes a ouvert des pistes d'analyse jusqu'ici ignorées. Les rapports du bureau politique, de la direction nationale et des différentes directions provinciales, les rapports de réunions, les bilans des grandes orientations politiques, idéologiques et organisationnelles ont permis de mettre en lumière les aspects de la vie interne de ce parti. Né de l'action des étudiants flamands de l'Université Catholique de Louvain, au milieu des années soixante, tous les documents fondateurs internes du parti, rapports, presse, procès verbaux, sont rédigés en néerlandais et ont nécessité un très large Travail de traduction et d'interprétation. Les citations reprises dans ce Travail ont été traduites le plus fidèlement possible, mais souvent adaptées pour répondre aux exigences de la langue française. Si cette somme de documents a rendu possible l'analyse du discours du mouvement, l'historien qui s'attache à étudier l'histoire d'un parti communiste se doit de mesurer l'écart entre ce discours et la réalité. L'historien doit donc porter son intérêt sur le vécu des militants. Pour ce faire, nous avons eu recours aux interviews de militants du parti choisis en fonction du rôle qu'ils ont joué dans le développement du mouvement. Herwig Lerouge qui, en sa qualité actuelle de rédacteur en chef du journal du Parti du Travail de Blegique, a été interrogé sur le développement du journal du mouvement AMADA. Kris Merckx, à l'origine de la médecine gratuite et des premières maisons médicales du parti. Rendu célèbre par son opposition à l'Ordre des Médecins, il s'est illustré, en 1975, au cours de l'affaire qui porte son nom. Nadine Rosa Rosso, actuellement secrétaire générale du PTB, elle a rejoint le mouvement en 1976, au terme du débat d'unification avec les différentes organisations maoïstes du moment. Luc Vervaet, comme cheville ouvrière du mouvement AMADA durant la grève des dockers en 1973. Kris Hertogen, porte parole du mouvement durant la grève des mines du Limbourg en 1970. Baudouin Deckers, en qualité de dirigeant national de l'organisation. Renaat Willockx, comme dirigeant étudiant à Gand en 1969, a éclairé les origines du mouvement. Hubert Hedebouw et Paul Deramelaere qui, après avoir tous deux participés à différentes scissions au sein de l'organisation, ont ensuite immigré en Wallonie en 1975 pour y construire le Parti. Je regrette de n'avoir pu rencontrer Ludo Martens, président du PTB, absorbé par ses nombreux déplacements et reportages en République Démocratique du Congo Il nous a fallu le plus souvent adopter le langage de ces militants fondateurs pour situer le plus exactement possible leur détermination, leur logique et leur histoire et nous interdire de porter un jugement qui pourrait approuver tantôt la générosité de leurs fins, regretter les outrances de leurs querelles et les peut-être dérives dogmatiques. Dès lors, dans un souci de rigueur historique, ces témoignages ont été analysés à la lumière de ceux d'anciens membres et de personnes qui ont vécu, de manière extérieure, le développement de AMADA.Arnould Van Reussel, Flor Dewit et un militant désireux de garder l'anonymat ont contribué à ce Travail en qualité d'anciens membres. Paul Theunissen, Rudy Van Doorslaer ont également été contactés mais ont refusé de s'exprimer sur le sujet. L'analyse extérieure du mouvement AMADA a été apportée entre autres par Jean-Louis Roefs, alors actif dans le milieu socialiste à l'ULB, Jacques Boutemy et Michel Graindorge, tous deux actifs dans des organisations maoïstes francophones, Pierre Marage, membre de l'Union des Communistes (Marxistes-Léninistes) de Belgique (UCMLB). qui a vécu de près le débat d'unification avec AMADA dans le milieu des années soixante Soulignons au lecteur qu'un problème technique indépendant de notre volonté est à l'origine de la perte d'une grande partie de l'interview de Pierre Marage Des lors cette interview a été utilisée avec circonspectionD'autres personnes ont
eté contactées mais ont également refuse de s'exprimer: Jean Yogel,
journaliste au Journal du Mardi, ancien membre de l'UC(ML)B , Robert
Plasman et Gérard Rolland également de l'UC(ML)B Enfin, des rendez-vous
étaient prévus avec Jacques Wattiez, maoïste francophone. Paul Goossens et
Walter De Bock, figures dominantes du mouvement flamand à Louvain dans les
années soixante, mais leur emploi du temps n'a pas rendu les rencontres
possibles Pour ce qui concerne
les sources contradictoires, c'est la conspiration du silence qui est de mise. Face au développement
du mouvement Alle Macht Aan de Arbeiders. la plupart des organismes officiels,
presse, partis traditionnels etc.. opposent l'ignorance pur et simple de son
existence. Nous avons donc eu
recours aux rares articles de presse, aux contributions historiques
ponctuelles, a différentes sources de police publiées... Le dépouillement des
archives du Parti Communiste aurait pu se révéler du plus grand intérêt, mais
la règle des trente ans n'a pas subi d'exception. L'analyse développée
ici a donc été réalisée dans les limites des archives Ce Travail n'est pas une
fin en soi. mais bien la première étape d'une recherche historique plus
approfondie dont la masse de documents inédits encore indisponibles ne fait
qu'entrevoir les possibilités
Les jeunes fondateurs
du mouvement Alle Macht Aan De Arbeiders-AMADA, ont baigne, comme les
inspirateurs d'autres groupes maoïstes, dans le bouillonnement des événements
politiques, sociaux et culturels des années 1966 à 1970. La source et la
maturation des idées et pensées des fondateurs de AMADA sont a rechercher, sur
le plan international, dans le climat de la guerre du Viêt-Nam et de la
révolution culturelle chinoise, événements qui s'inscrivent dans le vaste
contexte de la guerre froide, caractérisée par la mise en place, dans
l'après-guerre, d'un équilibre entre "les blocs", les pays occidentaux
capitalistes et les pays socialistes II faudra également
tirer les conséquences du phénomène que les historiens appellent
traditionnellement détente et dégel qui marquent les relations
de l'URSS et des Etats-Unis, à partir de 1962 Le revirement idéologique que
l'Union Soviétique entame, sous l'influence de Khroutchev, lors du XXàne
Congrès du Parti Communiste Soviétique en 1956, va précipiter l'effritement du
camp socialiste et la rupture entre la Chine maoïste et l'Union Soviétique
"révisionniste". Cette rupture aura une influence considérable sur le
mouvement communiste international et expliquera la naissance de nouveaux
partis communistes comme AMADA. AMADA se déploiera
aussi dans le contexte des événements politiques et sociaux de la Belgique et
leur retentissement dans la jeunesse et chez les étudiants. La Belgique de la fin
des années soixante vit encore dans la mémoire de l'indépendance du Congo et
des grandes grèves de 1960-1961. Mais ce sont surtout les événements de 1966 à
1970 qui vont être décisifs de l'apparition et du développement de AMADA Aborder la situation
économique, sociale et politique de la Belgique de cette période, et ce
jusqu'en 1979, est une tâche absolument nécessaire pour saisir tous les
aspects du développement d'un mouvement maoïste dans notre pays. L'axe de
cette analyse réside dans l'étude des grands conflits sociaux qui ont agité la
décennie des années septante. AMADA se voulant l'expression du mouvement
ouvrier, il serait étonnant d'ignorer les grèves des mineurs du Limbourg de
1970 et des dockers de 1973, et les conflits au cours desquels, nous le
verrons, AMADA s'est constitué et renforcé tant sur le plan organisationnel
que sur le plan idéologique. L'étude du contexte
social belge, implique aussi évidemment le survol de la situation politique du
pays, ainsi que sa situation économique, si l'on pense au développement d'une
nouvelle crise économique, dite crise du pétrole, qui met un terme aux
"trente glorieuses" à partir de 1974. Chapitre I - Situation internationale - Table des matières A. Le monde et la guerre froide: petit aperçu historique - Table des matières 1) Les origines - Table des matières La mise en perspective
du mouvement AMADA nécessite que l'on remonte aux origines du conflit qui a
marqué le monde des les lendemains de la seconde guerre mondiale et opposant
le bloc communiste mené par l'Union Soviétique au bloc capitaliste mené par
les Etats-Unis. Ce conflit, communément appelé Guerre Froide, a
détermine l'ensemble des relations internationales d'une grande partie de la
seconde moitié de ce siècle. La tournure prise par
ce conflit contraindra certaines organisations communistes à opérer un choix:
s'aiigner sur l'LUnion Sovietique ou s'aiigner sur la Chine. A l'ouest, au sortir
de la seconde guerre mondiale, le monde capitaliste est dominé par les
Etats-Unis qui "nvent dans la crainte du communisme : "Si Washington
prévoyait de grands troubles après la guerre minant la stabilité sociale,
politique et économique du monde, c'est qu'à la fin des hostilités, les pays
belligérants, à l'exception des Etats-Unis. étaient un champ de ruine peuplé
par des populations que les Américains croyaient affamées, désespérées et
probablement radicalisées. toutes disposées à entendre l'appel à la révolution
sociale et à des politiques économiques incompatibles avec
le système
international de la libre entreprise, du libre échange (...) De surcroît, le système international d'avant-guerre s'était effondré, laissant les Etats-Unis face à une URSS considérablement renforcée sur de vastes territoires de l'Europe et des étendues plus énormes encore du monde non européen, (...) Dans ce monde (...) tout ce qui survenait avait plus de chance à la fois d'affaiblir le capitalisme et les Etats-Unis et de consolider la puissance qui avait vu le jour par et pour la révolution "(3) En effet les
Etats-Unis sortent de la seconde guerre mondiale renforces sur le plan
économique. Face à une Europe
occidentale en ruine et dont les grands empires coloniaux ne sont plus que
l'ombre d'eux-mêmes, mines par les luttes des peuples pour leur indépendance,
l'extension de la puissance économique des Etats-Unis ne semble pas avoir de
limite. En outre, les pays
d'Europe occidentale font face à une situation sociale très agitée. Dans des
pays comme la France, la Belgique ou l'Italie, les communistes participent au
gouvernement, auréoles du prestige de la Victoire de l'Union Soviétique et de
leur résistance à l'occupation. Le succès des partis communistes occidentaux
concrétise les aspirations au changement des peuples libères de la tyrannie
nazie En mai 1945. en
investissant Berlin. l'Union Soviétique sort triomphante de la seconde guerre
mondiale. Aux yeux du monde, elle a permis l'écrasement de l'ailemagne nazie.
Elle etend son influence sur les pays d'Europe orientale et centrale. Pour les pays du
Tiers-Monde, qui ont profité du choc de la guerre pour avancer voie de
l'indépendance, elle représente le soutien et l'exemple Mais le rayonnement
de l'Union Soviétique, et surtout son extension en Europe de
l'Est, inquiètent profondement
les puissances occidentales. 2) L'escalade - Table des matières Pour contrer
l'influence communiste et incorporer l'Europe dans un vaste marche
économique sous influence américaine, les Etats-Unis développent, des 1947,
leur politique "d'endiguement" Le président Truman expose cette
politique le 12 mars 1947 II s'agit de stopper
"l'avancée communiste" non pas par la force des armes, mais par un vaste
plan de financement des pays d'Europe occidentale. Cette politique,
matérialisée par le plan Marshall, vise à financer la reconstruction des pays
européens(6) Mais le plan Marshall a mis
l'Europe sous tutelle américaine. La lutte contre le
communisme que les Etats-Unis engagent avec la doctrine Truman est avant toute
chose une lutte pour l' hégémonie mondiale. C'est surtout dans le Tiers-Monde
que les Etats-Unis vont étendre leur hégémonie. L'histoire des relations entre
les Etats-Unis et le pays du Tiers-Monde est balisée d'interventions et
d'ingérences. Au début des années
cinquante, l'empire colonial européen se desagrège, la plupart des colonies
entrent en lutte pour leur indépendance. Dès 1945, le courant anticolonialiste
s'inspire de l'idéal marxiste, surtout en Asie où Hô Chi Minh au Viêt-Nam,
Sjariffiidin en Indonésie ou encore Than Tun en Birmanie, sont les exemples
les plus frappants(7). Ce courant est
d'ailleurs appuyé par l'URSS, où Staline proclame en 1947 la nécessité de
développer la subversion dans les pays colonisés(8). Sous prétexte de
lutte anticommuniste, les Etats-Unis vont tenter de soumettre à leur influence
les pays fraîchement indépendants. Que l'on pense à la Guerre de Corée
(1950-1953). à la guerre du Viêt-Nam, au soutien apporté plus tard à Mobutu ou
à l'Afrique du Sud, au soutien à l'UNITA en Angola ou au RENAMO mozambicain. Dans tous ces cas,
les Etats-Unis soutiennent la réaction contre des mouvements progressistes
comme ils soutiendront Pinochet en 1973 ou Suharto en Indonésie. Il s'agit avant tout
de préserver les intérêts économiques américains et leur sphère géopolitique
d'influence. Pour sa part, nous
l'avons vu, l'Europe sort très affaiblie de la seconde guerre mondiale
Pour faire face aux problèmes économiques et sociaux qui l'agitent, elle se
tourne vers les Etats-Unis qui financent massivement sa reconstruction à
l'aide du plan Marshall.(9) Dans ce contexte,
l'Europe occidentale doit trouver sa place et déterminer l'orientation de sa
politique internationale. Durant la seconde
guerre mondiale, certains gouvernements européens avaient soulevé la question
d'une éventuelle unité politique européenne. Mais au sortir de la guerre,
confrontes
aux problèmes de la reconstruction, les pays européens
considèrent l'Union Soviétique comme un danger d'envergure auquel seuls les
Etats-Unis semblent pouvoir faire face. Mais quelle Europe
construire? Une Europe atlantique ou européenne?(10)
Deux événements vont être décisifs dans ce choix: "le coup de Prague"
en 1948 qui arrime la Tchécoslovaquie au bloc soviétique, et le blocus de
Berlin décrété par les Soviétiques qui veulent forcer au partage de
l'ailemagne(11). L'Europe décide alors de se
tourner vers les Etats-Unis. Ce choix mène, le 4 avril 1949, à la signature
d'un pacte de défense mutuelle, le Traité de l'Atlantique Nord(12).
L'Europe occidentale se trouve alors complètement inféodée aux Etats-Unis.
Pour s'arracher à cette tutelle, les nations européennes pensent à s'unir. Le rassemblement de
certains pays européens au sein du Conseil de l'Europe le 5 mai 1949,
aboutissement de leur volonté d'unité politique(13),
puis au sein de la CECA(14) en 1951 ou encore
le Plan Schuman, sont autant de dispositions qui intègrent l'Europe dans un
ensemble transnational politique et économique qui ouvre la voie à l'émergence
d'une nouvelle puissance économique(15), la
lutte contre le communisme étant menée dans le cadre de l'OTAN(16). Dans ce contexte, le
réarmement de l'ailemagne et son adhésion à l'OTAN en 1954(17),
marque la volonté de l'Europe de revenir au premier plan sur la scène
internationale. Dans la plupart des
pays d'Europe orientale et centrale, les communistes accèdent au pouvoir. Ils
installent des démocraties populaires(18), en
Hongrie, en Tchécoslovaquie, en Pologne, en Albanie, en Yougoslavie, en
Bulgarie, en Roumanie et en Allemagne de l'Est. Mais dès 1949, d'autres pays
vont venir renforcer le bloc socialiste: la Chine en 1949, la Corée du Nord,
le Viêt-Nam du Nord en 1954, Cuba en 1959. Tous ces pays étaient
intégrés dans des relations d'échanges politiques et économiques comme le
Kominform en 1947 ou le COMECON en 1949. Il faut attendre 1956 et le rapport
de Khrouchtchev au XXeme Congrès du PCUSS pour voir se modifier cette
situation. La Guerre Froide débute dès 1947 avec la théorie de l'endiguement et la mise en place du plan Marshall. L'Union Soviétique réplique à cette politique par la satellisation des pays d'Europe de l'Est.(19) Ainsi se constituent
les deux blocs antagonistes : l'Union Soviétique et les Etats-Unis. Mais du côté
occidental, l'escalade vers la constitution d'un bloc anti-soviétique ne
s'arrête pas là. De nombreux traités
bilatéraux sont conclus pour parfaire l'encerclement de l'Union Soviétique,
tout ceci dans un climat de psychose anticommuniste dont l'illustration la
plus caricaturale est la chasse aux sorcières lancée aux Etats-Unis par le
sénateur Mc Carthy contre les suspects de sympathie communiste. Au traité de
l'Atlantique Nord, les Etats-Unis vont ajouter le Pacte de Rio en 1947(20);
le Pacte du Pacifique(21) ou ANZUS(22)
en 1951. Citons également le Pacte de Bagdad de 1955 qui réunit l'Angleterre,
la Turquie, l'Iran, l'Irak et le Pakistan(23). La guerre froide est
dès lors bien en place, et les affrontements périphériques, tels que la guerre
de Corée qui éclate en 1950, en sont l'expression militaire. 3) 1956: la détente? - Table des matières La mort de Staline, le
5 mars 1953, marque une étape importante dans le développement de la guerre
froide. L'année 1956, est
l'année charnière. Le XXème Congrès du Parti Communiste d'Union
Soviétique inaugure, sous l'impulsion de Khrouchtchev, un changement de
politique étrangère soviétique qui mènera à ce que l'on appelle
traditionnellement la détente. Khrouchtchev développe sa théorie de la "coexistence pacifique". Les rencontres entre dirigeants communistes et américains deviennent de plus en plus nombreuses ; citons par exemple les rencontres entre Nixon et Mao Tse-Tung, ou les différents accords de coopération technique et économique signés par Nixon et Brejnev en juin 1973.(24) On peut encore citer
le traité du premier juillet 1968 sur la non-prolifération nucléaire ou
l'ouverture vers l'Est entamée par le chancelier ouest allemand Willy Brandt
et son Ostpolitik.(25). C'est sur base de ces
différents éléments que les historiens traditionnels définissent cette période
comme une "détente" qui, à partir de 1968, devient un "dégel"
dont les deux plus graves crises de la guerre froide, la crise de Berlin(26),
en 1958-1961, et la crise des fusées en 1962(27)
ne semblent pas entamer l'évolution générale(28). Pourtant cette période
coïncide avec le renforcement des deux blocs militaires. L'entrée de
l'ailemagne dans l'OTAN en 1954, entraîne la constitution du Pacte de Varsovie
en 1955(29), groupant l'Union Soviétique et
les
"démocraties populaires". La détente dissimulait
en fait un renforcement de la puissance militaire américaine qui allait
conduire à l'implosion de l'URSS en 1990. Si le dénouement de la
crise des missiles représente un énorme succès politique pour Kennedy, il
représente surtout l'échec de Khrouchtchev qui perd une partie de son crédit
en URSS et conséquemment dans le Tiers-Monde. C'est un fait
important, car cette défaite diplomatique entérine la rupture au sein du bloc
socialiste entre l'URSS et la Chine qui devient, aux yeux du Tiers-Monde, la
championne de l'anti-impérialisme(30) alors
que les Etats-Unis, de leur côté, renforcent leur lutte contre le communisme. Pouvons-nous
réellement parler de « dégel » après 1968 alors que la guerre du
Viêt-Nam fait rage ? Nous avons vu qu'au
lendemain de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis s'étaient montrés très
entreprenants pour asseoir leur hégémonie. Face à la détermination de cette
politique, l'Union Soviétique, qui en 1956 développe la théorie de la
coexistence pacifique, fait marche arrière. C'est ce que les Chinois
appelleront plus tard «
la trahison de la
révolution mondiale par le parti communiste ». Corollaire de ce repli
de l'idéal révolutionnaire, les Etats-Unis pourront étendre leur influence
dans le Tiers-Monde. La politique
hégémonique des Etats-Unis et dans sa foulée celle de l'Europe, ne semblent
pas avoir de limites. Entre 1945 et 1979, les Etats-Unis conduisent six
interventions d'envergure dans le monde (sans parler des interventions moins
spectaculaires). Lorsque Foster Dulles(31)
déclare "la domination et le contrôle des institutions politiques de tout
état américain par le mouvement communiste international constituerait une
intervention d'une puissance étrangère et serait une menace pour la paix en
Amérique ", il annonce toutes les grandes interventions nord-américaines
en Amérique latine, notamment au Guatemala en 1951 contre le gouvernement
Arbenz, la Baie des Cochons en 1961 contre le régime castriste, le coup d'état
du 31 mars 1964 au Brésil ou encore le soutien au coup d'état de Pinochet
contre Allende en 1973(32). Dans le contexte plus
général de la politique d'endiguement, il faut ajouter la guerre de Corée de
1950 à 1953 ou encore l'intervention américaine au Liban en 1958(33)
. Lorsque Lyndon Johnson
déclare en 1965 "nous voulons montrer aux Vietnamiens que nous ne nous
laisserons abattre ni par la force des armes ni par la force d'une plus grande
puissance"(34), les Etats-Unis
s'engagent dans une guerre de dix ans contre un pays du Tiers-Monde. On est
donc très loin de la détente
traditionnellement définie. Les Européens ne sont
pas de reste. D'abord empêtrés dans des guerres de libération qui éclatent
dans leurs propres colonies, Algérie (1956-1962), ou Indochine (1946-1954),
certains pays n'hésitent pas à intervenir directement sur d'autres terrains
d'opérations: les paras belges au Katanga en 1960, les français au Gabon en
1964, les troupes franco-anglaises en Egypte en 1956...(35). Si ces interventions
ont été possibles à partir de 1956, c'est grâce à la décomposition progressive
du mouvement communiste international, seul rival de l'impérialisme américain. On assiste donc à
l'affaiblissement progressif du bloc communiste alors que la politique
hégémonique des Etats-Unis s'affirme de plus en plus. Les pays du Tiers-Monde
connaissent à partir de 1956 une vague de révolutions sans précédent, qui leur
donneront une place de plus en plus importante sur la scène internationale. Vu sous cet angle, la
« guerre froide » devait nécessairement indigner les étudiants
fondateurs de AMADA, prompts, comme une grande partie de la jeunesse de
Belgique et du Monde, à condamner « l'impérialisme américain ». Si la guerre froide
est un enfant de la seconde guerre mondiale, elle a également ouvert la voie à
l'indépendance des pays du Tiers-Monde dont l'émergence sur la scène
internationale est un aspect important de la seconde moitié du XXème siècle.
Le développement de mouvements révolutionnaires dans ces pays, en lutte pour
leur indépendance ou l'affranchissement de la dépendance à l'égard des
Etats-Unis, influencera beaucoup la constitution de mouvements radicaux du
type AMADA en Belgique et dans le monde. B. L'émergence du Tiers-Monde - Table des matières Dès la fin de la
seconde guerre mondiale, les puissances coloniales sont en proie à d'énormes
difficultés. Le cataclysme a ébranlé le système colonial. L'occupation des
colonies par les Japonais a porté atteinte au prestige des métropoles. Pour la
première fois, « l'européen », « le blanc » a perdu son image
d'invincibilité. Cette perte de crédibilité a encouragé les peuples coloniaux
à s'engager dans les luttes d'indépendance, évolution d'ailleurs encouragée
par les Japonais qui, durant l'occupation, ont nommé des régimes nationalistes
fantoches à leur solde dans les différentes colonies asiatiques(36). Le Tiers-Monde
s'affirme sur la scène politique internationale à la conférence afro-asiatique
de Bandoeng en 1955(37) Cette conférence a
rassemblé vingt-trois pays asiatiques et six pays africains(38).
Si l'Union Soviétique n'a pas été invitée, la Chine, elle, est bien présente. A la Chine qui dénonce l'impérialisme occidental, se joignent des pays qui dénoncent « le colonialisme soviétique ».(39) Dès lors, la déclaration finale de la conférence s'oppose à « toutes les manifestations du colonialisme ». Elle insiste également sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et s'oppose aux pressions et à l'ingérence des grandes puissances.(40) La conférence de Bandoeng annonce le début du « non-alignement », théorie déjà développée par la Yougoslavie en rupture avec l'URSS. Mais cette théorie ne résistera pas à l'influence grandissante des « tuteurs » communistes du Tiers-Monde et principalement de la Chine.(41) Les pays du
Tiers-Monde doivent dès lors choisir entre le non-alignement et une position
pro-communiste c'est-à-dire entre la position chinoise, qui prône la lutte
pour l'indépendance nationale, et la position soviétique qui prône la
coexistence pacifique. En 1962, les non-alignés choisissent leur camp lorsqu'ils refusent, lors du conflit sino-indien, de prendre parti pour l'Inde contre la Chine.(42) Nous sommes donc dans
une situation où, malgré leur non-alignement, les pays du Tiers-Monde
subissent l'influence de la Chine. Partout dans le monde vont apparaître des
foyers révolutionnaires : Congo, Viêt-Nam, Amérique Latine, Turquie...La
jeunesse révoltée de 1968 se reconnaîtra d'ailleurs dans la mystique des
guérillas révolutionnaires. L'émergence du
Tiers-Monde, à travers la politique du non-alignement, préfigure l'opposition
croissante entre l'Union Soviétique et la Chine qui, aux yeux des nouveaux
mouvements révolutionnaires, va progressivement remplacer l'URSS à la tête du
mouvement communiste international, préfigurant l'apparition de nouveaux
mouvements d'obédience maoïste. Les raisons de la fracture entre les deux
grandes puissances, URSS et Chine, qui se réclament du marxisme, nous aideront
à mieux comprendre le succès des thèses « maoïstes ». C. Contestations et ruptures au sein du monde communiste - Table des matières La rupture au sein du mouvement communiste international est entamée à partir du XXème Congrès du parti communiste soviétique. Khrouchtchev y attaque vigoureusement la politique de Staline, entamant de cette manière un tournant idéologique radical. Ce revirement ne plaît pas à tout le monde. La Chine et l'aibanie condamnent vigoureusement les nouvelles orientations soviétiques qui, pour elles, s'éloignent des principes du marxisme-léninisme.(43) C'est le point de
départ d'une crise qui aboutira à la constitution de cinq tendances(44)
au sein du mouvement communiste. Retenons les deux principales, illustrées par
l'URSS et la Chine(45). L'URSS développe
l'idée que la lutte des classes n'est plus un principe dirigeant de la
révolution et qu'il est préférable de s'orienter vers la coexistence pacifique
avec le système capitaliste. La Chine, pour sa part, considère toujours le
principe de la lutte des classes comme un principe fondamental et développe la
théorie des trois mondes, considérant l'URSS comme une puissance plus
dangereuse que les Etats-Unis, tout en soutenant les luttes de libération
partout dans le monde. Depuis 1949, la Chine
est devenue une république populaire, renforçant apparemment le camp
socialiste. Elle va progressivement prendre une place de plus en plus
importante sur la scène politique internationale. Deux événements majeurs vont
profondément modifier le contexte international: le conflit sino-soviétique et
la révolution culturelle chinoise. Si le revirement
idéologique et politique de l'Union Soviétique au XXème Congrès du Parti
Communiste de l'URSS amorce un dégel dans les relations Est-Ouest, il annonce
la rupture avec la Chine. La Chine dénonce la
capitulation de l'URSS face à l'impérialisme américain(46).
Sortie renforcée en tant que guide du Tiers-Monde lors de la conférence de
Bandoeng en 1955(47) et après l'échec
soviétique dans la crise des missiles, elle critique sévèrement la position de
l'URSS et préconise l'action révolutionnaire dans les pays du Tiers-Monde(48),
surtout en Asie. Mao Tse-Tung, s'en prend à la pusillanimité de Khrouchtchev
face au "tigre de papier Le conflit s'exprime
d'abord par la constatation de divergences idéologiques notamment par la
lettre en 25 points du 15 juin 1963 de l'ambassadeur de Chine à Moscou au
gouvernement soviétique(50). Le gouvernement
chinois y dénonce le révisionnisme soviétique(51).
Il stigmatise également le caractère bourgeois du régime soviétique et la
trahison par le Kremlin de la révolution mondiale(52). Un certain apaisement
succède à la chute de Khrouchtchev, mais la révolution culturelle, suscitée
par Mao contre les modérés du parti communiste chinois, ranime les
antagonismes(53). La Chine encourage
alors les tendances scissionnistes au sein des partis communistes occidentaux,
avec, par exemple, un certain succès en France(54),
tandis que la politique étrangère de l'URSS est qualifiée de
"social-impérialisme"(55).
Le revirement de la Chine est déterminant. Il ranime « l'enthousiasme
révolutionnaire ». H sera, nous le verrons plus loin, soutenu avec ferveur
par AMADA(56). La Chine tend donc à
prendre de plus en plus la place de l'URSS à la tête d'une partie du mouvement
communiste international. Mais c'est surtout la révolution culturelle qui aura
une répercussion mondiale, d'autant plus importante que la révolution
culturelle est contemporaine des larges mouvements de contestation de 1968 et
deviendra le modèle d'action d'une grande partie de la jeunesse contestataire
d'Europe occidentale. Il s'agit au départ
d'un mouvement lancé par la gauche du Parti Communiste Chinois contre la
direction du parti tenue par Liu Shaoqi et Deng Xiaoping(57),
pour rétablir le pouvoir de Mao. Mais, par l'importance
de ses enjeux et par sa répercussion internationale, il constitue un moment
majeur dans l'histoire du communisme chinois(58)
. La révolution
culturelle est une vaste campagne idéologique destinée à "liquider
complètement toutes les idées anciennes, toute la culture ancienne, toutes les
mœurs et habitudes anciennes par lesquelles les classes exploitantes ont
empoisonné la conscience populaire pendant des millénaires'(59). La révolution
culturelle a deux causes majeures: l'évolution générale du système chinois et
les conflits internes du Parti Communiste. Le "Grand Bond en
avant", prôné par Mao Tse-Tung pour redresser et rattraper le retard
industriel, a réintroduit la petite propriété privée et du même coup les
différences sociales et un recul idéologique(60).
Au sein du parti, il s'agit pour Mao de lutter contre le révisionnisme et
l'embourgeoisement(61), personnalisés par le
"Khrouchtchev chinois" Liu Shaoqi(62). Il est inutile ici de
s'étendre sur l'histoire de la révolution culturelle. Retenons les traits
marquants de ce mouvement et les thèmes abordés. Ceux-ci auront une influence
sur le développement des mouvements maoïstes dans les pays occidentaux. Qui
dit révolution culturelle, dit « Gardes Rouges », larges masses
étudiantes mobilisées par Mao pour faire table rase de toutes les anciennes
structures(63). Les « Gardes Rouges »
étaient composés d'une jeunesse qui supportait mal l'autoritarisme et la
bureaucratie des dirigeants du parti(64). Leur
mouvement trouva alors un très large écho au sein de la jeunesse occidentale
en lutte contre les valeurs de la société de consommation et les principes
d'une société qui leur semblaient dépassés. Le principe de la "lutte contre
l'embourgeoisement en s'appuyant sur le potentiel révolutionnaire des masses"(65)
servira, d'exemple à cette jeunesse. C'est la révolution
culturelle qui a poussé bon nombre de progressistes à tourner le dos aux
partis communistes traditionnels subordonnés à Moscou et à développer de
nouvelles organisations idéologiquement inspirées du maoïsme et, au-delà, d'un
retour au « marxisme-léninisme » radical. Il existe également
des dissensions au sein même de la zone d'influence soviétique constituée des
démocraties populaires. L'événement le plus marquant et, dont nous avons déjà
parlé plus haut, est l'intervention soviétique à Prague en 1968, intervention
qui a bouleversé le monde à l'époque, mais qui a surtout suscité de nombreuses
questions au sein du mouvement communiste international. Brejnev, qui dirige le
parti communiste d'Union Soviétique, a développé la théorie de la «
souveraineté limitée », qui veut que chaque démocratie populaire soit
subordonnée aux intérêts socialistes avant de l'être à ses intérêts nationaux. A Prague, Dubcek, un réformateur, est élu chef du parti communiste. Il entame une série de réformes, dont des élections pluralistes, une plus large autonomie des entreprises, la suppression de la censure...(66) Les autres pays
socialistes mettent en garde Dubcek contre les dérives de ces réformes, à
savoir la perte de contrôle dirigeant du parti communiste et le retour au
capitalisme(67). Dubcek ne tint pas compte de
ces critiques. Le 20 août 1968, les troupes du pacte de Varsovie, à
l'exception de la Roumanie, pénètrent en Tchécoslovaquie. Cette intervention a
suscité diverses réactions parmi les alliés de l'URSS. Fidel Castro soutient
l'intervention, justifiée à ses yeux, par le danger de la subordination d'un
pays socialiste à l'impérialisme(68). Les Chinois et les
Albanais s'y opposent, invoquant le principe des peuples à appliquer le
socialisme aux réalités de chaque pays. Mais leur opposition est surtout
destinée à contrarier l'Union Soviétique. Du côté occidental,
cet événement survient aussi en pleine agitation contestataire avec des
réactions diverses qui, de manière générale, dénoncent l'intervention. Les
étudiants engagés dans des mouvements d'extrême gauche y voient l'expression
du révisionnisme soviétique, ce qui les rapproche davantage de la Chine. Le SVB, Student
VakBeweging(69), distribue un tract
dénonçant l'intervention soviétique de 1968. La « révolte de 68
» anima de nombreuses capitales du monde occidental. Elle dressa les étudiants
et la jeunesse contre les valeurs de la société de consommation, contre la
société aveugle de l'autorité, pour toutes les «
libérations ». C'est une période qui
a subjugué la société occidentale. Mais, outre l'active
contestation politique et culturelle, ce qui frappe c'est le succès des idées
communistes. La période qui s'ouvre
en 1968 voit un foisonnement de nouvelles organisations politiques d'obédience
maoïste. Pourquoi et comment se sont-elles développées ? Les événements de 1968
en Belgique, seront largement étudiés dans le chapitre : Les prémisses de
AMADA-TPO : 1966-1970. Nous allons surtout analyser les mouvements de 1968
dans le monde et l'effet qu'ils ont exercé sur la société. Dans ce souffle
socio-politique, il est important de retenir deux choses : premièrement
«l'Europe occidentale n'est que l'un des
terrains sur lesquels se développe l'immense mouvement de contestation du
capitalisme technocratique et de la société de consommation dont le modèle
américain subit la crise du Viêt-Nam. »(70).
Deuxièmement,
« le mouvement de '68 naît de l'opposition à la guerre menée par un peuple
pauvre en lutte contre l'impérialisme de la plus puissante nation »(71).
1) Un
déclencheur : la guerre du Viêt-Nam La guerre du Viêt-Nam est l'expression la plus dramatique de la politique d'endiguement du communisme. Elle représente un saut qualitatif énorme dans l'armement, la technologie et la tactique employée.(72) Dès la fin de la première guerre d'Indochine en 1954, les Etats-Unis préparent leur engagement au Viêt-Nam. Depuis la défaite française, le Viêt-Nam est coupé en deux à hauteur du 17e parallèle : le Nord est communiste, le Sud est dirigé par Ngo Dinh Diem, successivement premier ministre et président de la république.(73) Ngo Dinh Diem s'appuie sur la bourgeoisie de Saigon et sur les catholiques. Il met en place une dictature militaire soutenue par les Américains.(74) Dès 1956, conseillers
militaires, armement et dollars arrivent au Sud Viêt-Nam. Mais face à la
dictature en place, la résistance se développe, incarnée par les Viêt-Congs et
le Front de Libération Nationale(75). Les États-Unis et
quelque quarante autres pays soutiennent le Viêt-Nam du Sud en lui fournissant
des troupes et des munitions, tandis que l'URSS et la République populaire de
Chine apportent leur appui au Viêt-nam du Nord et au Viêt-Cong Face à la
détérioration de la situation, les États-Unis réaffirmèrent leur soutien à
Saigon. En avril 1961, un traité d'amitié et de coopération économique est
signé avec le Viêt-nam du Sud, et, en décembre, le président John F. Kennedy
s'engage à aider le Viêt-nam du Sud. En 1968, 550.000
soldats américains combattaient au Viêt-Nam. Pour forcer la décision sur le
terrain, toutes les techniques de guerre sont utilisées. Regroupements forcés de populations, recherche et élimination des membres de la guérilla dans les villages, bombardements massifs des zones rurales par les B-52...(76) En janvier 1968, le
stratège nord-vietnamien, le général Giâp, lance la célèbre offensive du Têt.
Les Viêt-Cong s'infiltrent jusque dans Saigon, où l'ambassade et le QG
américains sont attaqués. L'offensive du Têt est un échec stratégique pour les
Vietnamiens, mais l'effet psychologique sur les Américains est démoralisateur
et dévastateur. Le monde entier voit la première puissance industrielle et
militaire du monde tenue en échec par des soldats vêtus de «pyjamas» et
chaussés de sandales. Le 31 mars, le
président Johnson annonça la fin des bombardements américains sur le Viêt-nam
du Nord. En avril 1970, les forces américaines tentent un dernier effort pour
réduire les bases Viêt-Cong au Cambodge et pour couper la piste Hô Chi Minh,
ce qui relança de plus belle les protestations du mouvement pacifiste. Le 27 janvier 1973,
les accords de Paris mettent théoriquement fin aux hostilités. La guerre
durera encore deux ans et se terminera par la chute de Saigon en 1975. La guerre du Viêt-Nam
a eu un retentissement considérable sur l'opinion publique internationale. La guerre a sévi dans
l'ombre d'un rapprochement entre l'URSS et les Etats-Unis. Pour certains, cette
guerre représente alors l'exemple flagrant de l'agressivité de l'impérialisme
américain. Mais elle eut surtout
un énorme effet idéologique. Elle deviendra le symbole de la résistance de
tous les peuples contre l'impérialisme dans les pays du Tiers-Monde et contre
les valeurs de la société capitaliste dans les pays occidentaux. Car si le mouvement
anti-guerre se développe partout, les Comités Viêt-Nam deviennent
surtout le relais des revendications de la nouvelle gauche(78)
Il n'est pas étonnant dès lors qu'un comité Viêt-Nam naisse à Louvain fin des
années soixante alors que la nouvelle gauche est en pleine
effervescence. La fin de la guerre du
Viêt-Nam, proclame la défaite des- Etats-Unis. Une armée de 500.000 hommes,
avec du matériel dernier cri, est battue dans une guerre moderne par une armée
misérable, équipée de fusils d'assaut soviétiques et de matériel chinois mais
pratiquement sans armement lourd.(79) Le
Viêt-Nam devient le symbole de la résistance possible. Le mouvement de
contestation part des Etats-Unis où les années soixante sont synonymes de
contestation. Les jeunes rejettent le modèle social proposé ; les noirs
luttent pour leur émancipation notamment par le développement du mouvement
révolutionnaire des Panthères Noires(80)
; Martin Luther King, apôtre des droits civiques des noirs américains,
développe à la fin de sa vie des idées beaucoup plus radicales notamment
contre la guerre du Viêt-Nam(81). Toutes ces aspirations
se retrouvent réunies dans la lutte contre la guerre. Les mouvements de
contestation américains feront rapidement tache d'huile un peu partout dans le
monde : Mexique, Italie, France, Allemagne, Belgique... Si de manière
générale, les différents mouvements de 1968 sont issus d'une opposition à la
guerre américaine contre le Viêt-Nam, ils vont, selon les pays, largement
déborder ce thème et rencontrer des aspirations différentes. D'une manière générale, les mouvements d'opposition à la guerre vont rapidement se transformer en des mouvements de remise en question de l'ordre capitaliste et parfois s'étendre au monde ouvrier comme en France.(83) En RFA, le mouvement
prend une couleur fortement politisée. La contestation s'appuie sur le SDS,
organisation gauchiste dissidente du SPD (social-démocrate)(84). En France, le
mouvement similaire dans sa forme à celui de la RFA, va très vite déborder la
seule contestation universitaire : grève générale, grève de
Renault-Billancourt...(85). Pour notre sujet, retenons, dans les pays occidentaux, l'apparition de mouvements se réclamant du maoïsme : AMADA, UCMLB, PCMLF, UJC, Black Panthers.. .(86) Les partis communistes
européens approuvaient la ligne de Moscou, à savoir les positions générales
dégagées par le XXème Congrès du Parti Communiste d'Union Soviétique. Pour la jeunesse
contestataire de 1968, l'Union Soviétique ne faisait pas bonne figure, et
c'est tout naturellement qu'elle s'est tournée vers la Chine. Celle-ci est
alors en pleine révolution culturelle et ses principes de lutte contre
l'embourgeoisement semblent répondre à ses attentes.(87 La conséquence
première des événements de 1968 est le développement de ce que l'on appelle la
« nouvelle gauche ». A côté de l'apparition
de mouvements comme le mouvement pacifiste, les mouvements féministes, la
libération sexuelle... cette nouvelle gauche apparaît comme un phénomène
politique de première importance en Europe occidentale. Le mouvement
communiste était jusque là dirigé par les traditionnels partis communistes de
la IIIe internationale. Et c'est justement de la critique de ces partis
communistes que naissent de nouveaux partis, désirant renouer avec le «
marxisme-léninisme » incarné par la Chine. Les événements de 1968
ouvrent véritablement une nouvelle période dans le mouvement communiste
international. En Belgique, plusieurs
nouvelles organisations apparaissent, une seule survivra AMADA-TPO.
Chapitre II - La Belgique des années septante
A. Situation économique Au sortir de la
seconde guerre mondiale, l'équipement économique belge n'a subi que peu de
dommages du fait de la position des industriels belges vis-à-vis de
l'occupation allemande, illustrée par la doctrine Galopin qui préconisait la
politique du "moindre mal" face à l'occupant(88). La Belgique reste zone
militaire jusqu'à fin 1945, ce qui favorise considérablement le redémarrage de
l'appareil industriel. De plus, la politique
gouvernementale vise avant toute chose à garantir la paix sociale et à
endiguer la pression communiste(89). Cette politique
s'exprime principalement à travers le Pacte social, discuté secrètement
durant la guerre par les différents partenaires sociaux, large consensus qui
déterminera toute la politique sociale de l'immédiat après guerre(90).
Dans ce contexte, la Belgique retrouve vite son niveau économique d'avant
guerre. L'économie belge profite en fait de l'élargissement du marché
international issu des accords de Brenton Woods et des accords du Gatt. Mais
l'infrastructure économique est vieillie. Sa production n'est plus adaptée aux
demandes du marché. L'économie belge subit une crise qui fait exploser le
nombre de chômeurs(91). La croissance de
l'économie décline au début des années 50 et le Plan Marshall d'aide à
l'Europe prend fin. La croissance
économique a abouti à la concentration de la production et des capitaux au
sein de vastes unités de production(92). La
course au profit pousse les industriels à toujours augmenter leur production. Mais le pouvoir
d'achat de la population reste en rade. Une crise de surproduction en sera le
corrolaire. Le début des années 50
ouvre une période de hausse de la production. Les charbonnages et les usines
métallurgiques sont nombreux. L'équipement très éparpillé et vieilli ne
suffit plus à répondre à une demande croissante, qui nécessite une
modernisation de l'outil et une concentration de la production. Cela explique
entre autres la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier
(CECA) en 1952. La Belgique est ainsi intégrée dans un marché qui gère la
production simultanée de plusieurs pays membres. La Belgique profite également de sa colonie. Le Congo est riche en minerais, café, coton, matières premières indispensables à la prospérité de la Belgique et exploitées à un coût dérisoire.(93) Quatre groupes
financiers belges contrôlent l'essentiel de l'activité économique : la Société
Générale, Brufina et les groupes Empain et Lambert. Mais la concurrence
accrue au sein de la petite communauté européenne, accentue la Dans les charbonnages
en 1958, plus de six millions de stocks restent invendus
(94). Le 25 mars 1957, la
Belgique entre dans le marché commun européen. La CEE, comme la CECA, créent
un marché économique élargi, ce qui a permis à de nombreuses entreprises
étrangères de s'implanter en Belgique et parmi celles-ci, un nombre croissant
d'entreprises américaines. Après les difficultés
des années cinquante, l'économie belge connaît une embellie. Même
l'indépendance du Congo ne semble pas l'handicaper. D est vrai qu'en 1960,
l'intervention du Congo dans l'économie belge n'est que de 3%
(95). Le niveau de vie s'est
considérablement amélioré ; ainsi, le nombre de voitures passe de 500.000 en
1957 à 1.600.000 en 1968(96). Le tableau suivant
montre l'évolution des salaires par rapport à l'index des prix(97)
: Période Accroissement des
gains journaliers moyens bruts des ouvriers de l'industrie
le revenu national est passé quant à lui de 256 milliards en 1948 à 814
milliards en 1968(98). Ce progrès résulte du
développement d'une nouvelle société de consommation, une consommation de
masse offrant au grand public un vaste choix de nouveaux produits à bas prix(99).
Ceci favorise l'augmentation des investissements des sociétés étrangères en
Belgique. Entre 1958 et 1968, les investissements américains se sont élevés à
plus de quinze milliards de francs belges. Si dans la mentalité
collective, les Golden Sixties sont synonymes de progrès sociaux :
développement de la sécurité sociale, réduction du chômage, salaires
élevés..., que l'on ne s'y trompe pas : pour le patronat belge, ces progrès
sociaux n'auront qu'un temps. En 1963, la Fédération des Industrie de Belgique
(FIB) déclare : « la tendance inflationniste qui affecte notre économie est
en premier lieu provoquée par une hausse trop rapide des coûts [salariaux]
(i.e.), et par la gestion des finances publiques. C'est donc sur ces deux
points
névralgiques qu'il faut agir si l'on veut éviter
l'aventure, si l'on entend se maintenir sur la voie typiquement belge du
progrès social dans la stabilité »(100)
. La fin de cette
citation est importante, « (...) se maintenir sur la voie typiquement belge
du progrès social dans la stabilité ». Il s'agit bien évidemment de
stabilité économique, mais surtout sociale dont nous verrons la portée dans le
chapitre consacré à la politique syndicale(101).
2) La Belgique dans l'Europe II est évident que la
construction européenne et, par là, le développement du marché économique
européen tiennent une place importante dans la décennie. La Belgique est d'ailleurs
très attachée à la construction européenne. Non seulement par le fait de ses
liens historiques et économiques (le traité économique de la CECA) mais
surtout parce que la Belgique exporte à l'époque quelque 40% de sa production(102).
La FIB prône un élargissement de la Communauté Européenne. Car à l'époque de
l'hégémonie économique des Etats-Unis, il n'y a qu'une seule alternative pour
l'Europe « soit risquer un approfondissement économique et politique de son
union, soit y renoncer et s'installer simplement dans la mouvance des
Etats-Unis ou de l'URSS »(103). Il
est donc clair que la patronat belge devait développer une Europe économique
capable de rivaliser avec les Etats-Unis. D'aileurs lorsque le 1er janvier
1973, la Communauté Economique Européenne est élargie au Danemark, à l'Irlande
et à la Grande-Bretagne, la FIB déclare : « ainsi était comblé un vœu que
les entreprises belges avaient formulé depuis longtemps et maintenu à une
époque où les poussées isolationnistes perturbaient le fonctionnement de la
Communauté Economique Européenne et en dénaturait les objectifs de cohésion et
de progrès collectif à l'échelle de toute l'Europe occidentale »(104).
3) La crise de l'industrie
charbonnière En 1950, Robert
Schuman propose "de placer l'ensemble de la production franco-allemande de
charbon et d'acier sous haute autorité commune, ouverte à la participation des
autres pays d'Europe "(105). Mais la Belgique est
en retard sur ses concurrents lors de la mise en place du Plan Schuman. En
1958, malgré sa coopération à la CECA, le secteur charbonnier belge est
durement touché par la crise. Une politique de fermeture des charbonnages, qui
s'étalera sur plus de vingt ans, est mise en œuvre. La crise que connaît
l'industrie charbonnière est l'événement majeur des années soixante. Elle va
profondément déterminer la situation politique et sociale du pays. Alors que
s'annoncent les Golden Sixties, l'industrie charbonnière est en crise. Le prix de revient
dépasse souvent le prix de vente. L'Etat doit intervenir pour essayer de
combler le déficit : 5 milliards en 1968 et 1969, 4 milliards en 1970(106).
Les charbonnages du sud sont d'autant plus touchés qu'ils produisent du
charbon domestique dont la consommation tend à diminuer. Les bassins campinois
ne sont pas en reste et connaissent également des problèmes d'exploitation. A l'époque, la
fermeture des charbonnages s'impose comme une nécessité absolue, d'autant plus
que le charbon étranger peut être importé à moindre coût. D'aileurs Chlepner
B.-S. l'annonce sans hésitation: «(...) il faut mettre fin définitivement à
l'exploitation charbonnière dans notre pays, en ce compris le bassin de
Campine. Il n'y a pas de crainte à avoir concernant l'approvisionnement de
notre sidérurgie : le charbon à coke est abondant dans le Monde, et le
remplacement du charbon national par du charbon importé (...) se fera au
bénéfice de toute la collectivité »(107). Ce qui va être fait,
et si certains comme Chlepner considèrent que s'opposer aux fermetures est une
thèse « absurde car elle méconnaît des principes économiques essentiels »(108)
ils oublient les conséquences sociales désastreuses dans les régions
charbonnières. La récente émission Les enfants du Borinage(109)
a clairement montré les conséquences encore actuelles de ces fermetures,
imposées sans reconversion industrielle. La crise des
charbonnages aura des conséquences désastreuses pour la Wallonie. En 1952, la
Wallonie compte 143 sièges d'extractions, en 1968 elle n'en compte plus que 31(110).
Ces chiffres cachent mal les conséquences sociales désastreuses de ces
fermetures. 4) Les années septante : la Belgique dans la crise - Table des matières Jusqu'en 1973,
l'Europe a connu une croissance économique saisissante appelée les « trente
glorieuses ». C'était une croissance longue et plus ou moins régulière,
entachée de quelques périodes de récession, 1948-1949, 1952-1954, 1957-1958,
1967-1968.(111). Mais le développement
économique de l'Europe a progressivement remis en question la suprématie
économique américaine et développé des rivalités au sein même du monde
capitaliste(112). La guerre
israélo-arabe de 1973 provoque un quadruplement du prix du pétrole(113). Si le choc pétrolier
est le détonateur de la crise, celle-ci couvait déjà depuis la fin des années
soixante, par la croissance de la demande de matières premières(114). Il y a trois
conséquences majeures à cette crise : une baisse de la production, une
augmentation de l'inflation et surtout une explosion du chômage(115).
L'Europe compte en 1984 19 millions de chômeurs, dont 13% en Belgique(116). L'Europe plonge dans
le « marasme économique ». La fin des « trente glorieuses » aura
un effet psychologique important. Cette crise économique accrédite la
pertinence de l'analyse marxiste du système économique. Elle rapprochera
d'autant plus la jeunesse contestataire des nouvelles organisations
communistes. En Belgique, fin des
années soixante, malgré le rythme de la croissance économique et de la
production, certains signes annoncent l'arrivée imminente d'une crise
économique. Le phénomène de concentration des capitaux s'est précipité tout au
long des années soixante. La dette publique ne cesse de croître, Les
industries charbonnières et sidérurgiques sont tributaires de l'étranger à 85
%. Sur le plan
international, les marchés allemands et japonais explosent. En 1971, Nixon
délie le cours du dollar de celui de l'or, ce qui bouleverse l'équilibre
monétaire. En Belgique, dès 1970,
les indicateurs économiques annoncent une baisse de la croissance. La
croissance de la production industrielle passe de 8% en 1969 à 2,8% en 1971(117).
A cette baisse de la croissance correspond la montée de l'inflation. La
croissance des prix atteint 6% en 1972, 7% en 1973, 15,7% en 1974 et 11% en
1975(118). Les effets de la crise
frappèrent la population : « fermetures d'entreprises, chômage...
». Autre conséquence de
la crise, la dette publique connaît une progression jusque là inconnue de 50%.
S'élevant à 500 milliards en 1970, celle-ci atteint 928 milliards le 31
décembre 1975(119). A partir de 1975, les
répercussions sociales furent sans cesse plus aiguës. Le chômage devenait un
phénomène de masse. De 71.000 chômeurs complets en 1971, on atteint les
320.000 en 1980. Après 1975, la
Belgique connaît un taux de croissance médiocre. En 1977, le PNB augmenta de
moins de 1%, de 1978 à 1980 il atteignait tout juste les 2 à 3%(120).
La dette publique atteignait en 1980 les 1.900 milliards de francs belges. En
réponse, il fut décidé de procéder à l'augmentation des impôts de 600 à 1.000
milliards. La naissance et
l'évolution de AMADA se réfléchissent aussi dans le miroir de la vie politique
et sociale de la Belgique. Les querelles communautaires s'amplifient dès le
début des années soixante. Elles conduisent à la constitution de mouvements
prônant le fédéralisme. Du côté flamand « Leuven Vlaams », mouvement
radical des étudiants fédéralistes de Louvain, militent durement pour chasser
les étudiants francophones de la terre flamande : « Walen buiten ».
Parmi ces jeunes nationalistes, vont se distinguer les futurs dirigeants de
AMADA, emportant le combat contre l'ordre bourgeois et capitaliste, qu'il soit
flamand ou wallon. AMADA naîtra donc dans une période agitée aussi par les
problèmes constitutionnels. 1) Situation générale - Table des matières a) La fin de l'Etat unitaire - Table des matières Le 18 février 1970, le
Premier ministre Gaston Eyskens déclarait au Parlement : « L'Etat unitaire,
tel que les lois le régissent encore dans ses structures et dans son
fonctionnement est dépassé par les faits. Les Communautés et les Régions
doivent prendre leur place dans les structures rénovées de l'Etat, mieux
adaptées aux situations spécifiques du pays »(121).
Cette déclaration entamait un processus d'évolution qui en plus de vingt ans
allait transformer la Belgique unitaire en un Etat fédéral. L'idée fédérale s'est
concrétisée dans les premiers jours de la grève de l'hiver 1960-1961. La
Wallonie qui connaît alors une crise du charbon importante « se sent »
lésée par rapport à une Flandre en pleine expansion économique. Le leader
métallurgiste André Renard en profite pour orienter les revendications
ouvrières sur des bases fédéralistes(122). Dans le sillage de
cette grève sera créé le Mouvement Populaire Wallon, véritable expression de
l'orientation fédéraliste que prennent alors les dirigeants wallons(123).
Tout en préservant son unité, le Parti Socialiste Belge avance timidement dans
cette voie, réclamant notamment pour la Wallonie « le droit de disposer
d'elle-même et de choisir les voies de son expansion économique et sociale »(124). En réponse à ces
revendications, une série de lois sont adoptées : fixation de la frontière
linguistique en 1962, loi sur l'emploi des langues dans l'administration et
dans l'enseignement en 1963...(125 Les événements vont se
précipiter après Y Affaire de Louvain. Le gouvernement CVP-PSC-PSB-BSP
de Gaston Eyskens engage la Belgique sur la voie de la décentralisation en
entamant la révision constitutionnelle et la réforme de l'Etat de 1970-1971(126).
La révision constitutionnelle de 1970 divise la Belgique en trois régions
linguistiques, en trois communautés culturelles : la communauté culturelle
néerlandaise, la communauté culturelle française et la communauté culturelle
allemande(127). Cette révision prévoit
également le transfert des compétences de l'Etat central vers les communautés
et les régions comme par exemple l'urbanisme, la santé, les travaux publics... Une deuxième étape a
lieu avec la révision constitutionnelle de 1980. Celle-ci fixe définitivement
les organes de décisions communautaires et régionaux. Les flamands
fusionnèrent région et communauté tandis que du côté francophone ces deux
organes restèrent séparés(128). Les organes
suivants sont créés : un Conseil de la Communauté Flamande, un Conseil de la
Communauté Française, un Conseil régional wallon ainsi que des organes de
décisions pour la communauté germanophone(129). La révision de 1980 va
également plus loin. Jusqu'ici, seul l'état central avait le pouvoir de faire
les lois. A partir de 1980, les décrets régionaux ont force de loi
(130). Les compétences des communautés et des régions sont étendues : les
compétences communautaires comprennent les matières culturelles et «
personnalisables » (enseignement, soins de santé, aide sociale,...);
les compétences régionales couvrent des matières comme l'aménagement du
territoire, l'environnement, le logement, la politique économique, la
politique de l'emploi...(131). La troisième étape
survient en 1988. La décentralisation est achevée, les communautés et les
régions se voient attribuer des compétences exclusives alors que l'état ne
garde que des compétences résiduelles. Enfin, la Constitution
belge du 17 février 1994 transforme officiellement la Belgique en un Etat
fédéral : « La Belgique est un Etat fédéral qui se compose des communautés
et des régions » Si le nouveau statut
de la Belgique est, selon les politologues, un exemple de fédéralisation
auquel de nombreux pays se réfèrent, celle-ci à néanmoins des conséquences
fâcheuses. La fédéralisation a introduit dans l'opinion publique le sentiment
que les intérêts de la population francophone et néerlandophone sont
divergents. H suffit de voir les incessantes disputes entre les politiciens
des deux bords au sujet de la sécurité sociale ou la fameuse phrase
« les flamands en ont assez de payer pour la Wallonie ». Les mouvements sociaux
se trouvent affaiblis. Retenons par exemple les grèves des enseignants
francophones en 1996 ; les hommes politiques se gardant bien de prendre les
mêmes mesures au même moment dans les deux communautés. C'est bien la division
des travailleurs que AMADA et plus tard le PTB condamne énergiquement lorsque
son président Ludo Martens déclare : « tous les travailleurs doivent
défendre une Belgique unie et unitaire parce qu 'elle rend plus facile la
lutte commune pour le socialisme »(133).
Il prône donc l'unité comme facteur d'émancipation contre la division, facteur
de réaction. b) Les gouvernements - Table des matières Survoler les
gouvernements qui se sont succédés entre 1966 et 1979 permet de mettre en
lumière la situation politique générale de la Belgique. La stabilité ou
l'instabilité politique d'un pays peut expliquer dans une certaine mesure
l'orientation de l'opinion publique vers telle formation politique qui semble
répondre le mieux à ses aspirations. Comme le dit Lemaître
dans sa préface, la succession incessante de différents gouvernements laisse
« le citoyen belge de plus en plus perplexe à l'égard de ces dynasties
politiques qui rappellent fâcheusement celles des fameux Rois maudits »
(134). A la lumière des
résultats électoraux, on s'aperçoit que le succès d'AMADA a connu une
ascension relativement rapide. Aux premières élections législatives auxquelles
AMADA participe en 1974, il totalise 19.794 voix ; 24.899 en 1977 ; 43.483
voix en 1978(135). La succession de dix
gouvernements(136) de 1966 à 1979,
c'est-à-dire en moyenne un gouvernement tous les sept mois, peut expliquer en
partie cette évolution. De plus, tous les
grands partis traditionnels se sont succédés au pouvoir, le Parti Socialiste,
le Parti Social Chrétien et le Parti Libéral, avec une nette domination du
Parti Socialiste et du Parti Social Chrétien(137).
Si l'on ajoute le bref passage de la Volks Unie et du Front Démocratique
Francophone(138), il paraît évident que
l'opinion publique ne savait plus vers quelle formation se tourner, ce qui a
sans doute favorisé une petite formation comme AMADA. Cette période
déterminante commence par une crise politique grave qui entraîne la chute du
gouvernement Vanden Boeynants le 7 février 1968. L'Affaire de Louvain
est au cœur du problème. Depuis plusieurs années, la question de l'extension
de l'Université et du transfert de la section francophone sur un autre site
est à l'origine d'un débat houleux. Le 15 janvier 1968, le conseil académique
de la section française de l'Université de Louvain décrète « le maintien à
Louvain d'une section française complète (...) »(139). Immédiatement les
étudiants flamands se mettent en grève. Le mouvement qu'ils déclenchent va
prendre une telle ampleur que le gouvernement n'aura d'autre choix que de
démissionner, d'autant plus que des dissensions importantes apparaissent au
sein même du gouvernement (140). Cette première crise
annonce le début d'une période de treize ans ponctuée de crises politiques
d'importance diverse avec pour conséquence une importante instabilité
politique. Nous n'ailons pas rentrer dans les détails, renvoyant pour cela à
l'ouvrage déjà cité de Henri Lemaître, les gouvernements belges de 1968 à
1980, processus de crise(141).
Retenons cependant que les dix gouvernements ont principalement achoppé sur
les problèmes communautaires. 2) Les partis politiques en présence - Table des matières La Belgique connaît, à
partir du début des années soixante une évolution politique qui aboutit à la
scission des familles politiques en deux partis distincts et à la naissance de
nouvelles formations. Cette situation entraîne une fragmentation accrue du
système politique belge(142).
a) naissance de nouveaux partis(143 Ces nouveaux partis
comprennent la Volksunie, Ecolo, le Vlaams Blok pour ne citer qu'eux. La Volksunie
voit le jour en 1954 sur une base chrétienne. Ce parti est clairement
fédéraliste prônant « un Etat fédéral a deux composantes, avec
Bruxelles-capitale comme district fédéral »(144). Sa participation au
gouvernement de 1977(145) lui vaudra une
grave défaite aux élections législatives de 1978. Cette défaite a comme
conséquence l'émergence du
Vlaams Blok. Ecolo
est sorti des différents mouvements de protection de
l'environnement de la fin des années septante. Constitué en parti en 1980, son
objectif principal est « d'organiser une structure d'intervention
permanente sur le mode autogestionnaire et fédéraliste, afin de poser les
revendications écologiques sur le plan politique en terme de gestion de la
société »(146). A partir
des élections législatives de 1981, Ecolo ne quittera plus la scène
politique jusqu'à devenir membre du gouvernement aux dernières élections du 13
juin 1999. Le Vlaams Blok
apparaît en 1978 de la réunion de deux organisations flamingantes, le
Vlaams nationale partij et le Vlaamse Volkspartij(147).
Le Vlaams Blok revendique un Etat flamand indépendant avec Bruxelles
comme capitale. Progressivement le Vlaams Blok va prendre une
orientation de plus en plus clairement fasciste réclamant entre autres
(148): - l'élitisme de la
nationalité basé sur une xénophobie très prononcée, le patriotisme et l'ordre. b) scission des trois familles politiques traditionnelles(149) - Table des matières Le parti
social-chrétien se scinde en deux entités distinctes après l'Affaire de
Louvain en 1968. Côté libéral, la
première scission apparaît au sein de la fédération bruxelloise. En 1969, les
flamands fondent leur propre fédération. Du côté francophone, l'aile droite du
Rassemblement Wallon menée par Jean Gol se détache et forme en 1979 le parti
réformateur libéral ou PRL. Du côté socialiste, la
scission a lieu plus tard, en 1978. Cette division des
familles politiques traditionnelles entraîne une fragmentation accrue de la
scène politique belge. C'est un fait important car cette situation donne petit
à petit l'impression à l'opinion publique que les contradictions fondamentales
de la politique belge se situent entre néerlandophones et francophones. Cette
idée s'accentue avec le développement progressif du fédéralisme. Cette
division du monde politique d'une part et le développement du fédéralisme
d'autre part ont sans aucun doute favorisé le développement de certaines idées
nationalistes. c) La gauche et l'extrême gauche en Belgique - Table des matières A la fin des années
soixante et au début des années septante, il existe plusieurs formations
représentatives de la « gauche » et de « l'extrême gauche ».
Nous ne citerons que les plus importantes qui sont les plus représentatives
des différents courants idéologiques. • Le Parti Communiste - Table des matières La première
organisation politique se réclamant du marxisme et dont l'influence est
prédominante au sein du mouvement ouvrier à la fin des années soixante est la
Parti Communiste. Principal héritier du mouvement ouvrier en Belgique, il est
membre de la Troisième Internationale et s'identifie à l'URSS. Dans l'histoire du
développement de la nouvelle gauche en Belgique, le Parti Communiste joue un
rôle important car la nouvelle extrême gauche en est partiellement issue et se
définit principalement par rapport à lui(150).
Le développement du maoïsme belge au début des années soixante provoque une
grande crise idéologique au sein du mouvement communiste et aboutit à la
première dissidence maoïste en Europe occidentale(151). • Le « grippisme » (152) - Table des matières Le grippisme est issu
de l'expulsion de Jacques Grippa et de trois de ses compagnons suite au XIVe
congrès du Parti Communiste en avril 1963(153).
Une partie de la fédération bruxelloise reprochait au parti son manque de
fermeté dans la grève de 1960-1961, critiquait La fraction «
pro-chinoise » de Jacques Grippa entraîna la plupart des étudiants
communistes, une partie de la jeunesse communiste et une partie des militants
wallons, expression d'un décalage important entre le discours de la direction
et des individus de la base(155). Néanmoins, le
mouvement grippiste va rapidement connaître des dissensions internes, Grippa
prenant parti pour les dirigeants chinois attaqués par la révolution
culturelle alors qu'une partie maoïste de son mouvement s'en détachait. • Les « marxistes-léninistes » - Table des matières Chauvier distingue
deux sous-ensembles parmi ceux qui se définissent eux-mêmes comme «
marxistes-léninistes » : le premier étant constitué des dissidents du
grippisme, le second est un conglomérat de groupes que l'on peut qualifier de
nouveaux maoïstes (156). Il
y a d'une part le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de Belgique (PCMLB)
appelé également le « groupe Clarté »(157).
Celui-ci est né de la rupture avec Jacques Grippa en novembre 1967(158).
Seul parti à entretenir des liens étroits avec Pékin, il pouvait alors être
considéré comme le représentant de la pensée maoïste en Belgique. D'autre part nous avons le Parti Communiste de Belgique (marxiste-léniniste) (PCBML). Il s'agit d'une continuité du grippisme à Charleroi antérieur au groupe Clarté dont il est cependant fort proche politiquement. Le PCBML édite le périodique L'exploité (159) • Les nouveaux maoïstes - Table des matières Des groupes
d'étudiants maoïstes se sont manifestés à partir de 1968 dans les universités
de Louvain et de Bruxelles(160). Retenons ici
les deux organisations qui à mon sens ont le plus d'intérêt, la première parce
que cette étude en est le sujet, à savoir AMADA-TPO, la deuxième parce que son
histoire est intimement liée à celle de AMADA, à savoir l'UC(ml)B, l'Union des
Communistes (marxistes-léninistes) de Belgique(161). En 1973, Chauvier
écrit : « le groupe Alle Macht Aan de Arbeiders (AMADA) paraît être le plus
nombreux. Il édite un périodique du même nom. A l'origine de ce groupe se
trouvaient des mouvements tels que le Student Vak Beweging, le Derde wereld
Beweging et d'autres groupes universitaires louvanistes qui avec le Gentse
Studenten Beweging, avait donné naissance à un Marxistisch-leninistische
beweging. Ces divers éléments avaient joué L'UCMLB pour sa part résulte de la fusion en 1972 des groupes Tout le pouvoir aux travailleurs et Unité rouge. Le groupe Tout le pouvoir aux travailleurs comprenait le groupe communiste maoïste de l'ULB et le journal lycéen Rebelle(163) Cette liste n'est
évidemment pas exhaustive, mais elle démontre déjà très bien l'extraordinaire
foisonnement des nouvelles organisations communistes au début des années
septante. On peut donc en
déduire que le mouvement maoïste en Belgique était très important à cette
époque. Pourquoi seul AMADA s'est-il développé ? Pourquoi, alors que les
organisations francophones dominaient la scène politique, est-ce la branche
néerlandophone du mouvement qui s'est le plus développée ? Nous essayerons de
répondre à ces questions tout au long de ce travail. C. Contexte social: L'évolution de la politique syndicale - Table des matières Le contexte social de
la période que nous étudions est très riche en événements. D'autant plus riche
que les mouvements sociaux que connaît la Belgique entre 1960 et 1979 vont
considérablement influencer la vie politique belge. A titre d'exemple, la
période s'ouvre avec la grande grève de 1960-1961(164),
grève insurrectionnelle, qui met en avant les premières revendications
fédéralistes ; la grève des femmes de la Fabrique Nationale en 1966(165)
qui va considérablement faire avancer les revendications féminines ; le
mouvement des étudiants flamands à Louvain et à Gand en 1968(166),
responsable de la chute du gouvernement Vanden Boeynants ; la grève des
mineurs du Limbourg en 1970 qui se solde par la mort de deux ouvriers mais qui
est le premier conflit d'envergure dans lequel sont intervenus les étudiants
fondateurs d'AMADA. On peut encore citer la grève de Boel-Tamise ou la grève
des dockers de 1973(167). Pourtant, ces
grandes luttes sociales d'une ampleur énorme surviennent durant les Golden
Sixties, période de croissance économique et de plein emploi. Ce qui frappe surtout
durant cette période, c'est l'évolution générale des syndicats qui entament
une politique de concertation sociale. Cela ne sera sans doute pas étranger au
succès que AMADA rencontrera auprès des ouvriers notamment lors de la grève
des mineurs du Limbourg en 1970. Nous avons vu qu'au
sortir de la seconde guerre mondiale, un des objectifs du gouvernement belge
était de maintenir la paix sociale, c'est-à-dire endiguer l'influence
communiste, en vue de favoriser la reprise économique. Les syndicats de leur
côté considèrent chaque intervention de l'Etat dans le processus économique
comme une victoire des "intérêts collectifs" sur "les intérêts
privés du capital"(168). Le
patronat pour sa part a comme préoccupation principale de conserver le pouvoir
économique et de relancer la productivité. Dans cette perspective, il
consentira des concessions importantes notamment en matière de sécurité
sociale. De là découle le
développement de "l'économie de concertation". Cela signifie qu'à
chaque niveau, national, sectoriel et dans les entreprises, des organes de
concertation sont érigés pour traiter des matières économiques et sociales. Ce
compromis entre patronat et syndicat est développé et "institutionnalisé" dans
"La Déclaration Commune sur la Productivité" le 5 mai 1954. Le patronat y
reconnaît le fait syndical et les syndicats y reconnaissent l'autorité
patronale(169). Que dit en outre cette
déclaration : "-
Les représentants des
employeurs et des travailleurs collaboreront légalement à l'échelon national
et à l'échelon professionnel. Cette collaboration confiante est basée sur une
information aussi complète que possible de la situation. Les moyens et les
méthodes pour accroître la productivité seront étudiées en commun(..). - Les représentants
des employeurs déclarent que l'accroissement de la productivité ne peut en
aucune manière être obtenue en compromettant l'intégrité physique et morale
des travailleurs, ni en portant atteinte à leur dignité humaine. Les
représentants des travailleurs déclarent de leur côté que l'effort commun en
vue d'accroître la productivité ne servira pas de prétexte pour tenter de
modifier le statut des entreprises ou de mettre en cause l'autorité de leurs
chefs'(170). Ces déclarations concernent le maintien de la paix sociale et sont clairement destinées à mettre en place la coopération sociale : "Pour contribuer à ce que les travailleurs appliquent de bon cœur et en confiance certains procédés ou méthodes nouveaux, il est possible que des chefs d'entreprises recourent à des spécialistes syndicaux"(171). Au cours des années
soixante, l'action syndicale est déterminée par les principes dictés dans la
Déclaration Commune sur la productivité et par l'OBAP(172),
son organe d'application. La FGTB ne s'y trompe
pas: "en signant le 5 mai 1954 la Déclaration Commune sur la Productivité
avec les partenaires sociaux, la FGTB s'engagea dans un processus réclamé
depuis deux ans par le patronat (...)'(173). Cette politique profite avant tout au patronat. Même si les syndicats voient dans la Déclaration Commune un moyen d'améliorer le niveau de vie des travailleurs et d'augmenter l'emploi(174), ils sont conscients que l'augmentation de la productivité "est une nécessité pour le capital à qui seule elle profite'(175). Pour sa part, le patronat déclare que "l'âpreté croissante de la lutte concurrentielle nécessite une vigilance nouvelle. Toute grève peut être fatale (...). Ceci conduit à coopérer pour faire accepter sans heurt les mesures nouvelles'(176). Malgré quelques dissensions internes, les syndicats ont donc décidé de se tourner résolument vers la coopération sociale. Dans une enquête réalisée en 1959 par l'OBAP, sur 213 syndicalistes interrogés, seulement 13 se sont prononcés contre la coopération. (177) Malgré cela, la crainte suscitée par les organisations syndicales est encore fort présente car, pour le patronat, "trop politisées celles-ci menacent à tout moment le patronat d'une action de surenchère revendicatrice ". (178) De manière générale, les syndicats ont opté pour la carte de la collaboration et de la concertation. Cette position sera vivement critiquée par AMADA qui développe dès le début une position anti-syndicale. Lors de la grève des mineurs du Limbourg, le journal AMADA titrait : « De vakbonden streden gedurende 44 dagen tegen de heldhaftige mijnwerkers » (179) (les syndicats ont lutté durant 44 jours contre les courageux mineurs). Dans un article de décembre 1970, AMADA dénonce la « contrôle ouvrier » prôné par les syndicats, car selon AMADA : « les travailleurs ne peuvent pas contrôler le capitalisme. Il y a deux options, subir la dictature du capitalisme ou instaurer la dictature du prolétariat » (180). La FGTB a d'ailleurs relevé cette position anti-syndicale. Dans une communication aux mineurs elle écrit : « Il est de fait avéré que des éléments anti-syndicalistes se montrent actifs au cours de cette grève. C'est d'ailleurs pour cette raison que les militants syndicalistes de la FGTB ont érigé le comité des grévistes FGTB, justement pour capter le courant antisyndicaliste, pour lui couper l'herbe sous les pieds » (181). D'ailleurs, la politique de conciliation des syndicats ira croissant. Nous la retrouvons plus tard lorsque Jacques De Staercke, président de Fabrimétal, déclare : « La plupart des leaders syndicaux disent que le temps de la modération est venu, si pas en public, du moins en privé. Seuls quelques-uns emboîtant le pas de quelques révolutionnaires plus ou moins utopistes, refusent de voir les réalités et tentent malgré tout de poursuivre leur rêve de création qui serait à la fois égalitaire et progressiste » (182). Car les militants syndicaux qui ne se rallient pas à la politique syndicale seront irrémédiablement pourchassés (183). A titre d'exemple, une militante du PTB, qui était militante de AMADA nous a écrit ceci : « J'ai été licenciée dans l'enseignement catholique dans l'année 73 (i.e). Comme j'étais mariée avec Kris Merckx, et que 'la bible et le communisme' ne vont pas ensemble, la directrice ne voulait pas prolonger mon contrat de prof temporaire. J'étais sur une 'liste noire'. La VDAB (ONEM) m'envoyait à des écoles, mais dès que j'avais rempli les papiers (avec le nom de mon mari) j'étais mise à la porte (...) » (184). Nous verrons plus loin qu'un certain nombre d'ouvriers membres ou proches de AMADA ont régulièrement été licenciés.
Paradoxalement à ce
nouveau climat syndical, un nombre de plus en plus important d'ouvriers vont
adhérer aux syndicats, ce qui dénote un désir croissant de défendre leurs
intérêts. Si le contexte général,
c'est-à-dire l'évolution générale de la situation économique et politique de la
seconde moitié du XXème siècle, a été abordée de manière détaillée, c'est
essentiellement pour répondre aux exigences que nécessite l'étude d'une
organisation communiste. S'agissant de l'histoire
d'un mouvement se réclamant lui-même du marxisme, cet angle de vue s'impose pour
rendre compte des éléments subjectifs et objectifs qui ont déterminé la création
et l'évolution de
Alle
Macht Aan de Arbeiders. C'est en partant du
principe que « les institutions politiques s'érigent en superstructure sur
une base économique » (185), c'est-à-dire
que « les différentes formes politiques des Etats européens modernes servent
à renforcer la domination de la bourgeoisie sur le prolétariat »
(186) que nous pourrons mieux appréhender les conceptions politiques et les
aspirations idéologiques des membres de AMADA. Tout au long de ce préambule, nous nous sommes référés systématiquement aux événements nationaux et internationaux pour circonscrire la scène sur laquelle AMADA a joué sa pièce. Comprendre le fonctionnement et l'essence même de AMADA, c'est avant tout comprendre son environnement économique, social, culturel et politique. Seconde partie: Les prémisses de AMADA-TPO: 1967-1970 - Table des matières Le mouvement Alle
Macht Aan de Arbeiders - Tout le pouvoir aux ouvriers (AMADA-TPO), apparu
dans le courant de l'année 1970, trouve ses sources dans le mouvement étudiant
flamand qui, tout au long des années soixante, a secoué la Belgique et a conduit
à la division de l'Université Catholique de Louvain et à la chute du
gouvernement Vanden Boeynants le 7 février 1968
(187). Dans la mentalité collective, ce mouvement est indéniablement associé
à la revendication Walen Buiten. Pourtant, comme nous allons le voir par
la suite, ce mouvement, commencé sur une base nationaliste flamande, va se
transformer pour aboutir en 1968 à former un mouvement de contestation sociale,
remettant en question les fondements mêmes de la société. Cette évolution aboutira
par exemple à la création de comités de solidarité avec les ouvriers en grève
des mines du Limbourg. Une branche progressiste de ce mouvement rassemblé au
sein du Student Vakbeweging donnera enfin naissance à AMADA-TPO. Il conviendra d'étudier
dans ce chapitre l'évolution des revendications qui, d'une base «
nationaliste », se transformeront en une plate-forme démocratique et
enfin en une remise en question de la société sur une base marxiste-léniniste. Ce chapitre abordera le
contexte général dans lequel s'est développé le mouvement étudiant en Flandre à
la fin des années soixante. Partant de la mentalité générale des étudiants
flamands au début des années soixante, en passant par la guerre du Viet-Nam et
la révolution culturelle en Chine, nous verrons les raisons qui expliquent le
développement d'un mouvement "progressiste" dans une Flandre perçue avant tout
comme réactionnaire. Nous verrons également
les acteurs de ce mouvement, ses aspirations, la constitution d'une "nouvelle
gauche", les premiers contacts avec la classe ouvrière et enfin la
plate-forme politique du mouvement. Pour être complet et
remettre le mouvement étudiant de Louvain dans la perspective générale des
mouvements étudiants de cette période, nous aborderons rapidement la crise de
mai 1968 à Bruxelles. Enfin nous aborderons
l'après 1968, l'heure du bilan pour les organisations étudiantes. Nous verrons comment les
étudiants acquis à des positions radicales, ont décidé de former une nouvelle
organisation communiste en Belgique. Cette période qui couvre les années
1969-1970, verra les étudiants progressistes de Louvain constituer
l'organisation AMADA-TPO.
Chapitre I: Le mouvement étudiant
1966-1969
- Table des matières Ce que l'on appelle
communément l'Affaire de Louvain trouve ses origines dans l'agitation
communautaire de la Belgique du début des années soixante. Alors que la grève de
1960-1961 est l'occasion de l'apparition des idées fédéralistes wallonnes sous
l'impulsion d'André Renard (188), parallèlement
se développe en Flandre une contestation flamande qui plonge ses racines dans le
nationalisme flamand d'après-guerre. Cette contestation va se cristalliser
autour de Louvain, université catholique bilingue, à majorité néerlandophone,
dirigée par des évêques francophones. Commencée sur base de désaccords internes,
l'opposition aux évêques va rapidement tourner en revendications nationalistes
exigeant l'expulsion des étudiants francophones et la scission de l'université,
le fameux Leuven Vlaams. Ce mouvement a déjà été
étudié dans les détails à plusieurs reprises (189).
Retenons que le développement de la contestation aboutira à deux explosions de
révoltes sans précédent dans l'histoire contemporaine de l'université qui
mettront en évidence l'émergence d'un courant politique de gauche au sein du
mouvement flamand. Dans cette optique, nous
nous limiterons essentiellement à la période 1966-1968.
A. Louvain 1966: première révolte
- Table des matières La révolte de mai 1966 à
Louvain s'étend sur cinq jours, du 15 mai au 20 mai, sous la direction de l'Aktie
Comitee rassemblant la plupart des organisations étudiantes KVHV, le FK, le
SK et le VNSU en collaboration avec le WS. (190) Cette révolte fait suite
à la publication du Mandement épiscopal du 13 mai 1966 dans lequel les
évêques réaffirment "l'unité institutionnelle et fonctionnelle de l'aima
Mater ainsi que son unité géographique qui la situe à Louvain".
(191) Le mandement se termine
ainsi: "Cet appel devient un ordre, quand il s'agit des membres du personnel
académique, scientifique et administratif, des deux régimes linguistiques (...)"
(192) Les réactions ne se font
pas attendre, le KVHV condamne dès le 15 mai "l'attitude asociale et
antidémocratique de l'épiscopat belge" (193). Les différentes
organisations étudiantes se réunissent et ripostent par une plate-forme de
revendications connue sous le nom de « document du 19 mai ».
Que dit-il? "(...) Il est temps
que soit résolument expliqué pourquoi les étudiants flamands luttent, pourquoi
ils prennent part au mouvement. Depuis trois ans, se
développe à Louvain le désir croissant des étudiants d'être reconnus comme
interlocuteurs. Ils espèrent que ceux
qui portent la responsabilité de la gestion de l'université ouvriront le
dialogue avec les étudiants, de manière à ce que toutes les décisions à propos
de la politique universitaire soient co-produites avec l'opinion des étudiants
(...)"
(194) Même si la revendication
limitée à Walen Buiten reste majoritaire sous la pression de la droite
nationaliste, on voit néanmoins poindre la préoccupation de démocratisation de
l'université. Le texte va même plus
loin. Il précise que les revendications étudiantes ne se limitent pas seulement
aux seules revendications politiques, mais que celles-ci doivent être inscrites
dans un contexte socio-économique, que la contestation étudiante tient pour
évident que derrière la politique de l'épiscopat se dissimulent "le
cléricalisme, l'unitarisme et le capitalisme". Et pour finir, "ce n'est
pas contre certains individus que les étudiants réagissent, mais contre un
système, une structure dont le diktat épiscopal est le symbole". À la lumière de ce
texte, il devient évident que les revendications étudiantes s'infléchissent. Le
Comité Leuven déclare d'ailleurs lutter pour "une université démocratique
et autonome flamande" (195). Après cinq jours de
manifestations, les autorités académiques mettent fin à la contestation en
avançant la fin de l'année académique d'une semaine.
(196)
B. Louvain 1968 :
seconde révolte: le tournant
- Table des matières Les événements de
janvier 1968 quant à eux marquent un changement significatif des revendications
étudiantes. Nous verrons plus loin les raisons de cette évolution lorsque nous
aborderons la partie relative à la constitution d'une nouvelle gauche. Pour l'instant retenons
que l'année 1967, d'un calme tout relatif, a été mise à profit pour affiner et
radicaliser les revendications. Le 15 janvier 1968, les
évêques sortent une nouvelle déclaration qui rappelle globalement les décisions
arrêtées dans leur Mandement du 13 mai 1966. De nouveau, la réponse
des étudiants ne se fait pas attendre, mais le ton change radicalement. Le 16
janvier 1968, Paul Goossens, alors président du Studentenvakbeweging (SVB)
(197), s'adresse aux étudiants : "la méthode pacifique a fait long feu.
Il faut passer aux actes, non seulement contre l'université, mais aussi contre
la ville toute entière. (...) Ce document provient d'une bourgeoisie bruxelloise
qui veut faire une université de caste. Une révolution s'impose (...)"(198).
Sur les murs de l'université apparaît un journal mural, écrit en français,
significatif du changement de mentalité
"(...) Il est temps que
soit résolument expliqué pourquoi les étudiants flamands luttent, pourquoi ils
prennent part au mouvement. Depuis trois ans, se
développe à Louvain le désir croissant des étudiants d'être reconnus comme
interlocuteurs. Ils espèrent que ceux
qui portent la responsabilité de la gestion de l'université ouvriront le
dialogue avec les étudiants, de manière à ce que toutes les décisions à propos
de la politique universitaire soient co-produites avec l'opinion des étudiants
(...)"
(199) Le fait que ce document
s'adresse aux Wallons et qu'il soit rédigé en français montre bien que le
mouvement de contestation a largement dépassé la seule revendication
nationaliste qu'il avait jusque là (200). Le
illegaal dagblad Révolte du 19 janvier 1968 donne le ton: "L'Eglise et le
capital ne maintiendront certainement pas les étudiants sous leur joug". Nous n'entrerons pas
dans les détails de ce mouvement de janvier 1968 qui aboutit à la chute du
gouvernement Vanden Boeynants le 7 février 1968. Ce qu'il est important de
retenir ici, c'est l'évolution idéologique des prises de position des étudiants
par rapport à mai 1966. Il s'agit de comprendre
comment le traditionnel Walen Buiten a cédé progressivement le terrain au
Bourgeois Buiten. Ceci ne peut s'expliquer
que par le développement au sein même du mouvement nationaliste flamand, aussi
contradictoire que cela puisse paraître, d'une conscience progressiste que nous
qualifierons ici, selon l'expression de Chauvier, de Nouvelle Gauche et
qui constitue certainement un des facteurs originaux de la fin des années
soixante et sera déterminante pour la création du Parti du Travail de Belgique. Cette « nouvelle
gauche » apparaît tant du côté francophone que du côté néerlandophone.
Concernant AMADA, c'est principalement l'aile néerlandophone qui nous intéresse.
Nous soulignerons néanmoins l'existence de mouvements similaires du côté
francophone, d'autant que des liens étroits furent maintenus des deux côtés que
ce soit au temps du mouvement étudiant (201) ou
de la constitution de AMADA durant lesquels de nombreux débats ont agité la «
nouvelle gauche » belge. Chapitre II : La constitution d'une "nouvelle gauche" - Table des matières Nous n'étudierons que le
développement général de cette « nouvelle gauche ». Parmi la somme
d'ouvrages traitant de l'Affaire de Louvain(202),
très peu d'auteurs abordent l'émergence au sein du mouvement flamand de cette
nouvelle gauche. Nous retiendrons principalement l'ouvrage de Ludo Martens et
Kris Merckx, Een kwarteeuw mei 68 (203),
le seul document à traiter du développement des idées marxistes au sein du
mouvement étudiant flamand. A. 1966-1967 : la radicalisation - Table des matières Le développement d'une
conscience progressiste au sein du mouvement étudiant flamand est une question
clef. Celle-ci est régulièrement négligée dans les ouvrages consacrés à
l'Affaire de Louvain, malgré son importance décisive. Les témoignages sont
intéressants à plus d'un titre, car ils permettent de dégager différentes
raisons au développement de cette inclination : existence d'une conscience
progressiste «
naturelle » chez certains étudiants, existence d'un début de syndicalisme
étudiant, l'air du temps et l'expérience de deux conflits d'envergure à Louvain. 1) L'évolution des idées - Table des matières À ce titre,
l'avis des figures
dominantes du mouvement de Louvain sur le développement des idées progressistes
nous éclaire quelque peu. En 1968, Jos De Man a
rencontré la plupart des dirigeants étudiants d'Europe occidentale
(204). Il a récolté les avis de Ludo Martens et de Paul Goossens sur
l'évolution politique du mouvement étudiant de Louvain. Voici ce que déclarait
alors Ludo Martens : « L'impulsion
idéologique n'a pas été donnée par les animateurs (du mouvement). (...) Nous
avons abordé des thèmes comme les travailleurs ou la démocratisation. Nous
voulions Louvain flamand, c'est-à-dire que le peuple flamand puisse accéder à
l'université. Mais (...) nous ne savions pas qui était ce peuple. (...) Est-ce
que ce sont les banquiers flamands qui parlent effectivement
flamand mais qui étalent de la même manière leur richesse que les banquiers
francophones. Nous en sommes arrivés aux ouvriers. Nous a>ons formulé des
textes théoriques au sujet des travailleurs (...) C'était la première
idéologie. C'était très beau et idéaliste mais cela m correspondait pas
vraiment à la réalité. Généralement on nous disait que nous avions tiré cela
de Marx. Mais personne d'entre nous n 'avait jamais lu une lettre de Marx,
Lénine ou autre. On disait que nous étions marxistes-léninistes. A la longue
nous étions tellement partisans de Marx et Lénine que nous avons décidé d'y
regarder d'un peu plus près. (...) Nous trouvions que les problèmes auxquels
nous étions confrontés étaient similaires que ceux déjà étudiés. Voilà
pourquoi nous avons étudié ces auteurs : pour voir s'ils avaient résolu ces
difficultés. » (205) Malgré sa longueur, cette citation nous révèle
combien il est difficile de rendre compte du développement des idées politiques.
Ce développement n'est ni quantifiable, ni événementiel. Le développement d'une
pensée marxiste est le produit de divers facteurs dont le principal, dans ce
contexte-ci, est bien entendu le mouvement de contestation étudiante. Le
Studentenvakbeweging le définit d'ailleurs plus tard de cette manière : «
L'aperçu de la nécessité et de la difficulté de changer le monde, ne peut naître
seulement qu'en prenant une part active à la pratique sociale »
(206).
C'est donc principalement sur base de leur expérience sociale, c'est-à-dire sur
base de leur participation aux mouvements sociaux, à la lutte des classes,
que les membres de la Nouvelle Gauche vont progressivement se constituer
une idéologie. Même si le témoignage ci-dessus est empreint
d'un certain romantisme, il est révélateur du climat et surtout des aspirations
de quelques étudiants de l'époque et de l'évolution de leur réflexion vers un
idéal social. Pourtant, la relation du cheminement d'une
pensée politique est difficile car il est impossible d'en établir une
chronologie précise. Tout au plus pouvons-nous nous référer aux
témoignages des acteurs de cette époque. À la lumière de ces témoignages, il apparaît
que la révolte des étudiants flamands, malgré son caractère nationaliste,
reflète, à l'instar de ses «
consœurs » de France ou d'ailemagne, les revendications d'une jeunesse en
rupture socioculturelle avec un système qui, selon elle, a fait son temps. Sur le plan international, trois événements
importants ont profondément marqué les étudiants des années soixante. En premier, l'indépendance du Congo le 30 juin
1960 (207). L'évolution de la situation au
Congo suscite énormément de discussions au sein de la population belge. Mais
c'est surtout l'intervention militaire des para-commandos belges en 1964 sur
Stanleyville qui suscite l'indignation, déclenchant au sein de la gauche un
mouvement de protestation général (208). Deuxièmement, la guerre du Viêt-nam. Dans les
pays occidentaux, les mérites de la démocratie libérale sont chaque jour opposés
au communisme. Mais les images de l'intervention américaine au Viêt-nam
bouleversent cette vision idyllique. La résistance d'un
petit pays du Tiers-Monde au géant américain suscite
beaucoup de sympathie dans l'opinion progressiste. Et cette résistance est
dirigée par un Parti Communiste (209).
Comme dans les autres pays occidentaux, les événements du
Viêt-nam ont constitué, en Belgique, le principal amplificateur de la
contestation estudiantine (210). Par exemple,
la grande révolte de janvier 1968 à Louvain correspond avec la grande
offensive du Thêt des troupes nord-vietnamiennes
(211).
Cette prise de position en faveur du Tiers-Monde
influencera profondément le développement des idées marxistes au sein du
mouvement étudiant flamand. Nous verrons plus loin que c'est d'ailleurs de leur
rencontre avec des étudiants du Tiers-Monde que vient, pour les étudiants
flamands, la découverte du maoïsme.
Sur le plan national, il y a avant tout la grève de l'hiver 1960-1961 contre la
loi unique du gouvernement Eyskens-Lilar (212).
Cette grève qui s'étend surtout en Wallonie, touche également la Flandre. Cette
grève représente une fracture politique qui donne une nouvelle impulsion aux
courants fédéralistes (213). La fracture est
également idéologique. Dans un pays alors en pleine expansion économique,
prônant la paix sociale, la grève générale met en évidence le développement
toujours présent des luttes ouvrières (214).
Ceci sera confirmé en 1966 lors de la grève des mineurs de Zwartberg. La mort de
deux mineurs au cours des affrontements soulèvera d'ailleurs l'indignation des
étudiants flamands. Le journal Ons Leven, organe du KVHV, prendra parti
pour les mineurs et y dénoncera déjà en 1966 la contradiction fondamentale entre
le capital et le travail (215).
Enfin, l'état d'esprit de la jeunesse flamande ne peut être négligé pour
comprendre le développement du mouvement étudiant en Flandre. Une conférence
donnée à Bruxelles le 1er juin 1993 par Ludo Martens et Kris Merckx, en guise de
présentation de leur ouvrage Mei 68, een kwarteeuw, apporte une lumière
intéressante sur la génération montante de cette époque
(216).
Selon Ludo Martens, la jeunesse catholique flamande de la
fin des années cinquante et du début des années soixante, évolue dans une
ambiance empreinte de cléricalisme, d'autoritarisme, de répression sexuelle et
de nationalisme flamand... Cette ambiance, surtout présente dans les écoles
catholiques, maintenait la jeunesse dans un contexte autoritaire anachronique
par rapport à la société civile.
La jeunesse flamande était organisée très jeune dans des mouvements catholiques
prônant un nationalisme ultra, organisant des marches sur Bruxelles, le
pèlerinage de l'Yser... C'est dans ce climat que beaucoup de futurs dirigeants
étudiants ont passé leur enfance. Ils y ont développé une méfiance
antiautoritaire et anticléricale, cristallisée par les événements de 1966 et
1968. Ceci explique en partie la violence de la contestation à Louvain et peut
expliquer la sympathie pour la Révolution Culturelle en Chine
(217), qui représentait alors pour beaucoup, dans un contexte de
contestation, l'exemple même de la démocratie directe et du contrôle populaire.
En 1966 a d'ailleurs lieu à Louvain une conférence sur le thème « Que se
passe-t-il en Chine ? ». Beaucoup d'étudiants y brandissent le petit livre
rouge (218).
Pourtant, si le contexte socioculturel est à l'origine de
l'esprit contestataire d'une partie de la jeunesse flamande, c'est
principalement, selon Ludo Martens et Kris Merckx, la lutte contre les idées
nationalistes et chauvines alors largement dominantes dans le mouvement étudiant
flamand, qui a rendu possible l'émergence d'une aile progressiste en son sein
(219).
Il s'agissait de faire souffler un vent progressiste dans cette vague
nationaliste.
Comment ? Ons Leven,
l'organe du Katholiek Vlaams Hoogstudentenverbond (KVHV), constituera le moyen
détourné de propager, pendant les manifestations de Louvain, les aspirations
progressistes de : Ludo Martens, Kris Merckx, Herwig Lerouge, pour ne citer
qu'eux, tous membres futurs du SVB et fondateurs d'AMADA.
Pour une partie de la jeunesse éclairée, le nationalisme
détourne l'attention des vrais problèmes. Des voix s'étaient déjà élevées contre
ce climat nationaliste. Ainsi Gabi Van Drommen, président du WS, s'insurge
contre le nationalisme à partir de 1965.
En s'y opposant au pèlerinage de l'Yser, il soulève des protestations mais gagne
des partisans.
À ce titre, le parcours de Herwig Lerouge est révélateur de l'ambiance de cette
période. Son témoignage apporte des indications importantes sur l'air du temps.
Nous le citons avec toutes les réserves qu'inspirent les témoignages oraux.
Herwig Lerouge arrive à l'Université de Louvain en 1964,
pour entreprendre une licence en langues germaniques(220).
En 1965, il découvre les débuts du syndicalisme étudiant, par l'intermédiaire du
VVSment influencé par le syndicalisme étudiant français. Le VVS abordait alors
des questions telles que le rôle de l'université au sein de la société, la
démocratisation de l'université... Pour Herwig Lerouge, issu d'un milieu ouvrier
CSC, les revendications nationalistes ne l'intéressaient pas du tout mais il
n'existait alors en Flandre aucune organisation qui allait véritablement à
contre-courant du climat général dans lequel évoluait la jeunesse flamande.
Les rares courants progressistes qui existaient à Louvain n'avaient pas
réellement d'influence : le VVS, complètement opposé au nationalisme, s'est
rapidement détaché du mouvement étudiant. Il existait d'autres rassemblements
comme De Brug, mais ces organisations étaient très repliées sur
elles-mêmes(221). De Brug tentait une
synthèse entre les idées marxistes et le catholicisme progressiste. Certains
membres d'AMADA connus en sont issus, comme Arnould Van Reussel
(222).
C'est dans ce contexte d'une gauche peu organisée qu'Herwig
Lerouge rencontre Ludo Martens en mai-juin 1966. Celui-ci lui propose d'emblée
de travailler au sein du journal du KVHV, le Ons Leven, de manière à
peser sur l'orientation générale du mouvement, de concert avec Paul Goossens
et Walter De Bock (223). Si l'on désire
radicaliser le mouvement nationaliste et y faire souffler le vent
progressiste, il ne faut pas s'en couper mais le « noyauter ».
Jusque là, le KVHV, à la composition très éclectique,
dirigeait le mouvement de Louvain.
Le Conseil d'Administration composé d'anciens étudiants
nationalistes flamands dirigeait l'organisation. Le Verbondswacht
(224) rassemblait l'extrême droite et la rédaction du journal Ons Leven
rassemblait le pôle progressiste. Selon Herwig Lerouge, cette expérience de
travail au sein d'un journal sera déterminante pour le reste de l'évolution du
mouvement. L'expérience du Ons Leven a montré que c'est autour d'un
journal que le climat politique peut être modifié et qu'une organisation peut
être construite (225). Car dans les faits, «
ceux qui avaient le journal en main dirigeaient l'organisation »
(226). On peut imaginer les tensions qui surgirent avec la direction.
Jusqu'en octobre 1966, la rédaction de Ons Leven est
d'ailleurs dirigée par Carl Bevernage (dirigeant du KVHV) et Ludo Martens.
Herwig Lerouge occupe quant à lui le poste de secrétaire de rédaction
(227).
Le 28 octobre 1966, Ludo Martens est seul rédacteur en chef
(228). Fin novembre, Cari Bevernage ne fait plus partie de la rédaction de
Ons Leven (229). C'est René Depreter qui
devient responsable du KVHV.
Les jeunes progressistes doivent ainsi louvoyer au sein d'une organisation aux
vues diverses.
Herwig Lerouge l'exprime comme suit : « Par le fait que
l'on ne s'est pas opposé de front à 'Louvain flamand', les autres organisations
avaient du mal à nous juger. » (230)
Néanmoins, les tensions sont inévitables. Ainsi le
trésorier du KVHV est par ailleurs membre du Verbondswacht. Le
financement du journal dépendait dès lors de son contenu. Les étudiants
progressistes étaient forcés à la plus grande prudence.
Malgré cela, ils possédaient, en le journal Ons Leven,
publié à plus ou moins 4000 exemplaires, un outil important d'agitation et de
propagande politique qui a permis à la nouvelle gauche, tout en relayant
certaines revendications nationalistes, d'ébaucher une critique de l'ordre
capitaliste. Nous avons vu que la contestation étudiante était animée par un sentiment anti-autoritaire et anticlérical qui a amené les étudiants à prendre parti dans le contexte socio-économique de l'époque.
Nous avons vu que les
revendications du Document du 19 mai 1966 attestaient le tournant pris
par le mouvement flamand. Pour Herwig Lerouge le
Document du 19 mai 1966 est justement révélateur de la direction
anticapitaliste du mouvement dissimulée sous les conceptions nationalistes.(231) Les nationalistes
craignaient le phénomène tâche d'huile, alimenté par les francophones liés au
capital bruxellois francophone. Pour les jeunes
progressistes, il s'agissait de montrer que les néerlandophones n'étaient pas
seuls victimes de ce capitalisme. Dans ce cadre, la revendication de la division
de l'université était avancée pour la création d'une université pour le peuple
flamand en Flandre, et d'une université pour le peuple wallon en Wallonie. Herwig Lerouge révèle
d'ailleurs
que des contacts avaient été pris avec les Fédéralistes Wallons et notamment
Jacques Yerna.(232) D'autres rapprochements ont
été opérés notamment avec le mouvement étudiant francophone de l'ULB, comme le
confirme Jean-Louis Roefs, membre des Etudiants Socialistes de l'ULB, qui a
rencontré Paul Goossens et Walter De Bock.(233) Au lendemain des
révoltes de janvier 1966, les revendications nationalistes sont prépondérantes.
Mais un certain nombre d'étudiants ont profité des vacances pour rester à
Louvain et préparer les actions futures. Suivons leur évolution à travers la
presse étudiante, le journal Ons Leven, organe du KVHV. En septembre 1966, est
lancée la « Marche Meredith » et son journal spécial du même nom ; y sont
abordés des thèmes comme l'université démocratique et pluraliste, la lutte
contre le racisme, contre l'impérialisme.(234) Dans un article du 30
septembre 1966, Ludo Martens écrit : « La révolte de mai a été un choc qui a
entamé les mentalités et qui a libéré la force des masses. » Mais pour lui,
« une lutte nationaliste ne peut apporter de solutions. Seule une approche
socio-économique peut apporter une solution ».(236) Dans son numéro suivant
le journal Ons Leven titre en page 3, « Arbeiders en studenten een
nieuwe oktober révolutie ».(237) La radicalisation
commence à se manifester, même si les revendications restent intimement liées à
la lutte pour la démocratisation de l'enseignement comme le rappelle Walter De
Bock dans un article du 21 octobre 1966: « La démocratisation au sein de
l'université n'est absolument pas réalisée ».(238) En effet, aborder le
thème de la démocratisation implique obligatoirement rapproche sociale du
problème. Le «peuple ouvrier » n'a pas accès à l'Université, dès lors
celle-ci n'est pas démocratique. Réclamer la scission de l'Université Catholique
de Louvain, c'est avancer dans la lutte pour la démocratisation. L'université
est sous le contrôle du capital financier bruxellois francophone(239).
Cela signifie que flamands et francophones doivent unir leurs forces pour
affaiblir cette domination. Pour achever ce rapide
aperçu de l'évolution des revendications étudiantes, citons l'interview accordée
par Jan Debrouwere, directeur politique du Rode Vaan(240),
à Ludo Martens dans le Ons Leven du 7 octobre 1966(241).
L'interview est titrée Les communistes et aborde le thème du socialisme,
de la démocratie socialiste, des soviets... Ceci montre l'intérêt que très tôt
les étudiants de la Nouvelle Gauche portaient aux idées communistes. Comme le souligne Herwig
Lerouge, "c'était l'air du temps. Le fait de mettre en première page du 'Ons
Leven ' des noirs n 'a pas été très choquant'(242).
Martin Luther King était un personnage reconnu au sein du mouvement étudiant »
. Les Américains n'étaient pas aimés, la guerre du Vietnam faisait rage, des
chanteurs comme Bob Dylan avait une grande influence sur la jeunesse, autant
d'éléments qui ont facilité le développement d'idées progressistes.
2) La création d'un
mouvement étudiant progressiste - mars 1967 le « Studenten Vakbeweging
»
- Table des matières Le travail d'agitation
et de propagande accompli par le journal Ons Leven a porté ses premiers
fruits. Fort du succès de la
marche Meredith, un souffle critique parcourt le KVHV. Pour une grande partie
des militants, il fallait créer un mouvement étudiant progressiste « résolu à
combattre la dictature d'une élite et à prendre parti pour le peuple pauvre »(243). Ludo Martens reste
rédacteur en chef du journal Ons leven jusqu'au numéro du 21 février 1967(244),
date à laquelle Paul Goossens lui succède(245). Le Studenten
Vakbeweging est créé en mars 1967. Selon ses fondateurs, la nouvelle
organisation comprenait 150 militants activistes et tirait 500 exemplaires de
son journal 13 Mei (du nom de la première révolte de Louvain en mai 1966)(246). En créant le SVB,
résultat d'un travail « lent, discret, patient, un travail de radicalisation
(...). le principe étant de susciter un débat généralisé et animé »(247)
les étudiants progressistes se libèrent du joug du KVHV jugé trop conservateur. La création du SVB
matérialise les aspirations des étudiants progressistes : « Nous avons
élabore une théorie sur la société, partant de notre propre situation. Cette
université n 'est pas démocratique : 10% des étudiants viennent de familles
ouvrières. L'université est l'expression d'un pays, le pays n'est pas
démocratique. Le système capitaliste qui érige la caste dominante au faîte du
pays divise la population en deux classes fondamentales. (...) Nous voulons un
système socio-démocrate. Le capitaliste ne se laissera pas faire facilement
(...) il y aura donc une lutte inévitable (...) Qui veut travailler à ériger
une société réellement démocratique doit venir au Studenten Vakbeweging »(248). Début 1967, les
étudiants progressistes ont dégagé de leur expérience une analyse générale,
« une conscience nationale, anti-trust, démocratique »(249). Il s'agit maintenant
de lui donner forme et diffusion et d'élaborer une philosophie politique. C'est à partir de 1967
que les étudiants progressistes vont s'initier studieusement au marxisme. B. La rencontre et l'adhésion au marxisme - Table des matières 1) Découverte du marxisme - Table des matières Lorsqu'éclate la
seconde révolte de Louvain(250), au côté du
traditionnel Walen Buiten, sont proférés les slogans « Bourgeois
Dehors, détruisez la Société Générale » parallèlement à « une
université wallonne pour un peuple wallon »(251). L'agitation atteint
une effervescence jamais vue. Trois semaines d'action forcent le gouvernement
Vanden Boeynants à la démission. Le mouvement a tiré sa
force de la préparation et de la planification préalables des objectifs. Tout
au long de l'année 1967, le journal Ons leven et puis le SVB ont
entretenu et affermi le mouvement. Les étudiants ont également étendu leur
action aux autres universités et écoles. En 1968, l'Université de Gand et
quarante cinq écoles défilaient notamment sous le slogan « Allez aux usines
»(252). L'expérience sociale de
ces trois semaines de luttes a considérablement influencé leur évolution
future vers le marxisme. Le contexte
international va précipiter le progrès de la contestation de «
l'ordre bourgeois » : les étudiants se révoltent en France, en
Allemagne, en Italie, au Mexique, au Japon, aux Etats-Unis... Les pays d'Amérique
Latine sont agités par des mouvements de guérillas, Ernesto Che
Guevara est assassiné en Bolivie en 1967. La Révolution Culturelle agit la
Chine et la guerre du Viet-Nâm déroule ses horreurs quotidiennes. Ces thèmes
sont régulièrement évoqués dans Ons leven et dans le 13 Mei(253). Des contacts sont
noués avec des étudiants étrangers. Ainsi en 1967, une délégation de membres
du SVB se rend au rassemblement international des étudiants à Berlin sur
invitation des étudiants berlinois(254). Selon la plupart des
témoignages, c'est au cours de ce rassemblement que les membres du SVB ont
perfectionné leur connaissance du Tiers-Monde et s'initient au marxisme. C'est
d'ailleurs sur le conseil des étudiants berlinois que le SVB s'intéresse à
L'Etat et la révolution(255) de
Lénine. De retour à Louvain,
c'est en compagnie des étudiants latinos du Cercle des étudiants étrangers
que le SVB s'est initié à la pensée maoïste(256). Il faut également
signaler l'importance du rôle joué par Ludo Martens dans la genèse du
mouvement. La plupart des témoins le considèrent comme le véritable idéologue
de l'organisation. Selon Jacques Boutemy
et Michel Graindorge, membres d'organisations maoïstes à l'ULB, à la fin des
années soixante, qui ont suivi avec attention les travaux du SVB, c'est Ludo
Martens qui a propagé le marxisme au sein du SVB(257). De 1966 à 1967, les
cinq figures dominantes du mouvement se sont illustrées par le nombre
d'articles, signés dans le journal Ons Leven. Ludo Martens, seize
articles, Herwig Lerouge, six, Walter De Bock, six, Carl Bevernage, sept, Paul
Goossens, trois. Le 30 octobre 1967
paraît le premier numéro de 13 Mei, organe du SVB, et propagateur des
idées marxistes(258). Malgré sa collaboration
avec le KVHV, le SVB trouve là un moyen de s'exprimer en toute liberté et de
propager ses conceptions marxistes. Schéma comparatif
du nombre d'articles écrits dans Ons Leven entre 1966 et 1967
2) Ervaringen uit twee jaar strijd in Leuven (259) - Table des matières Cette première
approche du marxisme aboutira à la rédaction durant l'été 1968 d'un document,
bilan de l'expérience de deux années de lutte à Louvain(260).
Le SVB y fait l'état de l'évolution du mouvement étudiant. Il s'agit de sa
première analyse marxiste. Ce document constitue
le préambule du futur AMADA. A la lumière des
événements de 1966 et 1968, les militants du SVB arrêtent les leçons tirées de
leurs expériences. a) Le mouvement étudiant de Louvain est une expression de la lutte de classes. - Table des matières Le mouvement étudiant
de Louvain, ce que Christian Laporte appelle L 'Affaire de Louvain(261),
est caractérisé par son fondement nationaliste. De 1966 à 1968, la nature du
mouvement se modifie profondément. La création du SVB et son influence
grandissante, attestent du succès des idées progressistes auprès d'une partie
des étudiants. Analyser L'Affaire
de Louvain sous l'angle de la lutte des classes, apporte une toute autre
perspective que l'analyse traditionnelle proposée par Laporte. Pour le SVB, les
conflits qui ont secoué Louvain sont de véritables conflits de classe(262). Les conflits de
Louvain, et particulièrement celui de 1966, ont mis en évidence des conflits
idéologiques au sein du mouvement étudiant sur des questions comme la
démocratie, les travailleurs,... Devant ces conflits, les étudiants ont été
poussés à prendre position et surtout à approfondir l'analyse qu'ils faisaient
des événements. La nature même du mouvement était influencée par le fait que les militants du SVB voulaient « prendre part aux conflits sociaux », parce qu'ils voulaient « défendre les intérêts des masses populaires », et surtout parce que leur grille d'analyse des événements était basée sur une approche « socio-économique»(263). Pour ces trois raisons l'affaire de Louvain était « une expression de la lutte de classe »(264) Pour
le SVB, ces deux années de
lutte les ont menés « d'un conflit théorique à l'investissement dans la
lutte de classe »(265). S'investir
dans la lutte de classe suppose une prise de position radicale en faveur de la
classe ouvrière. Pour le SVB, la classe
ouvrière est la classe la plus révolutionnaire, par la place qu'elle occupe
dans le mode de production. La classe ouvrière ne possède pas les moyens de
production et n'a que sa force de travail à vendre. Elle est exploitée et
subit les crises économiques. Sa force réside dans le nombre, l'unité et
l'organisation. La classe ouvrière est la plus révolutionnaire. Mais il faut
lui donner conscience de sa force et de sa légitimité(266). Cela amène le SVB à
dire : « Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement
révolutionnaire..(...) Une théorie révolutionnaire est la deuxième condition
de l'action révolutionnaire »(267). La première est
l'existence d'une organisation révolutionnaire. Ce qui pousse le SVB à
s'interroger sur la nature du mouvement étudiant : un mouvement qui « prône
le dialogue » ou un mouvement qui « s'appuie sur les masses »(268). Le SVB matérialise
l'apparition, après les événements de 1966, d'une nouvelle sorte de leaders
étudiants(269) pour qui « une
pratique sociale progressiste est le préalable à une théorie juste
(270) Nous retrouvons ici le conception selon laquelle la
pratique détermine la théorie et réciproquement. Son application conduira aux
choix politiques du SVB et leur formalisation par AMADA. Ceci amène selon les
propres termes du SVB, « à une prise de position fondamentale entre le
syndicalisme étudiant et le mouvement étudiant traditionnel
(271) . Il s'agit de se dégager du
mouvement étudiant traditionnel car les organisations qui le constituent sont
« liées de près ou de loin à des groupes parlementaires ou
extra-parlementaires » ce qui coupe complètement les dirigeants étudiants
de leur base et du monde du travail. Pour le SVB, la nature d'un mouvement
étudiant est tout autre. Il s'agit de « ne jamais agir et penser à la place
des gens. »(272). Car avant toute
chose, « les masses doivent avoir fait leurs propres expériences » et
« si les masses ont connu des expériences concrètes, alors on doit aussi vite
que possible expliquer, analyser, aider à organiser »(273). La perspective du SVB
est donc de développer un véritable syndicalisme étudiant, combatif qui se
mette du côté des étudiants et par la suite des travailleurs. Développer une
organisation de ce type nécessite l'application de cinq principes:
Le SVB jette surtout
les bases de l'évolution future. « le mouvement syndical a joué un rôle
d'avant-garde (...) »(275). Mais
pour les fondateurs du SVB, l'action ne doit pas rester limitée à
l'université. Ils ont besoin d'un « groupe bien structuré, discipliné et
organisé »(276). Ils avancent donc
l'idée de constituer une organisation d'avant garde pour étendre leurs
actions. Ils le définissent en ces termes : « Nous devons consolider notre
engagement ; petit à petit nous devons former notre groupe militant (...) Cet
engagement doit être forgé dans la lutte idéologique permanente au sein de
notre groupe dans l"agit-prop(277)
permanente de notre groupe vers l'extérieur »(278). b) La société est divisée en deux classes antagonistes : prolétaires et capitalistes. - Table des matières De l'analyse des événements de Louvain et de la fréquentation studieuse des classiques du marxisme, les étudiants du SVB ont dégagé le concept de lutte de classe. La définition qu'en donne le SVB met en lumière l'influence marquante qu'a eu le marxisme sur l'organisation. Pour le SVB les partisans du capital sont (279)« ceux qui luttent pour le statu quo, qui profitent du système existant (... ». La base du pouvoir de cette « classe » est (280)« la propriété privée des moyens de production ». Le monde du travail est constitué quant à lui de (281)« ceux qui vendent leur force de travail aux patrons, qui ne contrôlent pas leur propre vie (...) ». Les capitalistes sont animés par des intérêts contradictoires les uns aux autres. Le marché international est dominé par le capital américain qui opère une concentration du capital entre un nombre restreint de capitalistes. Cette situation entraîne d'un côté (282)« le développement de monopoles puissants au détriment des petits concurrents ». D'autre part, la concentration du capital au main d'une minorité renforce son extension et le développement des investissements dans les pays étrangers. De cette manière les multinationales s'ouvrent de nouveaux marchés et acquièrent matières premières et main d'oeuvre à bas prix(283). A l'analyse de Marx, il faut joindre celle de Lénine : (284)L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, défini comme « le capitalisme arrivé à un stade de développement ou s'est affirmée la domination des monopoles et du capital financier ; où l'exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan ; où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s'est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes »(285). A côté du capitalisme international, le SVB définit le capitalisme national. Celui-ci est animé par la concurrence entre les groupes industriels et financiers. Chaque groupe a comme objectif le contrôle du marché national et international(286), au détriment des travailleurs nationaux. Pour illustrer son propos, le SVB invoque le nombre de 796 faillites intervenues en 1965 en Belgique. L'année suivante, celles-ci s'élèvent à 940(287). Enfin, les travailleurs ne possèdent pas les moyens de production. La classe ouvrière connaît (288)« de mauvaises conditions sociales », dépendant entièrement du bon vouloir du patron. Elle est la première victime des crises économiques. Par référence à Marx : « les ouvriers industriels mènent en premier la lutte contre le capitalisme international ; dans ce combat, les intellectuels et la petite bourgeoisie peuvent les aider »(289). Ceci suppose que la classe ouvrière est la classe la plus révolutionnaire par « leur concentration, les travailleurs forment une masse naturellement solidaire » (290) et «par leur travail quotidien dans les grands centres industriels, ils ont développé des formes d'organisation spécifiques » (291). A propos de la concentration des ouvriers dans les grands centres industriels, Marx constate: « cette union (l'union des travailleurs) est facilitée par l'accroissement des moyens de communication qui sont créés par une grande industrie et qui permettent aux ouvriers de localités différentes de prendre contact » (292). c) Le capitalisme est générateur de contradictions et de crises - Table des matières Par sa nature même, le capitalisme, basé sur la concurrence, est générateur de crises économiques et de conflits d'intérêts. Le SVB définit quatre contradictions principales : Premièrement, « la contradiction dans nos pays entre la classe capitaliste prédominante et la masse travailleuse du peuple, les travailleurs, intellectuels et petits indépendants (...) » (293) Du fait de la propriété privée des moyens de production, le travailleur n'a aucune emprise sur la production et sur la gestion de l'entreprise. Celle-ci est entièrement dépendante des fluctuations du marché et de la conjoncture économique. L'intérêt du capitaliste va vers le profit maximum, celui du travailleur vers un emploi stable. Cette contradiction est attisée en période de crise économique durant laquelle le travailleur est la première victime des nécessités du marché. Que propose le SVB : « propriété collective des moyens de production » (294) qui doit conduire à une conscience et une culture collectives inconciliables avec les valeurs de la société capitaliste. Deuxièmement, « la contradiction au sein même de la classe dominante : les grands monopoles des différents pays se dressent l'un contre l'autre. » (295) C'est la concurrence toujours plus exacerbée entre les grands monopoles financiers et industriels. Troisièmement, « la contradiction entre les pays capitalistes hautement développés et les bourgeoisies nationales dans le Tiers-Monde, qui se sont retournées contre les intérêts de leur peuple. » (296) Le SVB dénonce ici l'impérialisme, principalement celui des Etats-Unis. C'est un passage intéressant car il révèle les différentes références idéologiques du jeune mouvement communiste naissant. Le SVB apporte son soutien à la révolution congolaise de Mulele, à Che Guevara, aux guérillas de Colombie, Bolivie, Venezuela, Pérou ; à Cuba, à la Corée du Nord et à la Chine mais également aux mouvements Tiers-mondistes en général.. Il cite aussi Ben Barka(297)
: « Nous trouvons que la lutte contre l'impérialisme est une : au Vietnam,
Congo et Saint-Domingue, nous trouvons les mêmes formes d'agression, le même
impérialisme nord-américain(...) »(298)
. La stratégie du
Tiers-Monde doit s'inspirer du guide nord coréen. Kim Il Sung(299)
:
« Les peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique du Sud ont des intérêts
communs et leur lutte contre l'impérialisme est unie par leur soutien
réciproque. Si l'Afrique et l'Amérique du Sud ne sont pas libres, l'Asie ne
peut pas l'être. Et lorsque les impérialistes des Etats-Unis seront chassés
d'Asie, la lutte de libération des peuples d'Afrique et d'Amérique Latine sera
avantagée »(300). Cette référence
directe à des principes anti-impérialistes est à remettre dans le contexte de
la fin des années soixante. Nous avons vu que l'opposition à la guerre du
Vietnam était vive parmi la jeunesse. Il existe par exemple des Comités
Vietnam à Louvain. N'oublions pas non plus que Che Guevara a appelé à la constitution de un, deux, plusieurs Vietnam. La lutte anti-impérialiste est partout très vivante, de Berkley aux Etats-Unis à Berlin, en passant par Paris, Bruxelles et Louvain(301). Enfin, quatrièmement, « la contradiction entre le capitalisme avec son profit et le socialisme qui veut construire une société avec les intérêts populaires comme critère. »(302). C'est sans doute une
des contradictions fondamentales. S'appuyant sur l'expérience de la révolution
cubaine, le SVB montre que les peuples du monde, victimes des contradictions
du capitalisme, s'orientent naturellement vers le socialisme. Il y a alors
deux systèmes aux intérêts différents qui s'affrontent. D'un côté le
socialisme, c'est-à-dire la collectivisation des moyens de production et une
économie au service des intérêts de la population. De l'autre, le capitalisme
ou propriété privée des moyens de production, concurrence acharnée et course
au profit au détriment de la majorité. La voie socialiste
menace les pays capitalistes dont l'obsession est la destruction des pays se
réclamant de la démocratie sociale. d) Le capitalisme est générateur d'une fascisation du régime (303) - Table des matières Le développement des contradictions et des crises a comme conséquence le développement d'un mouvement de contestation qui remet en question les structures même du capitalisme. En réponse à cette question, le régime répond par une fascisation. Cette fascisation provient (304). Cette fascisation est rendu possible par le fait que (305). Cette analyse amène à la remise en question du principe même de la démocratie «formelle » qui selon le SVB « est la façade extérieure qui cache la puissance du capitalisme monopolistique. La démocratie est l'arme camouflée du capitalisme » (306) Selon le SVB, les classes dirigeantes répondent aux contestations sociales par un « endoctrinement des masses » (307) tourné contre le danger communiste en prônant le développement d'un homme nouveau, individualiste, « l'Übermensch ». Pour détourner la colère populaire, les classes dirigeantes développent le sentiment nationaliste. Cet endoctrinement s'opère par la presse, la télévision, la littérature. L'enseignement est également un vecteur privilégié. Par exemple le SVB définit l'Université comme le lieu d'un « enseignement élitiste au service d'une classe dominante (...) les contradictions de classes au sein de la société se retrouvant au sein de la communauté étudiante » (308). La fascisation s'exprime également par des mesures coercitives : mesures anti-grèves, lois sécuritaires...(309). Le libéralisme fait le lit du fascisme qui se nourrit du désespoir et désigne des boucs émissaires. Le SVB voit cette fascisation tournée contre le mouvement ouvrier et communiste principalement. Il serait aisé de les traiter de paranoïaque si l'on ne connaissait pas la position de certains hommes politiques belges. A titre d'exemple, Paul-Henri Spaak, alors Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères, déclare en septembre 1949 à une assemblée de l'ONU, au palais Chaillot à Paris, et ce devant les délégués soviétiques ce que l'on a appelé le discours de la peur : « Savez-vous quelle est la base de notre politique ? C'est la peur. La peur de vous, de votre gouvernement, tapeur de votre politique » (310). Il résume ainsi parfaitement la politique de toutes les puissances occidentales durant la guerre froide. Une politique centrée sur la lutte contre le communisme. Le SVB, au terme de deux années de lutte à Louvain, s'est réapproprié le marxisme mâtiné de maoïsme. Le SVB a décidé de se mettre résolument du côté des masses. Cela signifie soutenir et s'engager dans les conflits sociaux en choisissant résolument le camp des travailleurs. Les conclusions des actions de 1966 et 1968 sont révélatrices:
Le document Ervaringen uit twee jaar strijd in Leuven révèle la direction idéologique prise par le SVB et son caractère profondément ouvrier. A partir de 1968, le SVB recherchera le contact avec la classe ouvrière qui aboutira à sa contribution fameuse aux grèves des mines du Limbourg en 1970. 3) « Que faire » ? (312) - Table des matières Ce bilan de deux années de luttes, annonce un nouveau débat. « Que faire » ? Que faire de la théorie marxiste qui leur montre la voie? La question s'impose d'autant que la plupart des militants du SVB arrivent au terme de leurs études. Le mouvement étudiant n'était plus à leur mesure. Us brûlent de mettre en pratique la récente révélation de la nécessité de se frotter à la classe ouvrière. Mais comment s'organiser, quelle organisation créer, quelles revendications défendre ? Les archives personnelles de Warre Claes sont révélatrices de ces préoccupations. On y trouve les textes et les notes d'une semaine d'étude du livre de Lénine Que faire ? au mois d'août 1968 (313). Les sujets abordés sont multiples : Mao Zedong, über literatur und kunst ; un texte de Louis Althusser sur la formation théorique et la pratique sociale, des textes tirés de Que faire ?... C'est donc dans l'étude de la théorie marxiste-léniniste qu'ils vont formuler les réponses à leurs questions. Les points principaux retirés de l'étude de Que faire ? ont été systématisés en août 1968 au sein d'un document : Overzicht van de belangrijkste punten uit Que faire ? (314) (aperçu des points principaux de Que faire ?). Divisé en quatre parties, ce document traite de 'la liberté de critique', de la manière dont doivent travailler des révolutionnaires au sein des masses, de la spontanéité des masses et de l'organisation. Cette approche permet d'avoir une vision claire des différentes tendances au sein du mouvement ouvrier. Sur base de l'analyse de l'état de la sociale-démocratie (315) en 1902, Lénine tire des conclusions idéologiques et organisationnelles en vue de créer un parti révolutionnaire. Que faire ? a pris une importance toute particulière lors du développement de AMADA. C'est pour cette raison qu'il est nécessaire d'aborder les conclusions qu'en a tiré le SVB, d'autant que ces conclusions influenceront l'évolution future du SVB, notamment lors de la grève des mines du Limbourg en 1970. a) Dogmatisme et 'liberté de critique' - Table des matières Dans ce chapitre, Lénine aborde le développement, au sein de la sociale-démocratie, du socialisme réformiste, représenté par Bernstein (316), et qui défend la 'liberté de critique' au sein de la sociale-démocratie. Par 'liberté de critique' on entend le droit de fraction, le pluralisme politique à l'exclusion de la libre discussion qui préside à la détermination de la stratégie politique. Pour Lénine, « le nouveau courant de critique au sein du socialisme n 'est rien d'autre qu'une nouvelle variante de l'opportunisme » (317) c'est-à-dire que selon les défenseurs de cette 'liberté de critique', « la social-démocratie doit se transformer de parti de révolution sociale en parti démocratique de réformes sociales » (318). C'est-à-dire que les défenseurs de cette ligne en viennent à repousser « catégoriquement l'idée de la dictature du prolétariat » et « la théorie de la lutte de classe » (319). C'est un aspect important, puisque les héritiers de ce courant sont actuellement les partis socialistes européens. La critique de ce courant de défense de la 'liberté de critique met en avant deux aspects importants du fonctionnement d'un parti communiste : l'unité du Parti qui prime sur toutes autres considérations, et la discipline du Parti qui prône la défense de cette unité. Pour les étudiants s'initiant aux théories marxistes-léninistes, il s'agissait avant tout de se positionner par rapport à la ligne « réformiste » du Parti Communiste Belge et opter pour une ligne « révolutionnaire ».
b) La spontanéité des masses et
l'esprit de conscience de la sociale-démocratie La conscience socialiste est indispensable à un révolutionnaire. Cette conscience ne peut venir que d'une connaissance sociale approfondie, d'une conscience de classe. L'économisme, c'est-à-dire l'adhésion aux seules revendications des intérêts immédiats des travailleurs ne peut pas développer cette conscience révolutionnaire. Il faut donc développer l'agitation et la propagande par des révolutionnaires organisés dans un organe central, car le « mouvement de masses impose de nouvelles tâches politiques, théoriques et organisationnelles » (Lénine). (321)
c)
Politique trade-unioniste et politique sociale-démocrate Cette partie de Que faire ? aborde la question de la manière dont la sociale-démocratie doit travailler au sein de la classe ouvrière. Plus particulièrement sur les revendications et le type de luttes que la sociale-démocratie doit mener pour conscientiser et organiser la classe ouvrière. Pour les étudiants du SVB, il s'agit d'un débat de premier plan. Nous avons vu que très tôt, le SVB souligne la nécessité de s'unir à la classe ouvrière. Mais comment ? Lénine leur apporte une partie de réponse. Lénine définit au sein du mouvement ouvrier deux lignes de pensée et d'action : la lutte politique et la lutte économique. (323) De quoi s'agit-il ? Les économistes développent l'idée que la lutte politique ne se développe que sur base des seules revendications économiques (324), ce que Lénine définit comme lutte syndicale ou trade-unionisme (325). Il s'agit pour les révolutionnaires de politiser les luttes économiques, c'est-à-dire, mener la lutte sur le terrain politique en vue d'obtenir des réformes économiques (326). A l'inverse, « la sociale-démocratie a toujours compris et comprend dans son activité la lutte pour les réformes. Mais elle use de l'agitation 'économique ' non seulement pour exiger du gouvernement des mesures de toutes sortes, mais aussi (et surtout) pour exiger de lui qu 'il cesse d'être autocratique » (327). Ce qui signifie que la sociale-démocratie « subordonne la lutte pour les réformes, comme la partie au tout, à la lutte révolutionnaire pour la liberté et le socialisme » (328) Le développement des
idées marxistes-léninistes au sein de l'université semble inquiéter les
autorités académiques qui refusent l'inscription de Ludo Martens pour l'année
académique 1968-1969. Les autorités lui reprochent son agitation. Dans un
lettre ouverte du 25 novembre 1968, Ludo Martens leur répond : «D'où
viennent nos idées ? Comment nos idées ont-elle changé ? Nos convictions ne
viennent pas des bouquins ou de Prague. Elles sont issues de notre pratique,
de notre action parmi les étudiants du temps de l'action Leuven Vlaams. La
pratique et la lutte changent l'homme. (...) Nous pensons que l'université
doit être au service des travailleurs et que les étudiants doivent donc
recevoir leur formation en contact et au service de la classe ouvrière »(329). Il n'y a pas que les
autorités académiques qui craignent la « contagion » marxiste. Ainsi, pour Europe
Magazine, « trois agitateurs menèrent la danse, représentant toute la gamme
de la subversion marxiste : (...) Paul Goossens pour le SVB et Ludo Martens
pour tout ce que l'extrême gauche compte de paranoïque. Cet agitateur
(Paul Goossens), (...) fournit un lumineux exemple des techniques de
travail communistes. Disposant d'une cinquantaine de collaborateurs bien
formés, au sein du SVB, il fit la loi à l'université catholique au moment de
la crise. Les meilleurs de ses hommes reçurent une formation à Prague
»(sic)(330). A la lumière des
principes glanés chez Marx et Lénine, les étudiants allaient se mettre à
l'épreuve du monde réel. Chapitre III : La transformation de la conception du monde : premiers contacts avec la classe ouvrière - Table des matières Nous avons déjà vu que
le SVB prônait un lien étroit entre la pratique sociale et la conscientisation
politique. L'émergence d'une pensée révolutionnaire implique également une
transformation radicale de sa manière d'agir et de penser. Les rares documents
théoriques de cette époque montrent très bien le tournant résolument marxiste
pris par le SVB. Ils montrent également le rôle moteur qu'a eu Ludo Martens
sur la radicalisation du mouvement. Enfin ils montrent l'évolution interne que
connaît le SVB qui, armé de cette théorie marxiste, se cherche un mode
d'action. La transformation
de la vision du monde ne peut se faire qu'armée d'une théorie
révolutionnaire appliquée à un vécu social et donc enrichie d'expériences. Le
SVB va s'atteler à cette transformation pour se préparer au contact du monde
ouvrier. C'est sur base de leur
expérience sociale au sein du mouvement étudiant qu'ils vont dégager des axes
fondamentaux de leur "transformation". L'état d'esprit des
militants du SVB et les consignes dont ils s'inspirent à l'issue de leur saga
universitaire, sont assez bien résumés par Ludo Martens Un texte de Ludo
Martens, d'octobre 1968(331), montre non
seulement la vitalité des idées marxistes mais surtout les conflits
idéologiques que celles-ci soulèvent au sein du mouvement étudiant. C'est
aussi un témoignage du mode de travail du SVB. Ce texte part des
critique formulées par le monde étudiant et par les membres actifs du SVB ou
du mouvement étudiant en général, il y est dit : « Nous (SVB)
sommes pleins de méthodes erronées de présentation et d'explication,
d'attitudes et de méthodes de pensées erronées. Par la pratique, nous devons
totalement nous transformer nous-mêmes. Nous sommes formés de façon très
individualistes, totalement coupés des masses. Qui veut devenir
révolutionnaire doit exercer une critique acérée à l'égard de sa propre
manière de parler et de paraître, de son contact avec les gens et de sa propre
attitude »(332). Pour le SVB chaque
militant : «(...) peut essayer de rejoindre le chemin des ouvriers et du peuple
(...) » ou « il peut filer vers le brillant et rayonnant siège
parlementaire qui se dresse au-dessus du troupeau »(333). Les militants du SVB sont conscients qu'eux-mêmes subissent l'influence de conceptions héritées du milieu bourgeois dont ils sont issus et que ces conceptions doivent être modifiées.(334) Dans ce but, il est nécessaire de développer une « analyse approfondie de la société capitaliste (...) faites pour et aux côtés des travailleurs en lutte »(335) Au plan du perfectionnement des connaissances théoriques, en plus des grands classiques, Marx, Engels, Lénine et Mao Tsé-Tung, il est conseillé de s'intéresser au mouvement ouvrier belge.(336) La première expérience de pratique sociale est vécue en janvier - février 1968. L'université est alors en pleine révolte. Mille cinq cent étudiants se sont réunis dans l'Alma II. On y déclare notamment : « Selon les journaux bourgeois, notre lutte est tombée dans un tournant nationaliste et raciste (...) Nous partirons en masse vers les fabriques de Belgique pour que les ouvriers puissent connaître notre alliance, nos véritables intentions (...) ». Une centaine d'étudiants se sont alors rendus à Louvain, Limbourg et Liège afin d'y distribuer un tract intitulé « Amis travailleurs »(337). A Liège ils sont plus de 100 étudiants, le 1er février, à distribuer ce tracts(338). Le SVB va alors participer à deux grèves dans lesquelles il fera ses premières armes. A. Premières expériences ouvrières - Table des matières1) La grève de Ford-Genk - octobre-novembre 1968 - Table des matièresLe 21 octobre 1968, 700 ouvriers de Ford Genk partent en grève. Dès le premier jour, deux membres du SVB vont distribuer des tracts devant l'usine : « Nous, étudiants du SVB Leuven, venons vers les travailleurs de Ford pour leur apporter notre soutien. Mais aussi pour apprendre d'eux. Nous voulons ensemble, avec les travailleurs, apprendre à lutter. Nous voulons apprendre leur vie et leur lutte. Nous sommes des étudiants qui ne veulent pas être du côté du patron, mais du côté des travailleurs »(339). Tout au long du conflit qui dura cinq semaines, jusqu'au 22 novembre 1968, une dizaine d'étudiants seront présents chaque jour au piquet de grève(340). La presse fait d'ailleurs état de leur présence. Het Belang van Limburg informe que durant un meeting de 500 ouvriers, des tracts du SVB ont été distribués.(341) Quatre exigences sont avancées par les travailleurs : majoration des salaires, indemnisation du travail d'équipe, durée du travail, sécurité d'existence. En soutien aux travailleurs en lutte, un meeting et une manifestation de solidarité sont organisés le 24 octobre à Louvain par l'Aktie Komitee(342). Un Groupe de Travail Ford a été mis sur pied à Louvain(343). Le samedi 2 novembre, une manifestation a lieu à Hasselt. Une forte délégation étudiante est présente. On peut d'ailleurs lire dans la presse : (344); ou encore « les étudiants scandaient 'ouvriers-étudiants un front ' ou 'Ford-Genk solidarité ' » (345). Au bout de cinq semaines de grève, les syndicats et la direction finissent par s'entendre sur un compromis. Les syndicats appellent alors à la reprise du travail. Cet accord prévoyait entre autres, une augmentation salariale, une diminution du temps de travail. A contrecœur, les travailleurs finissent par accepter la transaction. A l'issue de la grève, le SVB publie, en brochure, un bilan de la grève et de l'action de ses militants ; c'est l'illustration des principes adoptés par le SVB : une étude concrète de la situation économique et sociale de l'entreprise, un aperçu historique de celle-ci, l'analyse des intérêts et forces politiques en présence (346).... On y voit poindre l'orientation future du mouvement. Sous le titre « de la faculté à l'usine » (347), le SVB explique les raisons de la nécessaire union entre travailleurs et étudiants. Dans leur lutte pour une université au service du peuple, les étudiants sont en proie à la répression des autorités académiques et de la gendarmerie (348). Les étudiants ont alors compris qu'il devaient se trouver un « allié puissant » :les travailleurs ... Durant la grève, des incidents ont éclaté avec la gendarmerie. Au cours d'un de ces incidents, le 13 novembre, trente et une personnes ont été arrêtées : neuf étudiants, dix-neuf ouvriers italiens et trois ouvriers néerlandophones. Les étudiants recherchaient, par leur action au sein de l'agitation sociale, à se rapprocher des travailleurs, à s'informer de leur vie concrète, de leurs conditions de travail. Pour appuyer leurs revendications, ils ont organisé des manifestations de solidarité à l'université, dans les écoles secondaires et dans la région de Genk. (350). Mais le SVB regrette la timidité de son engagement. Il suggère deux remèdes : premièrement, « de concert avec les travailleurs en lutte, mettre sur pied des meetings dans tous les villages des alentours », deuxièmement, « organiser des formes concrètes de solidarité dans les usines : interruption du travail, collecte de solidarité (...) » (351). Nous voyons ici que le SVB improvise sa collaboration avec les ouvriers. Ses militants ne prennent aucune part à la direction politique de la grève, ils apportent seulement leur sympathie. Néanmoins, les étudiants du SVB se heurtent pour la première fois aux directions syndicales. Ce conflit fait l'objet d'un chapitre entier du bilan (352). Partant du principe que « les capitalistes ont absolument besoin des syndicats ou éventuellement d'autres groupes qui se prétendent les 'dirigeants ' de la classe ouvrière et qui, suivis par une grande partie des travailleurs, pourront canaliser leur lutte dans les limites définies par le capitalisme »(353). le SVB analyse l'attitude du syndicat durant toute la grève. Pour empêcher les travailleurs de remettre en question les fondements mêmes du système économique, le syndicat a essayé de canaliser la colère des travailleurs sous les mots d'ordre Le syndicat n'a pas résisté aux actions de la gendarmerie contre les piquets. Le SVB constate aussi que les dirigeants syndicaux excitent les préjugés racistes des ouvriers contre les ouvriers italiens, très combatifs(354). La présence des étudiants était mal tolérée par les dirigeants syndicaux...(On assistera d'ailleurs à la même méfiance syndicale à l'égard de la jeunesse parisienne en mai 1968). Une critique virulente est adressée aux dirigeants syndicaux qui ont réussi par leurs manœuvres « (...) à empêcher les travailleurs d'organiser une vraie lutte de façon autonome, de lancer leurs propres mots d'ordre, de proposer des formes de luttes plus efficaces. »(355)Les membres du SVB ont abordé cette grève en tant qu'étudiants. Leurs conceptions organisationnelles étaient peu claires. Très centrés encore sur les problèmes de l'université, ils ont vu cette grève renforcer leur certitude de la nécessité d'un enseignement au service du peuple et de la classe ouvrière(356). Cette grève a très certainement influencé leur conception qu'ils se faisaient du rôle des intellectuels au sein de la classe ouvrière, comme le souligne Kris Merckx dans une interview recueillie par Het Laatste Nieuws : « Une université populaire est une université au service du peuple avec des professeurs autonomes et où la question sociale a une place importante (...) Je trouve que les étudiants doivent, durant une partie de leur cursus, aller travailler parmi les ouvriers (...). Et plus tard, un fois docteur, il pourrait garder un contact régulier avec la pratique d'ailer travailler en usine, aux champs (...). »(357) Tirant les enseignements de leurs luttes au sein de l'université et parmi les travailleurs en grève, AMADA lancera au début des années septante une campagne de prol étarisation.2) La grève générale du textile à Gand en 1969(362) - Table des matières Début 1969, une autre occasion se présente pour les étudiants de s'impliquer dans une lutte ouvrière. Ici encore, on connaît leurs activités durant cette grève grâce à un bilan réalisé par le Groupe de Travail Textile à Gand(363). La grève éclate le 27 janvier 1969 et s'achève le 31 janvier 1969. Grève historique selon les étudiants car elle éclate, dans le secteur textile, après dix-huit ans de paix sociale. La grève a pour origine des désaccords entre patronat et syndicats sur l'élaboration d'un nouvel accord national sur le textile. Les syndicats réclamaient principalement une diminution du temps de travail et un augmentation du salaire minimal. Le patronat refuse ces revendications. Lorsque la grève éclate le 27 janvier, une trentaine d'étudiants de Gand se rendent à l'usine pour tenter de se lier aux ouvriers(364). Les objectifs et la manière de procéder sont similaires à ceux de la grève de Ford : distribution de tracts, actions de solidarité, enquêtes socio-économiques sur le secteur textile... Avec la particularité que la grève va s'étendre aux autres centres de production: Waarschoot, Sleidinge, Eeklo. Dans leur bilan, les étudiants reconnaissent avoir fait des erreurs dans leurs contacts avec les ouvriers. Mais contrairement à la grève de Ford, où ils avaient négligé l'organisation, il semble qu'ici ils aient mis en avant un premier modèle de contacts permanents entre ouvriers et étudiants. Ainsi, un des rôles des étudiants dans la grève doit être de nouer des contacts solides et durables avec les ouvriers de manière à constituer un groupe de travail, qui en cas de grève, peut organiser celle-ci(365). C'est déjà une tentative vers un premier modèle d'organisation. Nous verrons plus loin que ce type de groupe de travail sera mis en place, durant la grève des mines du Limbourg en 1970, sous forme de comité Mijnwerkersmacht. Une étude de la situation socio-économique du secteur textile en Belgique est proposée aux grévistes. Comme à Ford, les étudiants ont analysé les modes de fonctionnement, les conditions de travail au sein des entreprises. Cela a sans aucun doute permis d'améliorer les contacts avec les travailleurs. On voit ici l'application d'un des objectifs: la connaissance des problèmes quotidiens des masses. Il est intéressant de noter la présence prépondérante des étudiants de Grand, à côté des militant SVB-Leuven(366). On ne peut pas négliger dans la chronique des origines de AMADA, la participation des étudiants gantois. Même si la contestation à Louvain reste le principal facteur de la naissance de AMADA, le Gentse Maartbeweging (le Mouvement de Mars de Gand) a son importance. La population étudiante de Gand issue d'un milieu plus populaire que celle de Louvain ou de Bruxelles a suivi avec beaucoup d'intérêt les événements de mai 68 en France. Le mouvement de contestation éclate en mars 1969. Le détonateur est une conférence consacrée à la pornographie(367). Très vite le mouvement de Gand va prendre les mêmes orientations que celui de Louvain. Les slogans lancés lors de la manifestation antinucléaire du 9 mars 1969 sont révélateurs : Ce n 'est qu 'un début, continuons le combat ou encore Ouvriers étudiants un front(368). Le programme en cinq points pour une réforme de l'université est éloquent. Ils y dénoncent l'autoritarisme des professeurs, les cours ex-cathedra détachés de toute réalité sociale, la fonction répressive et sélective des examens, et l'orientation idéologique et sociale des universités (369)... Une des figures emblématiques du mouvement de Gand est Renaat Willockx. Dirigeant du SVB-Gand, il est actuellement cadre dirigeant du PTB. Son interview met en relief la similitude du courant progressiste à Gand et à Louvain avec la caractéristique, qu'en 1968, Ludo Martens, renvoyé de Louvain, vient s'installer à Gand, fort de son expérience des luttes étudiantes de Louvain et de la participation des étudiants à la grève de Ford-Genk. Les idées anticapitalistes développées à Louvain ont ainsi profondément influencé la démarche des étudiants de Gand, préparant les conditions d'une union avec les ouvriers, rendue possible au cours de la grève du textile de 1969 (370). L'explosion de 1969 précise l'orientation ouvriériste adoptée par le mouvement étudiant de Gand, à l'image de ce qui se passe à Louvain. Renvoyé de l'Université, Renate Willockx en compagnie de plus ou moins 50 étudiants va s'initier au marxisme durant les vacances de 1969, constituant ainsi le pendant gantois du SVB, le Gentse Studentenbeweging ou GSB dont le journal Beweging tire à 1500 exemplaires (371). Voilà donc les deux premières expériences ouvrières des étudiants, de première importance dans l'évolution du mouvement. Le thème de l'unité avec la classe ouvrière domine l'ensemble des activités du SVB. De l'avis même des dirigeants du mouvement, la question de s'allier à la classe ouvrière, de travailler parmi elle a régulièrement été débattue durant l'année 1968-1969. B. 1969 : la plate-forme des étudiants révolutionnaires : Dokument 1969 - Table des matières Ces deux luttes ouvrières de grande ampleur auxquelles les étudiants ont participé, ont mis en lumière le manque d'organisation concrète et l'absence d'objectifs clairs et précis. Cette défaillance compromet l'avenir du mouvement. Plus que jamais, il est nécessaire de systématiser les conceptions et références idéologiques. C'est dans cet objectif qu'est rédigé durant l'été 1969 le Dokument '69, le texte le plus important du SVB (372). Connu sous le nom de Leidraad doorheen de marxistische theorie, il tente une synthèse de Marx à Mao Tsé-Tung. Le mouvement reconnaissait être « sous influences des réalisations de la révolution chinoise » (373). « Nous avons étudié en profondeur et universellement la réalité concrète, nous avons appliqué la ligne de masse et récolté chaque idée des masses, nous avons dit la vérité dans les faits. Pour expliquer chaque fait, et pour développer une ligne concrète, nous avons pris comme guide les méthodes scientifiques et les positions politiques fondamentales de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Tse-Toeng » (374). Le Dokument '69 développe une synthèse des grandes expériences organisationnelles du mouvement révolutionnaire international et systématise les expériences de la Commune de Paris, de la Révolution Bolchevique et de la Révolution Culturelle chinoise. Le déclin de l'Union Soviétique est attribué au révisionnisme de Khrouchtchev. Selon le SVB, chaque grande étape du mouvement révolutionnaire international a enrichi l'ensemble du mouvement communiste. Ainsi de l'expérience de la Commune de Paris, ressort la nécessité d'un « parti prolétarien uni » qui rassemble les ouvriers les plus combatifs. La répression de la Commune de Paris a montré, selon le SVB, que « la dictature de la bourgeoisie ne peut être brisée que par la dictature du prolétariat », par la destruction de l'appareil d'état bourgeois et son remplacement par un nouvel appareil d'état dirigé par la classe ouvrière. (375) C'est l'apport idéologique de Lénine qui est souligné dans l'évocation de la révolution bolchevique. Ainsi, l'apport de Lénine est principalement : l'analyse des différents courants idéologiques et la lutte pour l'unité du Parti ; l'analyse économique du capitalisme mondial du début du XXe siècle dans Impérialisme, stade suprême du capitalisme et les expériences de la construction d'un parti révolutionnaire dans Que faire ? La construction du socialisme en Russie a également selon le SVB contredit la thèse fondamentale de Trotski, sur la révolution permanente, et mis en avant les capacité politique et idéologique de Staline, même si le SVB lui impute son manque de contact avec la base et son dirigisme économique.
Enfin, dans la dernière partie du document, le SVB fait
l'analyse de la révolution chinoise qui « suit la voie de la révolution
d'Octobre » (376). Le SVB salue la
Révolution Culturelle comme « la continuation de la révolution sous la
dictature du prolétariat ». Ses militants applaudissent au mouvement de milliers de jeunes
chinois contre les cadres du parti « coupés des masses et engagés sur la
voie du capitalisme comme en Russie. La Révolution Culturelle a développé
une ligne de masse imposant au cadre de garder le contact avec la classe
ouvrière en liant le travail intellectuel au travail manuel. Le SVB part de l'expérience de la Révolution Culturelle en Chine pour critiquer la ligne suivie par L'URSS sous Khrouchtchev. Selon le SVB, « une nouvelle classe s'est développée en Russie» formée par les intellectuels, les gens de l'appareil...Une nouvelle bourgeoisie se développe au sein de l'appareil d'état, reniant les principes de la lutte des classes et de la dictature du prolétariat. Pour le SVB, « le retour du capitalisme a été démontré en 1968 d'une manière dramatique. Les conflits d'intérêts entre les bourgeoisies russes et tchécoslovaques sont depuis longtemps brouillés. Le nationalisme bourgeois donne aux leaders tchécoslovaques une certaine base populaire. L'invasion de la Tchécoslovaquie par un demi million de soldats russes marque le retour définitif du capitalisme et de l'impérialisme en Russie » (378). On trouve ici l'origine de la position du futur AMADA sur la Russie. Pour AMADA, alignée sur les thèses de la Chine, l'URSS est devenue une puissance social-impérialiste et social-fasciste aussi dangereuse, si pas plus dangereuses que les Etats-Unis. Dans le premier journal de AMADA, on peut lire : « weg met het amerikaanse imperialisme en het russische sociaal-imperialisme » (379). Dans le courant de l'année 1969, le SVB a donc adopté la théorie marxiste-léniniste classique, et sur base de ces expériences ouvrières de 1968 et 1969, a arrêté certains principes d'actions au sein de la classe ouvrière. Le SVB est alors toujours principalement actif au sein de l'université mais à la recherche d'un prolongement dans le monde ouvrier. Le SVB se conduit comme une véritable organisation d'agitation révolutionnaire et d'obédience maoïste. Le SVB n'est pas la seule organisation belge à suivre cette voie. Du côté francophone, plus d'une quinzaine d'organisations sont issues des événements de 1968. Le SVB ne s'est pas développé de manière autonome. De nombreux contacts ont été régulièrement noués avec les étudiants francophones. Le SVB. Démontre ainsi son refus du nationalisme. Il nous faut maintenant, avec honnêteté intellectuelle et le souci de la rigueur historique, tenter d'expliquer le succès de AMADA et la disparition progressive du mouvement « maoïste » francophone. Chapitre IV : Le SVB et le mouvement de contestation en Belgique - Table des matières Le
Dokument 1969, a mis en évidence l'orientation résolument
marxiste-léniniste prise du SVB. Mais ce n'est pas la
seule organisation belge à avoir pris comme guide le marxisme-léninisme. Du côté francophone,
il existait une douzaine de groupes se réclamant de la même inspiration. Il
faut souligner la grande influence du Parti Communiste Belge parmi l'extrême
gauche. C'est en se
caractérisant par rapport à ces différentes formations que AMADA à pu se
renforcer idéologiquement et affiner ses positions politiques. Le Parti Communiste Belge, malgré la scission de 1963 entre pro-chinois et prosoviétiques, reste le principal représentant de la gauche « révolutionnaire » en Belgique. Pourtant les étudiants
du SVB ne se sont jamais ralliés à cette formation. De part leur analyse de
l'URSS et leur référence à la révolution chinoise, les étudiants du SVB se
sont rapidement démarqués du Parti Communiste Belge, totalement absent des
mouvements de contestations de Louvain. Leur critique se renforcera pendant la
grève des mines de 1970 au cours de laquelle le Parti Communiste sera qualifié
de « soi-disant communiste »(380),
tandis que le Parti Communiste dénonce la présence « d'étudiants
anti-syndicalistes » dans la grève(381). Le SVB trouvera
néanmoins des appuis auprès des autres organisations d'obédience maoïste.
Ainsi, le Groupe Clarté(382),
de Jacques Wattiez, est le premier à soutenir et à analyser les révoltes de
Louvain. Dans une brochure de février 1968, Les étudiants flamands de
Louvain ont raison de se révolter,
le Groupe Clarté approuve la lutte « nationale et démocratique»(383).
Les revendications sont issues «d'un sentiment national juste, d'une
opposition à l'oppression culturelle de la bourgeoisie unitaire francophone »(384). En plus de ce soutien,
tous les témoignages constatent la fréquence des liens noués entre étudiants
francophones et néerlandophones. Jacques Boutemy,
membre de la scission Grippa, se souvient notamment de réunions communes(385).
Enfin, Michel Graindorge, figure emblématique du mouvement maoïste à l'ULB(386),
affirme quant à lui que des délégations francophones ont été régulièrement
manifester à Louvain « en soutien aux revendications qui paraissaient
justes »(387). La plupart des
personnes interrogées et qui ont joué un rôle actif dans le développement d'un
courant progressiste francophone, sont entrés à l'Université aux alentours des
années 1959-1960. Ainsi Michel Graindorge rejoint les Etudiants Communistes Depuis la fin de la
guerre, le Parti Communiste accueille au sein des étudiants communistes, les
étudiants contestataires et progressistes. L'importance appréciable du parti
communiste, parmi les francophones, explique aussi le rapide développement
d'un courant pro-chinois, animé par Grippa, membre du comité central, qui fera
sécession en 1963. La tradition
communiste est implantée de longue date à l'ULB. Le mouvement de contestation
de 1968, qui secoue les universités européennes, aura pour conséquence la
multiplication des groupes « révolutionnaires ». Parmi ceux-ci les
maoïstes francophones se déliteront progressivement, tandis que le mouvement
étudiant de Louvain a donné naissance à un parti toujours vivant trente ans
plus tard. Quelle est la raison
de ces destins séparés ? Une première réponse
est apportée par Jacques Boutemy: «(...)
l'énorme foisonnement de groupes et de groupuscules qui (...) étaient
tellement divisés et opposés les uns aux autres qu 'il n 'y a pas du tout eu
de courant fédérateur et unificateur »(389). Aucun courant
unificateur n'a réussi à rassembler les différents groupes, qui en outre n'ont
cessé de se diviser. Ainsi, le PC(m-l)B(390)
de Jacques Grippa a connu une scission donnant naissance au PCB organe
Clarté et au PCB organe l'Exploité'(391).
L'organisation Union Université Usine, prônant l'unité entre étudiants et
ouvriers, s'est également divisée en deux organisations distinctes aux débuts
des années septante : Tout le Pouvoir aux travailleurs et Parole au Peuple(392).
Le groupe Tout le Pouvoir aux travailleurs va ensuite s'unir au groupuscule
Unité Rouge et donner naissance à l'Union des Communistes
(marxistes-léninistes) de Belgique (UCMLB) que nous retrouverons plus loin
dans ce mémoire. Donc comme le souligne
Jacques Boutemy, « il n 'y avait même pas deux sortes de communistes, mais
trois ou quatre, et alors les autres, c'était un véritable semis de tendances
»(393). Une deuxième
explication résiderait, selon Michel Graindorge et Jean-Louis Roefs, dans le
caractère des dirigeants étudiants de Louvain(394). Pour Boutemy, «
(...) ils ont eu la chance de s'unifier, ils ont eu la chance d'avoir un assez
bon leadership en la personne de Ludo Martens (...) »(395). Roefs incrimine un
troisième facteur : « un travail de la CIA et de la sûreté de l'Etat, de la
sûreté Belge (...) qui se sont appuyés sur les divergences des différents
groupes »(396). Même si cette
information est difficilement vérifiable, il ne faut pas la négliger. Manque d'unité,
divisons, provoquées ou non, opposition idéologique entre les différents
groupes, tout cela a évidemment joué dans l'affaiblissement des mouvements
francophones. Mais nous pouvons sans
crainte avancer que les raisons de cet affaiblissement sont principalement à
rechercher du côté de ce qui a fait la force du futur AMADA : l'étude du
marxisme-léninisme et l'unité avec la classe ouvrière. Des interviews
réalisées, il ressort que l'importance accordée à l'étude du
marxisme-léninisme était méconnue. Graindorge quitte le parti de Grippa «
(...) écœuré par le dogmatisme et la pensée unique » Sur la question de
s'unir avec la classe ouvrière, la démarche est timide. Ainsi Jacques Boutemy
« (...) était tout à fait hostile à ce courant »(398). Il serait faux de dire
qu'aucun mouvement francophone n'a eu de contact avec le monde ouvrier. Le groupe Union
Université Usine a notamment participé aux grèves de Citroën ou encore de
Michelin(399). Plus tard,l'UCMLB prendra part
à de nombreux conflits. Mais cette démarche
n'a certainement pas été aussi développée que du côté néerlandophone où l'on
voit, dès 1970, de nombreux intellectuels partir travailler en usine. Dans ce domaine,
Jean-Louis Roefs soulève une thèse intéressante. Les Etudiants Socialistes
dont il faisait partie, se sont démarqués du Parti Socialiste Belge. Le Parti
Socialiste connaissait alors un fort mouvement de critique interne, notamment
de la part de l'aile gauche de la FGTB. Pour Roefs, « (...) il était clair
que nous allions aller travailler au sein de la FGTB pour la radicaliser. Ce n
'était pas clair du côté néerlandophone qui a vu la création d'un mouvement
flou qui s'est radicalisé sur base de la critique de la CSC »(400),
syndicat alors dominant en Flandre. AMADA a pu dès lors s'appuyer sur la
tendance antisyndicale qui se cristallisait en-dehors des syndicats. Cette thèse semble
accréditée par le soutien que reçurent les étudiants du SVB durant la grève
des mines du Limbourg. Ils ont réussi à encadrer les reproches des mineurs à
rencontre de leur direction syndicale. C'est donc
l'élaboration d'une ligne d'action claire d'un point de vue idéologique et
organisationnel qui a sans aucun doute fait la force du futur AMADA. Du côté
francophone, les militants se sont assez rapidement éparpillés, préférant
engager des actions plus ponctuelles : Secours Rouge, centre médical Norman
Béthune pour Boutemy ; engagement de Michel Graindorge dans la profession
d'avocat. La dernière grande
organisation francophone active au cours de la première moitié des années
septante est l'UCMLB. Elle finira par disparaître à l'issue du conflit
idéologique qui l'opposera à AMADA entre 1972 et 1976. Nous y reviendrons plus
loin. Troisième partie - Alle Macht Aan de Arbeiders, Parti Communiste en construction 1970-1979 - Table des matières Chapitre I : La constitution de AMADA - Table des matières La création en
septembre 1969 du Gentse Studentenbeweging et dans la foulée de
différents groupes du mouvement Derde Wereld Beweging, apparentés au
SVB, viennent renforcer l'influence de ce dernier au sein du mouvement
étudiant. Des groupes tiers-mondistes apparaissent à Turnhout, Heverlee, Genk, Torhout,...(401). Soulignons que selon
Rudy Van Doorslaer, l'implantation régionale de ces différents groupes a joué
un rôle important dans le développement de AMADA(402). Fin 1969, le mouvement
est travaillé par des conflits de tendance internes, annonçant les prochains
débats sur la constitution de AMADA. Ce débat s'articule
autour de trois points principaux : le contact avec la classe ouvrière ; que
faire à la fin des études ; où travailler, continuer l'agitation à
l'université ou aller travailler en usine ? Les premières
expériences ouvrières du SVB, notamment à Ford Genk en 1968, montrent
l'orientation de sympathie de classe qu'a pris le mouvement. Mais l'action des
militants reste toujours extérieure et ponctuelle. Lorsqu' éclate la
grève des mines du Limbourg au début de 1970, les militants du SVB n'ont
encore que peu d'expérience. La grève des mines sera pourtant déterminante
dans la formation de AMADA car c'est sur la base de cette expérience que les
contradictions internes seront résolues en faveur de la création d'un
mouvement politique radical. Il ne s'agit pas de
retracer ici l'ensemble du déroulement de cette grève analysée déjà par Bert
De Bakker(403). Nous nous
intéresserons aux différents acteurs de cette grève, et principalement à
l'action des étudiants. Nous verrons comment
s'est constitué AMADA, à la lumière des documents auxquels Bert De Bakker
n'avait pas accès. 1. Mijnwerkersmacht - Table des matières A. La grève des mines du Limbourg - Table des matières La grève éclate le
lundi 5 janvier 1970 dans le puits de Winterslag. Elle survient au cours des
négociations de programmation sociale qui piétinent depuis juillet 1969(404). Elle vise à appuyer
les revendications de la Centrale des Francs-Mineurs, CSC, syndicat alors
dominant, à l'initiative de Gérard Sleghers de la Volksunie. La grève n'est
pourtant pas soutenue par les syndicats. Dès le premier jour du mouvement, une trentaine d'étudiants se rendent dans le Limbourg pour étendre la grève aux puits de Zolder, Beringen et Waterschei(405). D'après le témoignage
de Kris Hertogen, étudiant de Louvain et figure centrale de la grève, des
contacts avaient déjà été établis avec des mineurs de la Jeunesse Ouvrière
Chrétienne (JOC) fin 1969(406). Des tracts
avaient été distribués dans le courant du mois de décembre 1969. De plus,
certains étudiants travaillaient déjà dans les mines, ainsi Arnould Van
Reussel engagé en septembre 1969 ou Firmin Wiessel(407). L'action des étudiants
semble avoir exercé une certaine influence, puisque dès le 6 janvier, les
puits de Beringen, Waterschei et Zolder se joignent à la grève. Il ne faut pas
l'attribuer aux seuls étudiants, dont l'action est encore marginale. Le climat
social semble avoir été déterminant. Néanmoins, en raison
du refus des syndicats de reconnaître la grève, différents groupes de soutien
aux mineurs se créent, groupes qui relaieront progressivement les délégués
syndicaux, dirigeants naturels des mineurs. C'est ainsi que dès le
8 janvier 1970, se constituent le Comité Permanent de Grève du Bassin
Campinois, à dominance Volksunie et le groupe Mijnwerkersmacht, Force
des Mineurs, regroupant des étudiants du Studenten Vakbeweging (SVB),
du Gentse Studentenbeweging (GSB), du Derde Wereld Beweging (DWB)
et des mineurs(408). Le 14 janvier, les
mineurs de Eisden se joignent à la grève, qui est alors générale dans le
bassin houiller campinois. Au total, ce sont 21.000 mineurs qui se croisent
les bras(409). La grève a pris rapidement une tournure radicale. Ainsi, d'après Kris Hertogen, alors membre de Mijnwerkersmacht, responsable pour le puits de Zolder et porte-parole général du mouvement, tous les midis plusieurs milliers de mineurs se rassemblaient devant les portes pour entendre les étudiants les informer sur le déroulement de la grève. Kris Hertogen souligne également que des affrontements quotidiens opposaient gendarmerie et mineurs (410). Bert De Bakker souligne la gravité des affrontements : ainsi le 12 janvier, les mineurs de Waterschei se heurtèrent à la gendarmerie qui escortait les volontaires au travail. Le 23 janvier, des barricades sont érigées, des véhicules sont incendiés (411). La violence de la répression et l'épuisement des ressources encouragea la radicalisation du mouvement. La situation de plus en plus précaire des grévistes, conduisit les différentes organisations présentes à entamer des campagnes de solidarité. Le 15 janvier, suite à l'échec de leur tentative de démobilisation des mineurs, les syndicats demandent la réunion d'une Commission Nationale Mixte. Bert De Bakker lance l'hypothèse que des concessions secondaires auraient pu mettre fin à la grève (412), à l'instar de l'amendement de la Convention Collective du 17 janvier, accordant aux mineurs certains avantages en compensation des journées de grève (413). Le 16 janvier a lieu à Hasselt une manifestation de plus ou moins 2000 personnes parmi lesquelles un tiers d'étudiants et d'écoliers (414). Le 20 janvier, les mineurs de Charleroi et de Liège se joignent à la grève. Ils avaient d'ailleurs apporté leur soutien aux mineurs limbourgeois dès le 9 janvier (415). Le 7 février, une consultation par courrier fut organisée par les délégués syndicaux pour la reprise du travail. D'emblée, Mijnwerkersmacht s'oppose au référendum «parce que les mineurs sont contre les méthodes de consultation qui font d'une lutte collective et d'une discussion générale, une prise de position individuelle, parce que le dépouillement est fait par des syndicalistes qui ont déjà condamné la grève et qui n'ont plus la confiance des ouvriers, parce que ce vote n'apporte rien : il ne tient pas compte de nos revendications et ne peut aboutir que sur une deuxième condamnation de la grève générale des mineurs par les syndicats et les patrons» (416). Malgré l'opposition des différentes organisations grévistes et leur appel à continuer la grève, la reprise du travail fut décidée par 53% des mineurs. Le travail reprit progressivement le 9 février pour devenir général le 18 février (417). Les étudiants des universités de Louvain, de Gand et d'Anvers continuaient à organiser des actions et des meetings de solidarité, rassemblant parfois jusqu'à 2000 étudiants (418). Mais le 17 février, le Comité Permanent appela les mineurs à reprendre le travail (419).
Par sa durée, six semaines, par son ampleur,
21.000 grévistes, et son retentissement, le soutien des communistes allemands
et hollandais, la grève des mines du Limbourg de 1970 constitue certainement
un fait social majeur au début des années septante. La Belgique n'avait pas
connu de pareil mouvement depuis l'hiver 1960-1961. Si, du point de vue de la
politique nationale, la grève de 1970 n'a pas eu les conséquences de la grande
grève de 1960-1961, elle marque néanmoins la fin des
Golden Sixlies. B. Les étudiants dans la grève - Mijnwerkersmacht - Table des matières Pour Guy Spitaels la grève des mines révèle « une donnée jusqu 'ici étrangère aux conflits sociaux de notre pays »(420), la présence d'étudiants. En outre le Comité des mineurs grévistes FGTB soutenu par le Parti Communiste constate qu'"il est de fait avéré que des éléments anti-syndicalistes se montrent actifs au cours de cette grève (...) »(421). Ces déclarations mettent en évidence un changement qualitatif de l'intervention des étudiants dans un conflit social. Ceux-ci ont fait une étape supplémentaire dans leur engagement auprès du monde ouvrier. Qu'en est-il ? Nous allons réduire l'analyse de ce changement à la seule étude de Mijnwerkersmacht, organisation rassemblant des étudiants et des mineurs et dont l'anti-syndicalisme est connu. Il est évident que ce groupe n'a pas le monopole de l'anti-syndicalisme. En outre, des étudiants sont intervenus à travers d'autres organisations : citons notamment les Jeunes Gardes Socialiste, le Vereniging van Vlaamse Studenten (VVS) et F Algemene Studentenraad de la KUL. Ces deux dernières organisations se rallient aux positions de Mijnwerkersmacht(422). Mijnwerkersmacht est formellement créé le 8 janvier 1970. Au cours d'une conférence, le nouveau groupe expose ses revendications : augmentation immédiate du salaire de 70 francs pour toutes les catégories de mineurs ; un salaire minimum de 400 francs l'heure pour les mineurs de surface et de 500 francs l'heure pour les mineurs de fond ; égalisation du salaire des mineurs de surface avec ceux des travailleurs des autres secteurs industriels ; paiement immédiat des indemnités de grève par les syndicats(423). Premier progrès, il s'agit d'un comité de lutte d'une trentaine de personnes, réunissant les ouvriers et les étudiants les plus combatifs. Mijnwerkersmacht est l'expression des orientations idéologiques et organisationnelles adoptées dans le Dokument 1969 (424). C'est également le reflet des expériences pratiques tirées de la grève de Ford-Genk en 1968 et du textile à Gand en 1969. Le groupe se définit comme l'expression de la volonté des travailleurs engagés dans une grève sauvage contre la volonté du patron et des syndicats(425). Les mineurs y manifestent ainsi leur conscience qu'il faut une organisation de défenses des mineurs en lutte quotidienne contre les patrons et les syndicats(426). L'action de Mijnwerkersmacht, est tiré du bilan de la grève de Ford-Genk 1968 qui n'avait pas bénéficié de la solidarité des travailleurs des autres secteurs. Kris Hertogen devient responsable du puits de Zolder, Nadine Huybrechts s'occupe de Waterschei, Paul Theunissen, Francis Leyssens vont à Beringen ; Paul Deramelaere va à Winterslag (426) D'autres étudiants vont bientôt les rejoindre : Ludo Martens, Kris Merckx, Jan Hertogen... (427) Le groupe prône également l'unité de tous les travailleurs dans leur lutte commune contre le patronat. La solidarité entre les mineurs belges, turcs, marocains, italiens, espagnols, portugais et grecs, ne peut que renforcer le mouvement et l'enrichir de l'expérience sociale des travailleurs étrangers : « Nous sommes tous travailleurs et nous combattons le même patron. (...) Nous devons savoir comment les travailleurs en Italie mènent leur lutte contre le patron et les syndicats » (428). A l'extérieur, Mjinwerkersmacht va organiser une importante campagne de solidarité (429) C'est ainsi que 2000 brochures sur la grève des mines sont distribuées à Gand, à Sidmar, à Fabelta, à Volvo (430), tandis que les étudiants organisent des manifestations de solidarité dans les écoles et les universités (431). Des contacts sont également pris en Wallonie, comme le souligne Le Soir : « Le mouvement Force des Mineurs a non seulement essaimé dans la province de Liège, mais encore, (...) dans la région de Charleroi » (432). Pour répondre aux difficultés financières des grévistes, Mijnwerkersmacht organisa également des collectes de nourriture, notamment de pain (433). Le groupe prenait alors sans doute exemple sur le Parti Communiste qui, dès le 8 janvier, fait organiser, par ses militants membres de la FGTB, des récoltes de nourriture à Ostende, Gand, Tournai, Anvers, Liège, Alost, au Borinage... (434). Leurs activités ne se limite pas à cela. Les étudiants se donnent eux-mêmes des tâches précises. Ils sont avant tout là pour aider les mineurs dans leurs actions, « quand ils le demandent » (435). Concrètement, il leur incombe, comme intellectuels, d'écrire les tracts, de rédiger un journal, d'étudier la situation économique des mines... En outre d'autres moyens « d'agit-prop » sont mis en œuvre, tel des sketchs qui brocardent le rôle des syndicats et la gendarmerie... (436)
Et Guy Spitaels de constater : « Accueillis avec
indifférence par le grand nombre, mais, semble-t-il, avec sympathie par les
mineurs actifs dans le conflit, ils ont rédigé les tracts des grévistes, (...)
et distribué (...) » et de conclure « autrefois ils parlaient,
aujourd'hui ils agissent » (437). C Mijnwerkersmacht et les différents acteurs politiques - Table des matières L'action de
Mijnwerkersmacht, marginale aux dires de Bert De Bakker, a néanmoins
inquiété les syndicats et le gouvernement et irrité d'autres organisations
politiques, comme le Parti Communiste. Comment les autres
acteurs du mouvement ont-ils perçu l'action des étudiants durant la grève ?
Comment fut perçue la présence même des étudiants durant la grève ? Dès le début de la grève, la presse libérale donne le ton. Pour Le Soir, la grève a été déclenchée par des agitateurs. Le mouvement Force des Mineurs organise des piquets anti-syndicalistes (445). Les syndicats, le gouvernement et les médias s'indignent de la présence d'éléments anti-syndicaux, mais négligent d'observer que la méfiance à l'égard des syndicats s'était développée à mesure que grandissait le sentiment d'avoir été trahi par les représentants syndicaux qui avaient refusé de légitimer la grève. Néanmoins, pour la FGTB comme pour la CSC, les grèves qui secouent la Belgique, 50.000 grévistes au total, et singulièrement celle du Limbourg, ne sont pas l'expression d'un malaise social, mais bien le fait de groupuscules irresponsables (446). Monsieur Houthuys, président de la CSC observe : « Dans le Limbourg, on trouve par exemple toute sorte de gens qui incitent à un malaise fondamental : (...), il y a par ailleurs toute une série d'agitateurs politiques qui cherchent à monnayer politiquement toute dispute, enfin, il y a les éléments étudiants qui semblent apparemment avoir beaucoup de plaisir à participer à une grève (...) » (447). De son côté, le gouvernement, deuxième acteur principal, a formé un comité ministériel chargé de gérer la crise. Ce comité comprenait : Messieurs Eyskens, Cools, Leburton, Anselme, Segers, Major, De Paepe, Pêtre, Bertrand et Harmegnies (448). La constitution même de ce comité démontre, selon Bart De Bakker, la volonté de fermeté du gouvernement vis-à-vis des grévistes. Le Ministre de l'Intérieur Harmegnies déclara d'ailleurs : « (...) il se confirme que certains éléments, dont l'action a déjà été maintes fois dénoncée par les porte-parole des syndicats et par la presse, s'obstinent à vouloir envenimer la situation » (449). Cette fermeté gouvernementale au plan politique s'affirme également au plan répressif. La gendarmerie intervient en force. Bert De Bakker souligne la présence de gendarmes aux piquets de grève et de chars d'assaut escortant les volontaires (450)... Une des consignes fut également d'écarter des mines tous les éléments étrangers au conflit. Des bus d'étudiants ont été arrêtés et refoulés. Herman Veulemans, alors jeune étudiant, se souvient des trajets en bus, faits de nuit et régulièrement refoulés par la gendarmerie (451). Ecarter les elements étrangers signifie également neutraliser les étudiants actifs dans les puits. Kris Hertogen est arrêté le 27 janvier, suite aux événements du 23 janvier 1970. Dirigeant étudiant au puits de Zolder et porte-parole général de Mijnwerkersmacht, inculpé de coups et blessures à agent de la force publique, de diffamation et d'incitation à la violence, il fut condamné à deux peines de prison de quinze jours chacune avec un sursis de trois ans et à 6000 francs d'amende ou quarante jours de prison. En outre, 120.000 francs de dommages et intérêts sont alloués à la commune de Heusden (452). La répression est présente sur tous les terrains d'action des étudiants. Le 2 février, sept étudiants de Mijnwerkersmacht se rendent à Ford-Genk pour soutenir la grève qui a éclaté quelques jours plutôt. La gendarmerie tente de chasser les étudiants du piquet de grève, déclenchant la réaction des grévistes. Au cours des affrontements qui vont suivre, des gaz lacrymogènes seront lancés d'un hélicoptère (453). Le Parti Communiste, même s'il n'a pas pris une part active au conflit, n'en a pas moins développé son argumentaire. L'échec de la grève est dû : à l'isolement des mineurs dans leur lutte, à la présence «d'éléments étrangers, voire ennemis de la classe ouvrière » et à l'absence de base syndicale solide (454). Quelque temps après le début de la grève, la Fédération Limbourgeoise du Parti Communiste dénonce dans un communiqué de presse du 15 janvier 1970 « le refus par les syndicats de reconnaître la grève, l'absence d'une direction élue par les mineurs, renforçant les manœuvres irresponsables accomplies par toutes sortes de petits groupes et d'individus étrangers au mouvement ouvrier » mettant en garde les mineurs contre des manifestations organisées par des forces extérieures (455). Le Parti Communiste va alors apporter son soutien à la constitution d'un Comité des Mineurs Grévistes FGTB, rassemblant les membres du Parti Communiste présents dans le syndicat. Le Parti Communiste justifie cette décision par le fait avéré que « (...) des éléments anti-syndicalistes se montrent actifs au cours de cette grève. C'est d'ailleurs pour cette raison que les militants syndicalistes FGTB ont érigé le Comité des grévistes FGTB, pour justement capter le courant anti-syndicaliste, pour lui couper l'herbe sous les pieds » (456). L'anti-syndicalisme serait donc le fait de quelques agitateurs. C'est méconnaître le ressentiment des mineurs. La CSC et la FGTB n'ont jamais voulu reconnaître la grève. Aux yeux des mineurs, cela suffisait. Selon Roefs, le succès de AMADA en Flandre au début des années soixante s'explique justement par un fort sentiment anti-syndical. La CSC était le syndicat majoritaire en Flandre. Contrairement à ce qui se passait alors en Wallonie où s'était développée une aile radicale au sein de la FGTB, la structure rigide de la CSC ne permettait pas le développement d'un mouvement de critique en son sein. Ainsi donc les étudiants, que leur expérience de la grève de Ford-Genk en 1968 avait rendu hostiles aux syndicats conventionnels, ont rencontré les préoccupations des mineurs radicalisés, également désabusés depuis la grève de Zolder de 1966 (457).
En outre, l'unité d'action avec les ouvriers
constitue un saut qualitatif dans l'orientation des étudiants.
Mijnwerkersmacht n'est pas seulement une initiative ponctuelle, mais doit
continuer son action après la grève, pour continuer à défendre les intérêts
quotidiens des mineurs(458). C'est donc la
base d'une future organisation militante. A ce titre,
l'organisation interne de Mijnwerkersmacht est particulièrement
intéressante, car elle met en évidence la notion « d'avant-garde
révolutionnaire » développée par le SVB : Mijnwerkersmacht
préconise la formation de noyaux de vingt à trente personnes par puits et par
nationalité (de manière à surmonter les problèmes de langue). Des réunions de
délégués des différents puits centralisent les expériences diverses sur base
desquelles une ligne générale est décidée et appliquée(459).
De plus, l'idée d'un journal est déjà mise en avant. L'influence marxiste
est ici visible : l'adoption du centralisme démocratique, la constitution de
cellules d'entreprises. II. Bilan et conséquence de la grève des mines - la constitution de Alle Macht Aan de Arbeiders - Table des matières Les conséquences de la
grève des mines du Limbourg de 1970 furent multiples et influencèrent
sensiblement l'évolution du mouvement étudiant. En s'investissant
depuis 1968 dans l'action sociale directe auprès des ouvriers et des mineurs,
les étudiants mesuraient l'énormité de la tâche qu'il restait à accomplir pour
se faire accepter au sens du monde ouvrier et y accomplir leur dessein
révolutionnaire. Les organisations
traditionnelles, syndicats, Parti Socialiste, Parti Communiste avaient trahi
leur idéal. Il fallait faire le procès de la faillite des grands idéaux et
reprendre à zéro la théorie de la révolution. Pour ce faire, les étudiants se
remirent à l'étude de "Que Faire" ? de Lénine et se posèrent la
question récurrente « comment changer le monde » au profit du plus
grand nombre(460). Sur base de cette
étude, les étudiants ont renforcé et enrichi leur approche politique du monde.
Ce renforcement des conceptions idéologiques amena l'organisation à prendre de
nouvelles orientations, telle la campagne de prolétarisation de 1971 qui va
voir bon nombre de jeunes intellectuels choisir radicalement la défense de la
classe ouvrière en allant travailler en usine. Ou encore la création de la
première maison médicale de Geneeskunde Voor Het Volk, à l'initiative
du docteur Kris Merckx et en droite ligne du principe maoïste
« se mettre au
service du peuple ». A. Comité Ouvrier ou Parti - Table des matières Sur le plan
organisationnel, Mijnwerkersmacht a fait tâche d'huile. Sur base de
cette première expérience, des comités ouvriers vont émerger dans les
différentes grandes entreprises. Les comités Arbeidersmacht,
constituent les premières tentatives d'organiser les ouvriers au sein de leur
propre entreprise. A l'exemple de la « cellule communiste », les
comités ouvriers constituent la première base organisationnelle. Le bilan à faire de
l'action des étudiants durant la grève des mines donna lieu à un débat
farouche sur le type d'organisation à mettre en place pour remédier aux
erreurs commises et assurer le succès des actions à entreprendre. De ces confrontations
naîtra Alle Macht Aan de Arbeiders, journal qui donnera son nom à
l'organisation. Dans la foulée de
Mijnwerkersmacht, des comités ouvriers se sont créés dans différentes
entreprises. Un comité Arbeidersmacht est constitué à Ford-Genk,
d'autres suivront. En septembre 1970, ces comités sont actifs à Cockerill
Yards Hoboken, Overpelt Lommel, Sidmar Zelzate, Peignage Eeklo, dans le
secteur du textile à Courtrai, Citroën Forest à Bruxelles(461).
A cette diversité, il faut ajouter les groupes d'étudiants, de lycéens, les
groupes du
Derde Wereld Beweging... Selon Rudy Van
Doorslaer, la période qui suit la grève des mines est avant tout caractérisée
par des actions spontanées et non coordonnées. Si la situation sur le plan
organisationnel était confuse, si la notion d'adhérents ou de sympathisants(462)
était peu claire, il n'en reste pas moins que des réunions rassemblaient les
comités de différentes usines. Hubert Hedebouw qui
travaillait alors à Citroën Forest se souvient de discussions entre les
comités de Citroën, de Michelin et de Clabecq, secoués alors par des
mouvements de protestation contre le licenciement des deux délégués syndicaux
Sabbe et Desantoine Mais d'une manière
générale, c'est la confusion qui caractérise cette période, confusion
organisationnelle mais également politique et idéologique(464). Si les différents
comités ouvriers se sont constitués sur base du constat commun que les «
syndicats et les partis 'socialistes ' sont du côté des patrons » ou que
de manière plus précise, « le patronat a délégué une partie de son pouvoir
au syndicat »(464), ils invitent la classe
ouvrière à prendre son propre sort en main(465). Mais c'est sur la
manière dont la classe ouvrière doit s'organiser que les positions divergent. Mijnwerkersmacht
était lui-même
constitué de différents comités locaux : Winterslag, sous la conduite d'un
Espagnol, Waterschei, Zolder ou encore Beringen, sous la conduite de Paul
Theunissen(466). Chaque comité va défendre
ses propres positions sur la ligne à suivre. Au sein de cet
éventail de groupes, deux tendances principales s'affrontent: une première,
favorable à la constitution de comités ouvriers, comme base d'une future
organisation ; l'autre favorable à la constitution, autour d'un journal
unique, d'un embryon de parti. Le journal aurait pour tâche de diriger les
différents groupes, de mener l'éducation politique, de diriger les campagnes
politiques. Cette ligne, basée sur l'étude de Que faire ?, était menée
par Ludo Martens(467). Le débat va être lancé
dès la fin février 1970. Deux groupes
principaux s'opposent, le premier que nous appellerons le groupe de Louvain,
partisan des comités, et le second que nous nommerons, le groupe de Gand,
partisan d'un futur parti, mené principalement par Ludo Martens et au sein
duquel on retrouve notamment Paul Theunissen(468). Il n'y a évidemment
pas que ces deux groupes qui interviennent, mais leurs positions respectives
résument à elles seules les pôles de ce débat. Le comité de
Winterslag, une partie du comité de Zolder-Beringen, le comité ouvrier de
Sidmar à Gand, Hubert Hedebouw à Bruxelles ou encore Renate Willockx vont se
rallier à la ligne défendue par Louvain. Le débat conduira à
des crises importantes, telle cette descente musclée dans les locaux du SVB
Gand, en vue de dérober une machine à stenciler, conduisant à l'intervention
de la police(469). Hubert Hedebouw y voit le
fait du groupe de Winterslag. Pour Paul Deramelaere, alors membre du groupe de
Winterslag, ce serait le fait du groupe de Zolder(470).
Il semblerait que ce soit effectivement le groupe de Zolder, Paul Deramelaere
n'ayant été mis au courant de cette affaire que bien plus tard(471). Si de telles
extrémités sont rares, ils n'en reste pas moins que le débat fut très vif,
menant à des scissions. Tel le groupe de Winterslag qui, adepte de la thèse
des comités ouvriers, va rompre toute relation avec le reste de
Mijnwerkersmacht
et former le comité Arbeidersunie(472). La discussion entre
les groupes de Louvain et de Gand va d'abord porter sur la création d'un
journal national. Partant tous deux de
l'expérience des mines, leurs conclusions sont différentes. Le groupe de Louvain
part du constat que la classe ouvrière belge n'est pas subjectivement
révolutionnaire, c'est-à-dire que les contradictions générées par le
capitalisme, telles qu'elles sont ressenties par la classe ouvrière elle-même,
ne déterminent pas encore le niveau de révolte et de combativité nécessaire à
la révolution(473). De ce constat, il
résulte que la stratégie adoptée par les étudiants et ouvriers
révolutionnaires doit s'adapter à chaque phase du développement du capitalisme
et de l'impérialisme. Dès lors, pour le
groupe de Louvain, « vu que dans la phase actuelle ne sont pas présentes
les conditions qui peuvent rendre la classe ouvrière massivement et
subjectivement révolutionnaire, l'organisation politique de la classe ouvrière
en un parti prolétarien a d'évidentes limites à court terme »(474). Comment rendre la
classe ouvrière « subjectivement révolutionnaire » ? Par une
organisation systématique autour des luttes économiques des travailleurs,
organiser les ouvriers au sein de comités de manière à ce qu'ils prennent leur
propre sort en main. La tâche principale des révolutionnaires est alors de
« (...) faire naître et de former quand c'est possible des noyaux d'ouvriers
révolutionnaires »(475). Ces
noyaux devant être capables « (...) d'intervenir comme élément organisateur
lors de situations de crises »(476).
C'est la tentation de l'anarcho-syndicalisme. Dès lors sur le plan
organisationnel, il existe, selon le groupe de Louvain, une différence entre
l'organisation des intellectuels révolutionnaires et l'organisation des
travailleurs comme classe politique autonome. Les intellectuels doivent avant
tout s'adapter à la phase historique du capitalisme. Pour le groupe de
Louvain, la contradiction fondamentale de l'impérialisme au début des années
septante est alors l'opposition croissante entre l'impérialisme et les pays du
Tiers-Monde. Dans ce contexte, ce
sont les mouvements étudiants et tiers-mondistes qui constituent l'avant garde
révolutionnaire, se référant ainsi au grand mouvement de protestation contre
la guerre du Vietnam. L'intérêt de ces différents groupes d'étudiants et de
jeunes était de former des alliances avec la classe ouvrière. Le groupe de Louvain s'oppose à la publication d'un journal national et se positionne pour des journaux locaux, d'usines, d'information, basés sur les militants et rassemblant les différentes expériences. Partisan d'une agitation dans les autres milieux sociaux, le groupe de Louvain insiste sur l'alliance avec d'autres groupes. Les journaux locaux doivent pouvoir stimuler la discussion à l'intérieur du mouvement et unifier sur bases des différentes expériences concrètes, les différents comités ouvriers. (477).L'objectif était de constituer une espèce de nouveau syndicat combatif, ce que le groupe de Winterslag appelait le Rode Actie Comité (478). Pour le groupe de Gand, derrière lequel se rangent la plupart des comités du Limbourg, conduits par Ludo Martens, la grève des mines a révélé une ligne opportuniste au sein de l'organisation : opportunisme sur le plan théorique, organisationnel et politique (479). Sur le plan théorique, les militants de l'organisation sont loin de maîtriser le marxisme, il n'y a aucune tentative de systématisation des expériences concrètes. Ceci était la conséquence de l'opportunisme organisationel caracterisé par le spontanéisme et l'indiscipline, c'est à dire un manque de centralisme et de démocratie. Enfin, sur le plan politique, le groupe de Gand dénonce l'absence de ligne politique unifiée et de strategie claire(480). Le groupe de Gand prend alors position en faveur de la construction d'un noyau révolutionnaire, basé sur le principe du centralisme démocratique. Les organisations de base restent les noyaux ouvriers d'entreprise qui définissent un plan de travail à court et à long terme. Chaque noyau est représenté au sein du Comité Central qui définit la ligne politique générale (481). Même si le groupe de Gand met en garde contre l'ouvriérisme et préconise la constitution à long terme de noyaux dans les écoles, les universités,... il pense que la tâche principale reste la constitution de noyaux d'entreprises qui, sur base d'enquêtes ouvrières, se donnent comme perspective l'élaboration d'un journal national. Pour ce faire les partisans de ce groupe se réfèrent à leur expérience des luttes étudiantes de Louvain entre 1966 et 1969 qui ont appris aux étudiants progressistes la nécessité d'un journal. Le noyau progressiste du SVB s'est constitué sur base de son travail au sein du journal du KVHV. Selon Herwig Lerouge, l'expérience louvaniste a montré les capacités mobilisatrices et organisationnelles d'un journal (482). Pour les défenseurs de cette ligne, la grève des mines a mis en évidence la soif de connaissance des mineurs, curieux de connaître la situation des autres entreprises... Le journal national doit stimuler l'initiative des militants, donner les moyens de s'unir à la classe ouvrière et donner les moyens d'étendre l'action à d'autres usines, de manière à donner « (...) des perspectives à notre travail autour des fabriques sur base de notre propre expérience et sur base de notre connaissance de la révolution"(483). La lecture des classiques du socialisme trouve ici son aboutissement. D'une manière générale donc, ce débat oppose les partisans de la création d'une organisation de masse, sur base de l'expérience de Mijnwerkersmacht, provenant de l'union organisationnelle, mais non politique, des différents comités ouvriers, aux partisans de la constitution d'une avant garde d'intellectuels et d'ouvriers révolutionnaires dans la plus pure tradition léniniste. Pour cette deuxième tendance des expériences du type Mijnwerkersmacht ne sont que transitoires, la création d'un organisation de masse passant par l'unification préalable du programme et des méthodes de travail(484). Une Réunion Nationale
très houleuse selon Herwig Lerouge(485), se
tient le 14 mars 1970. La ligne défendue par
Ludo Martens y triomphe non sans y reprendre quelques points de la ligne de
Louvain. Une première tentative
de structuration y voit le jour. Un Comité Central
National qui définit, sur base d'enquêtes ouvrières analysées à la lumière du
marxisme-léninisme, «une ligne politique uniforme pour tous les groupes
(...) travailleurs-étudiants, mouvement Tiers-Monde, universités et lycéens »(486)
et dont le principe organisationnel est le centralisme démocratique, le Comité
Central National représentant les différents groupes en activité. En septembre 1970, une
première direction de l'organisation, une Coordination Nationale, composée de
deux délégués de Gand, deux de Louvain, deux de Courtrai, trois de Bruxelles,
trois du Limbourg, deux de Anvers et deux représentants du Derde Wereld
Beweging, est mise sur pied(487). En plus de cette
première direction, l'organisation va s'articuler autour de deux organes
principaux, hors le journal national : une commission organisationnelle et une
commission politique garante de l'unité de la ligne, de la de l'unification
idéologique sur base de l'étude du marxisme-léninisme et des revendications
politiques(488). Sur le plan
organisationnel, le militant va voir ses tâches se préciser petit à petit. Si
le but principal restait « d'organiser la révolte dans les usines contre
l'exploitation »(489), une des
activités principales des membres, en-dehors du travail de militant
traditionnel, était les enquêtes à domicile, les Arbeidersenquetes -
Sociale Enquêtes (sic)(490). L'enquête ouvrière
cherche « à mettre en lumière les contradictions principales à l'usine, à
démontrer le système patronal d'exploitation, pour permettre une prise de
conscience, condition première de toute lutte efficace »(491).
Basé sur le contact et la discussion personnelle, l'enquête est un travail de
persuasion. Elle permet également de recruter membres et sympathisants. C'est
durant les enquêtes que l'on prend des contacts, que l'on discute du journal,
que l'on abonne les gens au journal...(492). Condition indispensable du lien avec les masses, l'enquête va constituer un des axes principaux du travail de AMADA. Un cahier de formation politique aux enquêtes ouvrières sera réalisé à l'intention des militants. En quarante pages, on leur explique les objectifs marxistes-léninistes des enquêtes, la manière de les réaliser... (493). B. Le journal Alle Macht Aan de Arbeiders - Table des matières Conséquence immédiate
du débat entre les deux tendances au sein de l'organisation, la publication en
octobre 1970 du premier exemplaire du journal Alle Macht Aan de Arbeiders,
périodique paraissant toutes les trois semaines. Le journal est alors le
porte-parole des positions du moment, principalement l'anti-syndicalisme. Il donne tout de suite
le ton du nouveau mouvement qui vient de naître avec lui. Il titre « Leve
het marxisme en de gedachte van Mao Tsè-Tung » alors que trônent en
première page les effigies de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao. Le journal est
considéré comme « l'instrument le plus important pour la construction du
parti »(494) . Il constitue
l'organe politique, idéologique et organisationnel central dont le but est
d'informer les masses sur les formes concrètes d'exploitation, d'organiser les
différentes usines, d'unifier politiquement l'organisation(495).
Dans cette optique, il constitue pour AMADA un outil de renforcement de
l'organisation du parti(496). Dans ce sens, la vente du journal permet de renforcer le travail d'agitation en usine, l'objectif de la diffusion est la prise de contact avec l'avant-garde ouvrière qui est recrutée sur base de discussions autour du journal et par la souscription d'un abonnement(497). Les étudiants
progressistes ont redécouvert les outils du succès des partis communistes
d'avant et de l'après-guerre. Ces grands axes se
retrouvent dans le premier numéro : comptes rendus des différentes luttes
sociales du moment (Citroën-Vorst, Blue-bell Limbourg, Cockerill-Yards Hoboken,
Kortrijkse Tekstiel, mines du Limbourg, Peignage Eeklo), possibilité
d'abonnement (vingt numéros pour 100 francs), éducation politique avec une
synthèse de L'Etat et la Révolution de Lénine, analyse internationale
sur les deux puissances les plus dangereuses : l'impérialisme américain et le
social-impérialisme russe. Mais ce premier numéro
se veut surtout une systématisation de l'action des étudiants durant la grève
des mines(498). Partant du constat que
toutes les forces se sont mises du côté des patrons, police, gendarmerie,
syndicats et gouvernement, AMADA estime que la ligne politique défendue durant
la grève était correcte : « les patrons sont des menteurs et des assassins,
le syndicat est le gendarme du patron »(499). Pourtant, revers de la médaille, les étudiants n'ont pas mené une propagande communiste durant la grève, en raison, selon Ludo Martens, de l'absence d'unité idéologique et de ligne politique claire(500). L'expérience de la grève des mines montre alors que « les étudiants devaient prendre la direction sur le plan pratique, politique et organisationnel »(501). Pour les étudiants du nouveau AMADA, l'échec de la grève est avant tout du au (502)« soi-disant parti socialiste et soi-disant parti communiste » qui « ont trompé la classe ouvrière depuis une dizaine d'années. Ils sont devenus les valets et les beaux parleurs du capitalisme (...) ». Dès lors, la lutte de classe des travailleurs a pour but la mise en place du pouvoir de la classe ouvrière. Cet objectif doit être un guide pour la lutte quotidienne : « Nous devons chaque jour lutter pour de meilleurs salaires et pour plus de sécurité, contre la cadence et les mauvaises conditions de travail ». Dans ce contexte, chaque communiste doit avoir comme objectif : tout le pouvoir aux travailleurs. Cet objectif nécessite également la lutte quotidienne contre les capitalistes (503). Si les travailleurs doivent continuer à « (...) former leurs propres comités de lutte » (504), il n'en reste pas moins que « cette grève a ouvert une nouvelle période de lutte de classe en Belgique » (505) nécessitant la création d'un nouveau parti communiste, « (...)la plus haute forme d'organisation de la classe ouvrière » (506). Les objectifs du jeune AMADA sont donc fixés : construire le « nouveau » Parti Communiste capable de diriger la classe ouvrière. Dans ce contexte, si la publication du journal est l'expression du débat d'unification idéologique, il rend également possible une première structuration du mouvement. La publication d'un journal nécessite une ligne politique commune mais également un financement organisé. La première Coordination Nationale constituée en septembre 1970 garantit une direction politique au journal. Du côté du financement, la publication des premiers numéros induit la nécessité d'une rentrée d'argent régulière. C'est durant cette période que le système des cotisations des membres est théoriquement défini (507). Malgré tout, la publication des premiers numéros met en évidence le désordre organisationnel qui règne au sein du mouvement, les premiers numéros sont entièrement réalisés artisanalement par les militants. Jo Cotonnier réalise notamment les dessins (508). Les articles sont réalisés par des volontaires sans schéma ni objectif élaborés. L'analyse du journal AMADA a fait l'objet d'un mémoire réalisé par Walter Vansant (509). C'est la seule étude à ce jour. Réalisée en vue de l'obtention du grade de licencié en presse et communication, elle se veut avant tout une analyse du contenu et de la forme du journal. L'auteur dessine une image assez claire des préoccupations de AMADA. Seule réserve, il ne replace pas le journal dans le contexte idéologique et politique de la construction d'un nouveau parti communiste. Nous n'aborderons donc pas ici l'analyse systématique du journal qui reste cependant une source privilégiée d'informations sur les luttes idéologiques qui agitent le mouvement dans le courant des années septante. Le développement du journal est intimement lié au développement de l'ensemble de l'organisation. Il est donc nécessaire, tout au long de l'histoire du mouvement de retracer en miroir son développement. D'autant plus que le journal reste au centre du débat qui continuera à agiter l'organisation jusqu'en 1972. Les désaccords au sein du mouvement s'exprimaient régulièrement, selon Herwig Lerouge, par le refus de vendre le journal (510). C. Médecins pour le peuple - Table des matièresCette organisation, mieux connue sous le nom de Geneeskunde Voor Het Volk (GVHV), a joué un grand rôle dans le développement de AMADA. Expression du principe maoïste de se mettre au service du peuple, son développement et son influence sont pour une grande part causes de la sympathie populaire à l'égard de AMADA. La première maison médicale créée, à l'instar de Kris Merckx et de Michel Levers à Hoboken en septembre 1971, n'est sans doute pas étrangère au succès électoral que AMADA connaît dans l'arrondissement de Anvers où il récolte 12% des voix au cours des élections législatives du 11 mars 1974. AMADA recueille 14.925 voix à la Chambre, Kris Merckx, 4.606 voix de préférence. (511). La création de Médecine pour le peuple, est une conséquence directe de l'expérience de la grève des mines. Kris Merckx, actif dans la grève se rend compte que les soins médicaux sont souvent financièrement inaccessibles aux mineurs et décide de pratiquer les premières consultations gratuites. En avril 1970, durant la grève de Cockerill Yard, l'expérience est poursuivie. Sur proposition de Jan Saeys, délégué syndical de Cockerill, la décision est prise de créer une maison médicale à Hoboken, qui sera installée le 3 septembre 1971. Fin 1970, Kris Merckx et d'autres militants s'étaient rendus en Chine. La relation de leur voyage dans sept articles du journal Humo, rend compte de leur projet de multiplier les maisons médicales (512). Le principe était de pratiquer la médecine gratuite, sans prendre en compte le ticket modérateur, la consultation étant pratiquée au prix du remboursement de la mutuelle. Véritables axes de l'implantation de AMADA au sein des masses populaires, les médecins communistes soignent et propagent les idées communistes. La fondation de Médecine Pour le Peuple est l'expression du principe, déjà défini par le SVB du lien nécessaire entre intellectuels et la classe ouvrière. Cette orientation se précise en avril 1971 lorsque AMADA lance une campagne de prolétarisation en envoyant ses jeunes intellectuels travailler en usine. Décision de la plus haute importance, selon Roger Saeys, cette campagne va s'étendre tout au long du développement de AMADA (513). Ce programme a certainement favorisé l'implantation de AMADA et son renforcement dans les grands centres industriels (514). Chapitre II : Evolution interne et participation aux conflits sociaux - Table des matières Jusqu'en décembre 1970, les comités de lutte restent la base organisationnelle de AMADA, le journal n'étant qu'un moyen d'expression dans la lutte de classe des travailleurs et l'action des militants se limitant à (515)
Mais dès 1971, la construction d'un parti communiste
révolutionnaire devient, pour les membres de AMADA, Cette orientation amènera AMADA à développer les bases organisationnelles, politiques et idéologiques d'un noyau de parti. AMADA définit lui-même cette période comme une période de luttes sur deux fronts contre « l'opportunisme de gauche » et « l'opportunisme de droite » menant à des conceptions économistes et spontanéistes (517), l'opportunisme de droite étant représenté à l'intérieur du parti principalement par le groupe Brussel Zuid-De Vonk et à l'extérieur du parti par le groupe Clarté, issu de la scission du groupe Grippa. Le conflit idéologique opposant par la suite AMADA à l'Union des Communistes Marxistes-Léninistes de Belgique l'UC(ML)B) est quant à lui représentatif de la lutte contre « l'intellectualisme de gauche » basé sur le mépris de la lutte réelle des travailleurs (518). Nous verrons effectivement tout au long de ce chapitre comment AMADA s'est construit comme parti sur base d'expériences sociales concrètes, principalement les grèves de Boel-Tamise en 1971 et des dockers en 1973, et des débats, tant internes qu'externes, que celles-ci ont provoqués. A. Développement organisationnel - Table des matières AMADA prend conscience de sa faiblesse organisationnelle à l'issue de sa première campagne de soutien au Vietnam d'octobre 1970. La leçon est tirée qu'aucune ligne politique générale n'a été adoptée et que la campagne a souffert de l'absence de direction centralisée. Pour AMADA, cela met en évidence que toute campagne politique doit être élaborée dans le contexte d'une ligne politique générale (519). Celle-ci, élaborée début 1971, s'inspire des grands thèmes de l'analyse marxiste (520). Les travailleurs subissent la dictature de classe des capitalistes c'est-à-dire de « tous les capitalistes et tous leurs serviteurs (...) » (521), dictature garantie par l'Etat, « le plus puissant instrument par lequel les capitalistes imposent leur volonté aux travailleurs » (522). La lutte de classe oppose capitalistes et prolétaires qui luttent pour le pouvoir de leur classe. Pour mener cette lutte, les prolétaires ont besoin d'un parti « (...) qui soutient partout et toujours la lutte du prolétariat » (523). L'expérience de lutte de AMADA lui fait dire que pour garantir les objectifs de cette ligne générale, le parti doit être construit à partir du centre, c'est-à-dire à partir d'une direction centrale dont la tâche est de (524) développer un travail scientifique et systématique. Ce qui signifie que la situation sociale et politique générale doit être étudiée à la lumière du marxisme-léninisme, (525) seule arme efficace contre l'ennemi de classe suivant un plan de travail planifié et centralisé. Cette direction centrale doit être constituée des communistes les plus formés dont l'objectif est de mettre le parti à l'honneur (526). Parallèlement au développement organisationnel, le mouvement se consacre à l'élargissement de ses activités. Pour aller travailler en usine et participer aux conflits sociaux, les étudiants maoïstes ont déserté les universités et les écoles. Pour reprendre pied dans les universités, le Kommunistiese Jeugdbond/Marxisties-Leninisties est constitué en septembre 1971. Il se fixe comme tâche l'éducation politique, le soutien aux luttes ouvrières et la formation des futurs militants du Parti (527). Cette organisation se veut également une organisation de masses, chacun pouvant accéder aux groupes de bases, ce qui n'était pas le cas des cellules ouvrières. La direction du mouvement comptait notamment sur le ralliement de 200 à 300 jeunes (528). Programme ambitieux si on le compare aux 500 participants de la première fête du premier mai de AMADA en 1971 à Hoboken. Le 1 janvier 1972, le système des cotisations obligatoires pour s'affilier au mouvement est théoriquement adopté (529). Cette cotisation est de 200 francs minimum par mois, répartie à raison de 60fb pour la cellule, 60fb pour le niveau provincial et 80fb pour le national (530). En outre, il est demandé aux ex-étudiants et aux intellectuels de ne pas vivre (531) au dessus du niveau de vie moyen des travailleurs. On peut dire que fin 1971, AMADA est une organisation plus ou moins constituée, comme le montre un rapport des besoins financiers de la direction centrale (532): les besoins mensuels du mouvement s'élèvent alors à 30.000 francs (loyer, électricité, téléphone, frais de fonctionnement du secrétariat, deux permanents à 4000 francs, frais d'imprimerie...), les besoins futurs sont estimés, selon les prévisions de la direction, à 100.000 francs par mois. Enfin, sur le modèle des partis communistes d'avant guerre, le mouvement se dote d'une structure hiérarchique. Le Comité Central est pendant un an l'instance dirigeante du mouvement qui décide des grandes lignes de la politique et de l'organisation du mouvement ; il choisit un Bureau responsable de la direction journalière (533). Le Comité Central est nommé chaque année par le Congrès National constitué des dirigeants de cellules, des dirigeants provinciaux et des membres du bureau et du comité central (534). Les tâches des différents niveaux de la hiérarchie sont également définies : 1- le bureau national définit la ligne politique générale, les groupes de base formulant les problèmes « (...) dont ils estiment que l'urgence de leur réalisation est indispensable comme partie de la ligne politique » (535). Le Bureau élabore les textes de la ligne politique qui, proposés à la discussion de la base, peuvent être modifiés par le bureau. 2- La direction provinciale a pour tâche d'aider au développement des cellules de base : formation des travailleurs, application de la ligne politique... (536) 3- Les cellules de base ont pour tâche principale d'effectuer un travail de masse systématique avec l'objectif de gagner les travailleurs au communisme (537). Elles ont donc en charge la lutte politique. La lutte économique est organisée par les travailleurs au sein des comités de luttes (538). Les cellules comptent minimum trois militants, selon la règle de base une usine - une cellule. Cet « équilibre » entre lutte politique, au sein de la cellule, et lutte économique au sein des comités de luttes ne s'improvisait pas. En effet, une des tâches de la direction centrale de AMADA est de faire en sorte que le parti du prolétariat suive « (...) la juste ligne entre lutte économique et politique » et « (...)la juste ligne entre les réformes à l'intérieur du capitalisme et la lutte pour le changement de régime » (539). Pour réaliser cet objectif, la direction de AMADA allait rencontrer à partir de 1971 la contestation du groupe Brussel Zuid-De Vonk qui publie le journal De Vonk. La résolution du conflit a renforcé la structuration de AMADA autour d'une direction renforcée. B. Conflits internes et conséquences - Table des matières 1) le Groupe Brussel Zuid-De Vonk - Table des matières Après le grève des mines, Mijnwerkersmacht avait connu une période de conflit « la ligne de droite », comme la qualifie AMADA, partisane de la lutte économique revendicative au sein des comités ouvriers (540). La thèse adoptée par AMADA soutient, quant à elle, la construction d'un parti autour du journal de manière à mettre les revendications politiques à l'avant plan : « la lutte économique, matérielle de la classe ouvrière met implicitement en évidence l'opposition entre bourgeoisie et prolétariat » (541). Toute lutte économique est avant tout une lutte politique (542). Le débat avait connu de violentes oppositions de la part des groupes de Winterslag, Zolder et Waterschei (543). La victoire de la thèse « juste » eut pour conséquence la constitution d'un mouvement se définissant comme nouveau parti communiste en construction, basé sur le centralisme démocratique, le journal AMADA et structuré autour d'une commission organisationnelle et une commission politique (544). Ces orientations étaient définies dans les trois premiers numéros du journal AMADA (545), qui mettaient l'accent sur les relations entre lutte politique et lutte économique et les tâches des communistes dans la construction du parti... La politique d'élaboration d'un parti, définie par la direction de AMADA, va relancer le débat au sein du mouvement dès 1971. Le groupe Brussel-Zuid rassemblait, selon Hubert Hedebouw, une dizaine de militants hostiles avant tout au centralisme démocratique (546). Comme le déclare Flor Dewit qui dénonce le « style mécaniste » des directives venues d'en haut (547). Mais derrière ce refus du centralisme démocratique, on retrouve surtout le débat qui opposait en 1970 le groupe de Louvain au groupe de Gand. Pour le groupe Brussel-Zuid, « les marxistes-léninistes doivent travailler sans relâche à la constitution de comités dans les fabriques » (548), cette ligne est la continuation évidente des positions du groupe de Louvain pour qui la tâche principale des révolutionnaires était de « (...) faire naître et former quand c'est, possible des noyaux d'ouvriers révolutionnaires » (549).
Dans un article d'avril 1971, AMADA avait
analysé les différences entre les comités ouvriers et le parti. Les comités
sont chargés d'organiser les ouvriers dans leurs luttes quotidiennes, tandis
que la parti doit veiller que les perspectives politiques de la lutte de
classe restent présentes dans tout conflit social (550),
les groupes de base se réservant la tâche de mener l'agitation, la propagande
et le travail d'organisation au sein de la classe ouvrière, en application des
principes adoptés par le parti. Brussel-Zuid se prononce lui pour le front uni de la classe ouvrière sous la forme d'un comité de lutte dont « chacun a le droit de faire partie (...) du moment qu'ils soit d'accord avec les points les plus importants : syndiqués, non-syndiqués, maoïstes ou militants de la Volksunie » (551). Car les masses se joignent à l'avant-garde d'une autre manière que par la tactique de l'avant garde. Le parti seul n'est pas une force suffisante pour faire la révolution (552). Pour les fondateurs de AMADA, la critique développée par le groupe de Brussel-Zuid n'est qu'une « nouvelle expression de la théorie de droite de l'économisme et du mouvement spontané » (553). Car la question du front uni est avant tout une question politique. Dans un système capitaliste, l'unité de classe des travailleurs se réalise inévitablement sous l'influence de la bourgeoisie et dans ce contexte la juste ligne politique du parti communiste est la clef de l'unité des travailleurs (554). Car il ne suffit pas que les travailleurs apprennent à lutter contre leur misère quotidienne au travail, ils doivent apprendre à « (...) dénoncer la bourgeoisie sur tous les fronts » (555). Si les comités de luttes mènent une lutte ponctuelle au moment d'une grève, le parti doit veiller à mener une lutte systématique et permanente contre tous les aspects du capitalisme. Dans ce contexte, la politique opportuniste du « front uni » sabote la construction du parti car le front uni que propose Brussel-Zuid-De Vonk est un front uni avec la bourgeoisie (556). Ce débat ne signifie pas que AMADA s'oppose catégoriquement à la politique « du front uni », mais pour AMADA « le parti doit d'abord travailler sur la plan de l'idéologie (...) », afin que dans la tactique du « front uni », les travailleurs soient gagnés au parti (557). L'idéologie doit donc gouverner l'action concrète. Il ne s'agit pas de diluer la ligne politique du mouvement dans des fronts, mais bien de prendre la direction politique de tout mouvement de contestation par un travail politique permanent au sein des masses de manière à les gagner au communisme. Dès lors contre la politique « anti-parti » de Brussel-Zuid, la direction de AMADA décide de mener la lutte idéologique autour du renforcement du parti : renforcement de l'organe central Alle Macht Aan de Arbeiders, avec comme objectif une publication hebdomadaire et un renforcement des relations entre le centre et la base (558). Le mot d'ordre lancé « Partijcellen op poten zetten », c'est-à-dire mettre les cellules d'entreprises à l'avant plan représente une étape supplémentaire de l'évolution de AMADA qui rompt définitivement avec la « théorie opportuniste des comités de luttes » (559). Il s'agit de renforcer l'unité idéologique et politique au sein du mouvement. Les deux clans s'opposèrent aussi sur le rôle du journal au sein d'une organisation révolutionnaire. La ligne «économiste» présente depuis 1970 au sein de l'organisation et relancée par le groupe de Brussel-Zuid, prônait l'utilisation de journaux d'usine locaux. Ce nouveau débat sur la question du journal est l'occasion pour AMADA de souligner l'échec de cette entreprise et la nécessité de renforcer l'organe central du mouvement. Pour AMADA, les journaux d'usine n'ont fait que renforcer l'esprit de cercle et l'économisme en empêchant le recrutement d'ouvriers d'avant-garde sur base d'une ligne politique claire (560). Ce que confirme Hubert Hedebouw au sujet de De Vonk : « C'était un petit journal distribué gratuitement (...) on avait la prétention de continuer un travail de masse, mais il n 'y avait pas d'impact (...) » (561). Dès lors, AMADA considère le journal comme principal instrument de travail pour «former des cadres pour le parti, intégrer des ouvriers d'avant-garde dans le travail pour le parti, gagner la confiance des masses aux idées communistes » en d'autres termes, pour renforcer les organisations du parti (562). Le groupe de Brussel-Zuid va finir par se détacher de AMADA fin 1971. Désigné dans les documents sous le nom De Vonk, il va continuer à s'opposer à AMADA jusqu'à disparaître dans le courant de l'année 1973. Pour Hubert Hedebouw, cette disparition n'étonne pas. Il n'existait aucune unité interne au groupe, même lorsqu'il était question d'élaborer un programme de revendications. (563). De Vonk était un journal avec lequel le groupe de Brussel-Zuid voulait continuer un travail de masse mais ce fut un échec. Une partie du groupe, resté en contact avec la direction de AMADA, finit par le rejoindre. Une autocritique réalisée, sous la direction de AMADA, qui dura un an, un an et demi., aboutit à la publication en 1975 d'une brochure synthétisant les grandes lignes du débat (564). L'opposition à la direction nationale ne fut pas seulement menée par le groupe Brussel Zuid-De Vonk. Disons que ce groupe à représenté l'opposition la plus importante au sein de AMADA. Si les membres du groupe finissent par rallier dans leur majorité AMADA, d'autres membres, à titre individuel, se sont également opposés à la centralisation accrue du mouvement. Arnould Van Reussel, qui quitte l'organisation vers 1972, illustre certains griefs formulés contre la direction. AMADA s'apparente à une secte : « on travaille au sein d'une organisation avec tous les règlements, avec une idéologie commune. On n 'a presque plus de vie privée. On donne tout son argent (...) on étudie le journal AMADA de la première à la dernière page (...) Idéologiquement on est vraiment dans une dictature marxiste-léniniste (...) on n 'a plus de temps libre, on a du temps en fonction de la révolution et surtout du parti » (565). Flor De Wit justifie également son départ, toujours en 1972, par le développement « d'attitudes un peu flicailles » (566). Entre cellules et direction centrale, le débat avec le groupe Brussel-Zuid-De Vonk démontre néanmoins son caractère « démocratique ». Le débat dure presque trois ans et c'est sur base volontaire que ses membres semblent rejoindre AMADA(567). De plus, les orientations organisationnelles définies par AMADA ne restent, jusqu'en 1973, qu'à l'état de simples intentions. Lorsque la grève des dockers éclate en avril 1973, le mouvement mène encore un travail anarchique, sans centralisation, ni direction véritable, sans principes organisationnels clairs. Ce n'est qu'après la grève des dockers que des mesures concrètes dans ce domaine seront prises. On ne peut donc pas raisonnablement affirmer qu'AMADA, entre 1970 et 1973, était caractérisé par la pratique d'une discipline étouffante. 2) La cellule de Boel Tamise - Table des matièresAprès la grève des mines, la grève de Boel Tamise est le seconde grande grève à laquelle AMADA participe. Durant onze semaines, du 13 septembre au 1 décembre 1971, 1200 des 2500 travailleurs de Boel sont en grève. Pour notre sujet, nous retiendrons la nouvelle discussion que cette grève a suscité au sein du mouvement. La direction de AMADA va s'opposer à la ligne « de gauche », développée par la direction provinciale d'Anvers. Ce nouveau débat, dans le contexte de la lutte entre deux tendances au sein du mouvement, aura comme conséquence immédiate le changement de la politique syndicale, la dissolution de la première direction nationale et le renforcement des directions provinciales. Le mouvement se félicite que la seule force politique qui a mené un travail de propagande constante durant la grève, est la cellule de AMADA, qui a mis en évidence la justesse de sa ligne politique, la dénonciation « (...) du réformisme au sein des rangs ouvriers » propagé par la sociale-démocratie et la direction syndicale(568). Mais le mouvement constate également, avec étonnement, que cette grève a été dirigée par un noyau actif de délégués syndicaux ce qui, pour AMADA, est un fait nouveau(569). C'est en effet la première fois que les étudiants de AMADA se trouvent confrontés à des délégués combatifs CSC et FGTB dont Jan Cap, délégué principal de la CSC ou encore Karel Heirbaut. Confronté à cette nouvelle situation, une partie du mouvement a à nouveau développé « (...) une ligne extrême de gauche » responsable du manque d'emprise sur les masses durant la grève(570). Au nom de l'anti-syndicalisme hérité de l'expérience de la grève des mines, la cellule de Boel va s'opposer aux délégués syndicaux qui dirigent alors la grève, ce que souligne Paul Deramelaere, alors dirigeant de la cellule de Boel(571). Pour la direction de AMADA les communistes ont développé dans la grève de Boel contre les délégués syndicaux, une attitude sectaire « ultra-gauche »(572), expression d'une « (...) politique bourgeoise contre une politique prolétarienne »(573). Jan Cap se souvient d'ailleurs des étudiants de AMADA qui, comme des « oiseaux bizarres », vendaient un journal où « Tout ce qu 'on y lisait se rapportait toujours à la révolution, à la lutte armée(...)". Et de préciser : « Nous (les ouvriers de Boel) n'en étions pas encore là et même nous ne le comprenions pas »(574). Les faiblesses du mouvement, exprimées durant la grève de Boel, renforcent la conviction de la direction de AMADA qu'il est nécessaire de faire une analyse spécifique, à la lumière du marxisme-léninisme, de chaque situation spécifique de manière à dégager une ligne politique correcte(575). Il s'agit de se frayer un chemin entre des positions gauchistes et sectaires, exprimées ici par la cellule de Boel et des positions opportunistes droitières, exprimées par le groupe Brussel Zuid-De Vonk. En condamnant le sectarisme « gauchiste » de la cellule de Boel, la direction de AMADA révise ses positions à l'égard du syndicalisme. La direction du mouvement constate dès lors que si « l'appareil syndical défend ouvertement la politique du capital (...) un certain nombre de délégués refuse cette collaboration de classe(...) »(576). Conséquence directe, les comités ouvriers doivent être ouverts aux délégués syndicaux(577). Pour AMADA, il y a trois sortes de délégués syndicaux : « une minorité de droite, agents de l'appareil ; une grande majorité d'hésitants et une minorité de gauche»(578). La minorité de gauche doit être gagnée au parti, tandis qu'il s'agit de démasquer les véritables « ennemis du peuple » au sein de la minorité de droite(579). Plus forts, les militants de AMADA peuvent et même doivent devenir membres du syndicat pour lutter contre la direction syndicale(580). Un militant communiste doit travailler dans les syndicats, non pas pour tenter d'améliorer la direction syndicale mais bien pour la démasquer(581). La tâche d'un communiste au sein d'un syndicat est de gagner les délégués à l'idée de la lutte de classe et au communisme , et pour AMADA, « nous devons essayer, dans tous les cas, de travailler ensemble dans les comités de lutte »(582). Orientation qui va être développée tout au long du développement de AMADA. Ainsi en 1975, à l'occasion des élections sociales de avril-mai, AMADA lance un appel à voter « (...) pour les candidats révolutionnaires et combatifs »(583). Pourquoi cet appel à participer aux élections sociales ? AMADA part du constat que la classe ouvrière est encore organisée dans les « syndicats réformistes ». Il s'agit de développer la démocratie prolétarienne dans les syndicats(584). Cet intérêt d'AMADA à gagner les délégués syndicaux aux idées révolutionnaires sera couronné par la publication à partir du 1 mai 1975 d'une brochure en français et en néerlandais à l'intention expresse des syndicalistes(585). Il est intéressant de
se pencher sur le parcours de certains des militants de AMADA pour confirmer
cette orientation. La plupart des jeunes intellectuels partis travailler dans
les usines vont devenir délégués syndicaux, comme Paul Deramelaere à la SNCB. Néanmoins, l'appareil syndical continue à être perçu comme agent du capitalisme monopolistique d'Etat et de la fascisation du régime. La mission du syndicat reste pour AMADA la mise en péril de la révolution en fermant les yeux des travailleurs sur les réalités du capitalisme (586). De plus, les dirigeants syndicaux veulent « (...) une totale et inconditionnelle collaboration avec l'appareil d'état des capitalistes(...) » de fait, l'appareil syndical est « (...) une des plus importantes armes de fascisation de l'appareil d'état pour briser la lutte de classe révolutionnaire » menaçant les droits politiques des travailleurs, les droits syndicaux, la démocratie syndicale (587)... Le sectarisme d'une partie des militants de AMADA au cours de la grève de Boel, met également en évidence les difficultés qu'ont les cadres nationaux à développer une ligne politique équilibrée entre les différentes tendances au sein du mouvement. Dans le bilan de l'activité de la cellule de Boel, le bureau national dénonce les « transgressions au centralisme démocratique », le cadre national responsable de la cellule de Boel ne s'étant pas soumis aux directives de la direction centrale (588). Paul Deramelaere le confirme: "Je continuais à défendre une ligne anti-syndicale alors que la position de AMADA à ce sujet avait déja changé" (589). Ces événements montrent que, malgré les convictions théoriques de la direction de la nécessité de mener une lutte idéologique interne, des adhérants pouvaient continuer à défendre, au sein de l'organisation, des positions pourtant condamnées par la direction. Fait confirmé par la division qui en son sein puisque les positions défendues par la cellule de Boel étaient largements reprisses par la commission organisationelle(590) Ceci résulte, selon la direction du mouvement, de la fracture entre les cadres dirigeants et la pratique sociale (591). Le travail d'agitation et de propagande s'est fait sans contrôle de la direction (592).
Fin 1972, le premier bureau permanent est dissous et les cadres nationaux partent en province afin d'y renforcer la direction et leur lien avec les militants. Jusqu'en octobre 1973, il n'y aura pas de direction centrale du mouvement. C. La grève des dockers - Table des matières La grève des dockers de avril-mai 1973, est la troisième gréve a laquelle des militants de AMADA participent. Elle aura pour le mouvement des conséquences importantes. Cette grève a déjà été analysée par Kris Borms (594). Nous lui laisserons la chronique, nous réservant l’examen de l’action d’AMADA pendant et après la grève. Ce nouveau conflit va mettre en évidence les contradictions d’une part entre grévistes et syndicats et d’autre part entre le Parti Communiste, très actif durant la grève, et AMADA. Il est piquant de constater que la plupart des articles publiés pendant la grève des dockers dans le journal Alle Macht Aan de Arbeiders, traitent essentiellement des divergences idéologiques avec le Parti Communiste Belge, stigmatisé comme « faux parti communiste » (595). Mais c’est surtout « l’après-grève » qui va avoir une grande importance pour AMADA, principalement le procès, en 1974, de treize de ses militants, occasion d’une campagne importante contre la « fascisation du régime ». La grève, qui se déroule du 6 avril au 6 juin 1973, concerne les dockers des ports de Gand et d’Anvers. Ces deux ports ont une longue tradition de grèves « sauvages » (596). Depuis 1945, vingt grèves, quinze à Anvers et cinq à Gand, ont agité les ports. Trois d’entre elles seulement ont été reconnues par les syndicats (597). Une des explications de ce bouillonnement social réside dans la grande influence que le Parti Communiste avait auprès des dockers. La section de Gand comptait cent septante membres (598). Comme à la veille de la grève des mines en 1970, le malaise social provenait, fin 1972, du projet d'une nouvelle convention collective. Les dockers réclamaient notamment 100 francs de prime et le treizième mois. Mais rapidement, les revendications vont prendre un caractère politique. La démocratie syndicale et le droit de grève deviennent les thèmes principaux du conflit. Des critiques s’élevaient contre l'Union Belge des Ouvriers des Transports-FGTB (UBOT), qui comptait 8000 membres à Anvers. La dernière assemblée générale de l'UBOT remontait à 1964 (599). Les dockers s’élevaient contre l’absence de concertation et de démocratie syndicale. Selon Kris Borms, cette situation relevait du contexte de « guerre froide » et de la volonté du syndicat de damer l’influence du Parti Communiste dans ces hauts lieux stratégiques que sont les ports d’Anvers et de Gand (600). Suite à l’échec des négociations sociales, les neuf cent cinquante dockers de Gand partent en grève le 6 avril, sous la conduite de Achiel De Koninck, militant communiste. Dès le premier jour, pour les secrétaires syndicaux, André de Kie et Jules Schoonjans, « (...) il est exclu que le conseil intersyndical (qui siège à Anvers) reconnaisse la grève » (601). Devant ce refus, les grévistes de Gand se rendent le 9 avril à Anvers où la grève se déclenche immédiatement. Le 11 avril, alors qu’est créé un Comité de Grève, le port d’Anvers est paralysé (602) Pour les dockers grévistes, l'objectif était d'obtenir des dockers non-grévistes l'arrêt du travail le plus rapidement possible, dans ce port de 80 kilomètres de quais (603). La Volksgazet, organe du Parti Socialiste Belge, parle d'aileurs de «rôdeurs motorisés» qui sabotent le port (604). Les syndicats refusent toujours de reconnaître la grève. Dans une lettre aux dockers, l'Intersyndicale répète ce refus et met en garde contre les meneurs « (...) qui n'ont rien d'autres à vous offrir que la pagaille (...) Contre les irresponsables ! Avec le syndicat ! Au travail ! » (605). La position des syndicats échauffe les mineurs grévistes. Leur détermination auprès des non-grévistes amènera le bourgmestre d'Anvers, Craeybeckx, à interdire tout rassemblement de cinq personnes dans le port et à faire barrer l'accès au port par cent cinquante gendarmes. Cette situation provoqua, selon Luc Vervaet, bon nombre d'actions individuelles de sabotage (606). Au bout de trois semaines de grève, la situation financière des grévistes devint de plus en plus difficile. Après huit semaines d'action et malgré un ultimatum lancé par les grévistes, les dockers sont forcés de reprendre le travail, sans résultat. 1) L'intervention de AMADA - Table des matières Comme souvent, la grève a éclaté en dépit des syndicats et s'est prolongée malgré leur opposition farouche. L'acteur principal de la grève est le Parti Communiste qui la dirige dans les deux ports. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer le rôle des « organisations gauchistes » AMADA et RAL (Revolutionaire Arbeiders Liga), qui, selon Kris Borms, ont comme durant la grève des mines, fait pression sur le Comité de Grève pour la poursuite de l'action (607). Notre propos concerne l'action de AMADA durant le conflit. Il est difficile de se représenter objectivement l'action de militants politiques durant un conflit social. Néanmoins, les nombreux tracts et brochures relatifs au conflit, les témoignages oraux et les différents rapports de police, nous permettent d'analyser les revendications politiques et le rôle général d'AMADA. L'implantation de AMADA dans le port d'Anvers remonte à la constitution du comité Arbeidersmacht Dockers en 1970. Partisan de la ligne des comités ouvriers issus de la grève des mines, Arbeidersmacht Dockers va s'éloigner de AMADA qui considère ce comité comme un groupe anarchiste et économiste (608). Peu avant la grève, AMADA charge quelques uns de ses militants de construire une nouvelle cellule dans les docks (609). Lorsque la grève éclate, AMADA, dont l'objectif depuis fin 1972 est d'établir des directions provinciales solides, décide d'impliquer directement ses cadres dans la direction politique du mouvement. Jo Cottenier est ainsi envoyé diriger la cellule d'Anvers, tandis que Ludo Martens coordonne les directions de Gand et d'Anvers (610). L'action concrète de AMADA ne diffère pas des grèves précédentes : distribution de tracts, organisation de meetings, campagnes de solidarité dans les usines, les écoles ; direction de différentes manifestations, présence journalière aux piquets de grève... Des collectes sont organisées à Anvers, Gand, Bruxelles et Louvain (611). Mais ce qui caractérise l'action de AMADA au cours de cette grève, selon Luc Vervaet, c'est le caractère réellement communiste qu'a pris l'organisation dans la manière de diriger les luttes et principallement dans le mode de fonctionnement de la cellule, basé sur une formation politique systematique des ouvriers, sur une distribution des tâches clairement définies... (612). La présence de AMADA semble avoir été significative, de l'avis même de la police. Les forces de l'ordre avouent avoir eu, le 25 mai 1973, une journée particulièrement pénible. Les services d'ordre durent organiser la surveillance du discours quotidien au local d'embauche, à 7 heures, du procès du militant AMADA Luc Vervaet, à 9 heures et d'un meeting de AMADA à 19 heures 30 (613). Le Lieutenant Colonel de gendarmerie Van Geet reconnaît en outre que l'influence des "gauchistes" s'est développé particulièrement du 1er mai (614). L'action de AMADA dans cette grève inquiète. Suite à des incidents survenus le 13 avril, le Conseil Communal d'Anvers autorise l'utilisation de la force publique contre, entre autres, AMADA (615). Les procès-verbaux de surveillance de la BSR le révèlent ; outre le mouvement dans son ensemble, c'est particulièrement les dirigeants amadistes de la grève qui étaient visés (616). Ainsi, un Pro Justitia dressé par l'adjoint au commissaire de police Noël Demeersseman, fait état des faits et gestes de Luc Vervaet, entre le 24 avril et le 14 mai 1973 (617). Identifié par le Lieutenant-Colonel Van Geet comme meneur amadiste, il fera l'objet de méthodes pour le moins particulières destinées à l'isoler et le criminaliser. Ainsi, le recours aux déclarations d'un détective privé, Léon Nuyttens, présenté comme compagnon de cellule de Luc Vervaet à la prison d'Anvers, qui affirme l'avoir entendu se vanter de la direction d'une série d'actions violentes (618).
Il est évident que de telles déclarations sont
sujettes à caution, d'autant que Luc Vervaet affirme avoir été, tout au long
de sa détention, seul en cellule (619). Mais
elles révèlent explicitement la volonté des forces de l'ordre d'en finir avec
AMADA au cours de cette grève. Remise dans le
contexte de la proposition de la loi Vranckx, la politique suivie par les
forces de l'ordre à l'égard de AMADA prend toute se signification. En effet, le parlement était saisi depuis 1971 d'un projet de loi du Ministre de la Justice Vranckx, visant à la répression des troubles de l'ordre public. AMADA, dans une de ses premières publications en français (620), menait campagne contre ce projet 430, qui visait à interdire « (...) tout groupe particulier dont I'objet est de recourir à la force ou dont les agissements coordonnés tentent à troubler l'ordre ou la sécurité publique(...) » (621). Selon AMADA, ce projet de loi rendait possible la mise hors la loi du mouvement ouvrier marxiste-léniniste « (...) pour ralentir autant que possible la construction d'un véritable parti ouvrier communiste » (622). Et de fait, selon les déclarations du Ministre Vranckx lui-même, l'existence de tels groupes était « (...) un des problèmes dont le gouvernement se soucie » (623). La loi vise explicitement les organisations politiques puisqu'elle exclut « (...) les travailleurs défendant leurs intérêts professionnels » (624). La contestation sociale, oui, tant qu'elle ne s'élève pas contre « l'oppression capitaliste » (625). De tels propos peuvent paraître relever de la paranoïa. Il est clair que voir défiler des groupes casqués, cagoules et munis de bâtons peut justifier certaines mesures répressives. Mais dans un contexte d'agitation sociale, ces mesures prennent une toute autre signification. Depuis la condamnation de Kris Hertogen en 1970, les militants de AMADA sont systématiquement poursuivis en justice pour des faits de grève: 22 novembre 1973, cinq militants sont poursuivis pour leur manifestation de soutien aux dockers le 11 mai à Vilvorde (626) ; les 12 et 13 décembre 1974, procès de quatre militants de AMADA impliqués dans la grève de Lee en avril 1974 (627) ; 23 décembre 1975, condamnation de Kris Merckx, Pierre Lissens, Herman Dereymacker, Jo Cottenier, Michel Mommerency et Paul De Ramelaere (628) etc..sans oublier le procès des docks que nous aborderons plus loin. Exemple presque caricatural de ce mouvement de répression, l'affaire Kris Merckx en 1975. Dans le cadre de Médecine Pour le Peuple, ce dernier et d'autres médecins avaient régulièrement été confrontés à l'Ordre des Médecins, leur reprochant une concurrence déloyale et une pratique non-collégiale de la médecine (629). Kris Merckx est suspendu pour deux semaines en 1975 alors qu'éclate à Cockerill Yards une grève contre le licenciement de deux ouvriers, Yan Saeys et Lieve Gabriel, pour avoir tenu un meeting de AMADA-TPO dans l'enceinte de l'usine (630). Kris Merckx est envoyé pour diriger le mouvement. La police intervient mais « une meute d'ouvriers » vient à son secours (631). Poursuivi par la justice, il se réfugie un mois dans la clandestinité, avant de se rendre aux forces de l'ordre, au cours d'un meeting, ce qui ne manque pas d'apparaître comme un coup de publicité fantastique. Au cours du procès qui suit, une expertise psychiatrique est exigée à rencontre de Kris Merckx, donnant lieu à une immense action de solidarité. Devant ce mouvement, les trois experts psychiatres désignés par la cour se retireront l'un après l'autre (632). Ce contexte explique sans aucun doute l'inquiétude de AMADA qui consacra, contre le projet de loi 430, 22 articles dans le journal du mouvement entre 1973 et 1975. Réservant aux seules organisations syndicales représentatives l'initiative et la justification de la grève, le gouvernement se livrait également, selon AMADA, à « une attaque fasciste contre le droit de grève » troisième pilier de l'ailiance nouée entre la sociale-démocratie et les directions syndicales (633). Cette outrance comporte néanmoins une part de pertinence. Depuis 1970, les syndicats sont de plus en plus confrontés au développement de positions anti-syndicales, positions largement relayées par AMADA. En outre, la crise économique qui s'annonce plonge les travailleurs dans une inquiétude croissante propice à des explosions sociales. Dans ce contexte, il est légitime de supposer que des grèves comme celle des 21.000 mineurs du Limbourg, se développant en-dehors du contrôle des syndicats, aient effectivement effrayé les autorités (634). Inquiétude relayée d'ailleurs par la presse, comme la Gazette van Antwerpen, qui, en commentaire d'une photo de militants casqués écrit : « Dans les rangs des Amadistes des groupes de choc ont été formés qui (...) cherchent la confrontation avec les cordons policiers (...) » (635). La formulation de telles accusations de préparation de la violence hors toute preuve, illustre le climat d'inquiétude régnant alors. 2) AMADA et le Parti Communiste - Table des matières Pour AMADA, si la
grève des dockers est une protestation contre le coût de la vie, elle est
avant tout une grève politique pour le droit de grève et contre le projet de
loi 430. Durant cette action les syndicats et le Parti Socialiste se sont démasqués. Le refus de reconnaître la grève et la fermeture du port sont constituent aux yeux d'AMADA une application concrète de la proposition de loi Vranckx (636). Dénoncer tous « les ennemis du peuple et les menteurs » : les dirigeants syndicaux, les dirigeants socialistes et les dirigeants du "faux Parti Communiste", tel fut l'essentiel de l'action de AMADA durant ces journées (638). Dès sa constitution, AMADA s'est élevé en critique du Parti Communiste Belge, qui a abandonné la théorie de la révolution prolétarienne « (...) pour la théorie de la pacification de la voie parlementaire vers le socialisme » (639). Pour AMADA, le Parti Communiste est avant tout garant de la paix sociale par sa défense des directions syndicales (640). Le Parti Communiste, fort du prestige de son nom, endigue les masses révolutionnaires (641). Du reste, la position défendue par le Rode Vaan durant la grève des dockers était ambigue et paradoxale. Pour la branche néerlandophone du Parti Communiste, le comité de grève n'a pas été constitué contre les syndicats (641b). Dans un contexte de grève "sauvage" non reconnu, pour la reconnaissance du droit de grève par les syndicats, cela peut surprendre. Mais AMADA se garde bien d'assimiler la direction du Parti Communiste à ses militants, attitude sans aucun doute justifiée par le rôle dominant des militants communistes dans la direction de la grève. La direction du Parti Communiste est assimilée à celle des syndicats ou du PSB, «les délégués et militants du KP apprenant dans la pratique la faillite de leurs dirigeants » (642). Partisan de l'analyse chinoise, AMADA voit dans le Parti Communiste l'expression du révisionnisme soviétique. Réciproquement, l'action de AMADA ne reste pas indifférente au Parti Communiste pour qui « la politique primitive de AMADA est basée sur la tactique de l'affrontement avec la police et la gendarmerie (...) », de manière à se poser en martyre et ainsi manipuler les masses, à l'exemple de Kris Merckx (643). 3) Le procès des docks - Table des matières Plus que la grève
elle-même, c'est le procès qui la suit qui comptera dans l'histoire de AMADA Rapidement radicalisées, les actions ont souvent été très dures. Des incidents ont régulièrement opposé, selon la police, des grévistes et des membres de AMADA aux forces de l'ordre, comme les incidents du 14 mai 1973 durant lesquels une voiture banalisée de gendarmes BSR est détruite (644). Ces incidents sont à l'origine du procès qui débute le 17 juin 1974 à l'encontre de plusieurs inculpés dont treize amadistes. Il sera l'occasion pour le mouvement de lancer une campagne politique très importante, sujet de pas moins de 18 articles dans le journal Alle Macht Aan de Arbeiders et de deux brochures (645). Les actions de soutien organisées semblent avoir mobilisé un grand nombre de mineurs, comme l'audience du procès du 22 octobre 1974 où, selon AMADA, sept cent dockers refusent de se faire embaucher en signe de solidarité (646). Pour AMADA, ce procès est l'expression de la volonté politique de la bourgeoisie de briser le mouvement (648). En tout cas, il semble que l'Etat ait voulu donner un signal clair à l'ensemble du mouvement ouvrier. Pour l'ensemble des inculpés, neuf ans de prison ont été distribués, dont huit mois fermes (649). L'action menée autour de ce procès s'inscrit dans le cadre de la campagne contre la fascisation et le projet de loi 430 (650). La mobilisation des travailleurs atteste, pour AMADA, de l'enthousiasme de la classe ouvrière pour la lutte politique ; les dockers se sont mobilisés pour le droit à l'organisation, pour le droit à la présence de communistes et pour le droit de grève (651). Dans ce contexte, l'action des dockers est un flambeau pour l'ensemble de la classe ouvrière car elle annonce sa détermination dans les conflits qui ne manqueront pas d'éclater dans les différentes usines du pays (652).
Néanmoins, l'action de AMADA durant cette grève a révélé des
contradictions internes au mouvement. Pour AMADA, la campagne de soutien aux
inculpés du procès doit permettre à l'organisation de se profiler et donc de
se renforcer au niveau national, s'opposant ainsi à une partie des cadres pour
qui le travail politique doit se limiter aux cas particuliers de chaque
entreprise (653). Ce débat donnera
l'occasion d'une campagne de rectification interne. Car même si des mesures
organisationnelles avaient été prises dès 1971, celles-ci restent
embryonnaires. De l'avis même des acteurs de l'époque, c'est encore l'anarchie
qui règne au sein de l'organisation à la veille de la grève des dockers:
manque d'unité politique, aucun principe d'adhésion clairement définies... Chapitre III - Bilan et conséquences de la grève des dockers - Table des matières La grève des dockers et le procès de ses militants révèlent à AMADA la nécessité de construire une organisation forte, unifiée et structurée. Pourquoi ? La crise du pétrole de 1973 met en lumière la crise générale du capitalisme qui conduit inévitablement à des fermetures d'usines, au développement du chômage, bref à des réajustements du marché dont la classe ouvrière est la première victime (655). Dès lors, pour s'adapter à la nouvelle situation engendrée par la crise, le capitalisme doit circonvenir les travailleurs par l'action des partis traditionnels et notamment le Parti Socialiste Belge (656). Dans ce contexte, le sort et les intérêts de la classe ouvrière ne peuvent être défendus que par la lutte de masse unie et radicale. La classe ouvrière a alors besoin d'unité. C'est-à-dire constituer un « front invincible (...) en chassant des rangs ouvriers tous les valets des capitalistes qui prêchent la conciliation et la collaboration avec les exploiteurs », direction du PSB et du PC en tête (657). D'autre part, la classe ouvrière a besoin d'une organisation solide, le Parti « (...) composé d'éléments avancés de la classe ouvrière. (...) organisation d'avant-garde, dynamique et capable de diriger la lutte du prolétariat et des masses populaires contre l'ennemi de classe » (658). L'expérience de la grève des dockers va ainsi encourager, dès 1973, un mouvement de rectification interne de manière à « (...) éliminer le libéralisme organisationnel » et à construire un véritable parti prolétarien (659). Cela se fera autour de différents axes : propagation des idées du mouvement par la participation aux élections, renforcement organisationnel et idéologique interne, campagne pour un journal national hebdomadaire et débat sur l'unification du mouvement marxiste-léniniste belge.
A. Participation de AMADA aux élections Le succès de sympathie rencontré parmi les grévistes conduit AMADA à participer aux élections législatives de 1974. Décision étonnante lorsqu'à peine trois ans auparavant, à l'occasion des élections de 1971, le jeune AMADA appelait à dire « Non au carnaval électoral » (660). Il semblerait qu'AMADA ait ressenti le besoin de s'affirmer ouvertement comme parti politique. La confrontation avec le Parti Communiste et l'affirmation du caractère essentiellement politique de la grève des dockers ont renforcé la nécessité de transcender le simple « comité de lutte » pour fonder un parti organisé sur base de revendications politiques claires. De 1974 à 1979, AMADA va participer à cinq campagnes électorales : les législatives de 1974, 1977 et 1978 ; les communales de 1976 et les européennes de 1979. Après quatre années d'actions sur différents terrains sociaux et politiques, AMADA peut se féliciter d'un succès grandissant auprès d'une partie de la population (661). Les résultats des élections de 1974 l'annoncent : AMADA, présent dans trois arrondissements (Anvers, Hasselt et Gand) recueille 19.784 voix dont 14.925 dans l'arrondissement d'Anvers, moins d'un an après la grève des dockers, dépassant de 2.000 voix le Parti Communiste (662). Mais AMADA ne se veut pas un parti d'élections mais bien « (...) un parti pour diriger la lutte de classe » et dont le but principal est « (...) d'éveiller parmi la classe ouvrière la discussion et le soutien pour la politique vraiment communiste de AMADA » (663). La campagne électorale est alors réalisée dans le but de gagner une plus grande sympathie des travailleurs. Il s'agit de mener une « (...) vraie lutte électorale parmi les masses populaires » (664) de manière à rendre la lutte des classes « aussi radicale et révolutionnaire que possible » (665). Il s'agit également de renforcer le parti en profilant des ouvriers d'avant-garde et en les formant à être des dirigeants de masse (666). En outre, la participation aux elections est egalement l'expression d'une certaine volonté d'ouverture de manière à donner "(...) au plus grand nombre de sympathisants possible l'occasion de collaborer activement avec leur Parti"(668) en s'appuyant principalement sur les thèmes qui ont fait la renommée de AMADA. Et de fait, les listes présentées en 1974 rassemblent huit mineurs, cinq dockers, quatre anciens membres du Parti Communiste et deux médecins du peuple, dont Kris Merckx (669). Cette volonté d'ouverture s'exprime également au travers des campagnes de soutien financier qui augurent de ce succès grandissant. Pour les élections de 1974, 350.000 francs sont récoltés (670). Pour celles de 1976, 1.400.000 francs ; en 1977, 750.000 francs pour un objectif de 600.000 francs. Cet élargissement vers la société civile démontre que le mouvement était également désireux de dépasser le strict cadre des usines pour s'implanter dans d'autres milieux et notamment dans les quartiers où des cellules sont créées pour organiser les sympathisants non ouvriers (671) Chaque campagne électorale est surtout l'occasion de revendications précises, l'expression des préoccupations du moment, sur base desquelles une véritable ligne politique peut être dégagée. Ainsi en 1974, l'accent est mis sur la nécessité de voter pour la lutte de classe révolutionnaire ; il s'agit en fait de mener campagne autour des principes fondamentaux de AMADA. En 1976, AMADA mène campagne pour l'indépendance nationale et contre le danger de guerre que représente l'Union Soviétique, pour la démocratie populaire contre la dictature du capital et pour les droits politiques et syndicaux (672). Aux élections de 1977, la campagne est axée sur le danger de guerre, pour les 36 heures sans perte de salaire, pour un front uni de lutte (673). Les résultats de AMADA aux différentes élections donnent une sanction objective de l'influence gagnée ou perdue au cours de ces différentes consultations, comme nous le montre les tableaux repris ci-dessous. Force est de constater que des résultats sont determinés par l'action confrète de AMADA. Le "succes" des élections de 1974 confirme l'influence de AMADA parmi les dockers. Aux élections communales de 1976, si AMADA ne recueille 'que" 21022 voix, c'est-à-dire 096% des suffrages, le mouvement se voit gratifier de 8,4% des suffrages à Hoboken, fief de Médicine Pour le Peuple. Grâce au soutien recueilli durant l'affaire Kris Merckx, AMADA se voit attribuer pour la première fois deux sièges au sein d'un Conseil Communal. Cela permet au mouvement de gagner en crédibilité et en soutien. Aus élections législatives de 1977 et 1978, AMADA obtient respectivement 25.203 et 43.576 voix à mettre sans aucun doute sur le compte de l'implantation de AMADA en Wallonie, sous le nom de Tout le pouvoir aux Ouvriers, à partir de 1975. Soulignons enfin une participation aux élections européennes de 1979, ou AMADA-TPO recueille 45.423 voix (674). Une comparaison avec les résultats du parti communiste donne une
explication du développement de AMADA. On peut supposer que le mouvement
profite du recul du PCB entre 1974 et 1977. Si
le PCB perd 16.241 voix, AMADA en gagne 5.419. On peut supposer un infime
glissement de voix entre les deux organisations mais sans grande importance. Résultat par province des élections
communales de 1976
Comparaisons des résultats électoraux de
AMADA et du PCR Résulats à la Chambre. Législatives de 1974, 1977 et 1978.
B. Le mouvement de rectification sur la construction organisationnelle du
Parti Ce mouvement de rectification interne est provoqué par la prise en considération des nombreuses critiques qui s'élèvent dans les cellules qui visent notamment l'anarchie, l'absence d'ouvriers dans les organes de direction et le mépris de certains intellectuels vis-à-vis des ouvriers (676). Pour AMADA, « l'anarchisme des intellectuels bourgeois » met en danger la survie même de l'organisation, entraînant d'ailleurs la disparition de certaines cellules (677). Pour Luc Vervaet, certaines cellules n'évoluant plus et se limitaient à de simples petits groupes d'amis 678 Sur base de ces critiques, le mouvement va orienter ses efforts, dès août 1973, vers la « construction organisationnelle du parti ouvrier communiste » autour de trois axes principaux : le renforcement de la discipline et de l'efficacité au sein de l'organisation ; la constitution de cellules efficaces issues de la lutte de classe et de l'éducation politique des ouvriers d'avant-garde ; et la constitution de « puissants » organes de direction (679). Ce mouvement de rectification va s'appuyer avant tout sur un ouvriérisme exacerbé, de manière à montrer aux éléments bourgeois que leur attitude entraîne des désastres (680). Dès lors, « toute l'organisation du parti doit être contrainte d'adopter des mesures organisationnelles qui mettent en avant le Parti et les ouvriers d'avant garde (...) » (681). Il faut donc mener une campagne de prolétarisation des intellectuels, mettre les ouvriers aux postes de commandes pour combattre cet anarchisme organisationnel. Proposition est d'ailleurs faite de confier la direction des cellules aux ouvriers et d'inclure au moins trois ouvriers aux directions provinciales (682). Pourquoi faire appel aux ouvriers ? Ici encore, on s'inspirera des théoriciens fondateurs du marxisme-léninisme. La force de la classe ouvrière, selon la théorie, est la capacité organisationnelle disciplinée, déterminée par l'organisation du travail au sein des grandes entreprises. Dès lors, les expériences organisationnelles de la classe ouvrière sont à même d'aider AMADA dans son mouvement de rectification. Cette discipline prolétarienne étant d'autant plus nécessaire que « la fascisation est une réalité » et que dans le contexte de cette fascisation, « (...) c'est le parti en construction qui sera la première cible des fascistes et de la répression capitaliste » (683). 1) Les statuts La préoccupation
principale de la campagne de rectification organisationnelle sera
l'élaboration des statuts. Une Conférence Nationale concernant les problèmes organisationnels approuve les nouveaux statuts le 29 décembre 1974 (684). Ils visent à fixer la manière dont le parti se construit et la manière dont il travaille (685). Dans le contexte de la lutte contre le libéralisme organisationnel, il s'agit avant tout de « renforcer et révolutionnariser le parti sans tarder » (686). Et en effet, l'analyse de ces statuts met en évidence la volonté de structurer le mouvement. AMADA y définit son programme général, les conditions d'accès, les principes organisationnels et idéologiques. Il parait évident que ses statuts visent avant tout à répondre aux problèmes du moment de l'organisation. Outre le contexte d'anarchie organisationnelle, AMADA doit faire face à la « répression », le procès des dockers est à peine fini, d'autres procès sont en cours et le début de l'année 1975 annonce l'affaire Kris Merckx. En outre, AMADA doit se prononcer dans le débat sur l'unification des différentes organisations qui se réclament du marxisme-léninisme. Qu'en est-il? Le programme général de l'organisation défini dans les statuts reprend l'orientation résolument marxiste-léniniste qu'AMADA a développée depuis 1970, la construction du « Parti Ouvrier Communiste » dont la ligne politique est élaborée en appliquant « (...) à la réalité concrète de la révolution en Belgique, la doctrine de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Tsé-Tung » (687). La classe ouvrière doit être éduquée dans l'esprit du marxisme-léninisme et dirigée vers « (...) la révolution socialiste et l'instauration de la dictature du proletariat", en préparant les masses à la révolution socialiste armée (688). Comment y parvenir? Les principes « tactiques » développés par le mouvement dans ses statuts, sont la conséquence de l'expérience acquise par AMADA dans les différents conflits sociaux entre 1970 et 1974. Si le parti se donne comme tâche d'éliminer l'influence politique des dirigeants syndicaux et des leaders des partis social-democrates et révisionistes, entendez le Parti Communiste, pour contrer cette influence, le Parti « (...) défend l'unité révolutionnaire des différents partis et organisations syndicales » en rassemblant les employés, les couches inférieures paysannes, les classes moyennes et les intellectuels autour de la classe ouvrière dans la lutte contre le capital (689). On retrouve clairement ici les grands axes politiques développés par l'organisation suite à la grève de Boel en 1971, au proces des docks et la récente campagne électorale. Le programme général des statuts met enfin en évidence l'assimilation par l'organisation des grands principes marxistes acquis notamment lors des révoltes étudiantes et La grève des mines : le concept de dictature du prolétariat, la destruction de l'appareil d'état bourgeois, l'internationalisme prolétarien (690). Sur le plan organisationnel, une étape supplémentaire est franchie par la définition des principes d'adhésion au mouvement, jusqu'ici inexistants. Les conditions d'affiliation sont soumises à un contrôle strict de nature quasi "sectaire". Pour devenir membre, outre le fait d'avoir 18 ans accomplis, d'accepter les statuts, de reconnaître le programme, de militer activement dans une des organisations et de s'acquitter de ses cotisations, conditions non exceptionelles dans le cas d'un parti politique, le candidat doit satisfaire à une série de conditions supplémentaires. Il doit être recommandé par deux membres du parti et remplir une demande d'admission écrite ; celle-ci est jugée par l'ensemble de la cellule concernée et ratifiée par le Comité du Parti, après une étude approfondie, un examen et des enquêtes (691) Ce n'est qu'au bout de six mois d'activités au sein d'une cellule, sans droit de vote, que le candidat devient membre à part entière, décision toujours ratifiée par l'organe de direction supérieur. En outre, un membre du Parti est soumis à treize obligations, dont : étudier avec sérieux le marxisme-léninisme et la pensée de Mao Tsé-Tung, étudier la politique et les résolutions du Parti et les appliquer, diriger la lutte de classe en y effectuant propagande et agitation pour la politique du Parti, être loyal et franc, fidèle à l'égard du Parti, combattre le scissionisme, etc. (692). Les sanctions prévues en cas d'infraction aux statuts, révèlent pourtant qu'il ne s'agit pas pour AMADA de la paranoïa la plus complète. Différentes sanctions sont prévues, de l'avertissement à l'exclusion définitive, celle-ci étant évitée au maximum, ou du moins sérieusement examinée sur base d'arguments contradictoires, en laissant l'occasion au membre de se défendre et si nécessaire de faire une autocritique au cours d'une période d'observation de trois mois. Si sanction il y a, celle-ci est prononcée par l'organisations dans laquelle le mebre est actif. Elle doit ensuite être ratifiée par l'organe supérieur; le membre du parti est présent et dispose d'une possibilité d'appel à l'échelon supérieur (693). Si durant la période 1970-1979, beaucoup de militants ont quitté l'organisation, aucun cas d'exclusion n'est à relever. Ces exigences très lourdes reflètent sans doute le souci d'éviter toute provocation dans le contexte répressif du temps. Constituer "une fôrteresse inviolable" garantissait aus membres de AMADA la survie de l'organisation, comme le montre la treizième obligation du membre : « prendre garde d'empêcher l'infiltration au sein du Parti d'espions à la solde de la police, de provocateurs (...), ne pas ébruiter les secrets du Parti et observer l'attitude la plus secrète envers la police, la gendarmerie et les autres ennemis de classe » (694). De plus, la rigueur des statuts est certainement inspirée par la volonté de se conformer aux principes élaborées par Lénine lui-même. Enfin, soulignons due ces mesures, quique sévères, ne diffèrent quère des principes courants de la plupart des organisations politiques, professionnelle ou autres. Sur le plan organisationnel toujours, AMADA reprend et approfondit les principes définis en 1971. Le Parti se construit sur base du centralisme démocratique, fondé sur des discussions démocratiques sous l'égide d'une direction centrale, afin de garantir l'application dans la pratique de la ligne marxiste-léniniste (695). La démocratie au sein du parti doit « raffermir le centralisme, renforcer la discipline et augmenter la puissance au combat » en exigeant que chacun puisse donner son opinion, de manière à développer l'esprit de responsabilité et l'esprit d'initiative au sein des membres, à éviter erreurs et conclusions unilatérales, afin que les idées justes et erronées puissent s'exprimer. Ceci de manière à renforcer le centralisme c'est-à-dire « (...) l'unité de pensée et d'action » (696) qui impose la « soumission de l'individu à l'organisation, la soumission de la minorité à la majorité, la soumission des échelons inférieurs aux échelons supérieurs, la soumission de l'ensemble du Parti au Comité Central » (697). L'adoption de principes aussi rigides devait, dans l'esprit de ses partisans, assurer une unité d'action et l'efficacité de sa propagande politique. Les expériences de scissions multiples au sein du mouvement, au début des années septante avaient eu pour conséquence directe, un affaiblissement de l'ensemble de l'organisation et ont certainement convaincu la direction de AMADA de veiller à garantir l'unité idéologique de ses membres. Sont définis également le rôle et la constitution des organes dirigeants et des cellules qui constituent les deux autres axes principaux de la rectification.
2) La constitution des organes dirigeants
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(720) TOUT LE POUVOIR AUX OUVRIERS, structure et fonctionnement de la cellule communiste, EPO, 1975, p.5. (721) Ibidem, p.6. (722) Ibidem, pp.6-8. (723) Ibidem, p. 13. (724) Ibidem, p. 14. (725) Ibidem, p. 15. (726) Kampagne weekblad- Tekst n°2, s.l., 11/1/1975, p.l. (727) De politieke en ideologische objectiven in de kampagne van het blad. Kampagne weekblad - Tekst n°10, 1975, p.2. - Kampagne weekblad - Tekst n°2, s.l., 11/1/1975, p. 1. (728) Start binnen de partij de voorbereiding van de kampagne voor het weekblad.' Kampagne weekblad- tekst n°3, 19 janvier 1975, p.l. (729) Idem. (730) Ibidem, pp.2-5. (731) AMADA, lettre aux sympathisants et membres, 10 février 1975. (732) Alle Macht Aan de Arbeiders, n°91, 6 februari 1975, p.l.
(741) Interview de Herwig Lerouge, 4 avril 2000. (742) CHAUVIER (J.-M). « gauchisme » et nouvelle gauche en Belgique (II), in les Courriers Hebdomadaires du CRISP, n° 602-603, Belgique, 1973, p.8. (743) CHAUVIER (J.-M.). op. cit., p. 8. (744) Ibidem, p. 9. (745) Interview de Pierre Marage 31 juillet 2000. (746) Interview de Nadine Rosa Rosso, 21 mars 2000. (747) AMADA-TPO, Marxistes-Léninistes, unissez-vous pour démasquer et détruire le groupe de trotskistes et de provocateurs qui dirige l'UC(ML)B, EPO, 1976, pp. 56-57. (748) AMADA-TPO, L'organisation anarcho-syndicaliste, anti-communiste et contre-révolutionnaire Clarté, pour la défense des principes de base de la construction du Parti Communiste, s.l., 1974. (749) AMADA-TPO, Marxistes-Léninistes, unissez-vous pour démasquer et détruire le groupe de trotskistes et de provocateurs qui dirige l'UC(ML)B, EPO, 1976, p.58. (750) Ibidem, p.59. (751) Interview de Jacques Boutemy, 27 mars 2000. (752) AMADA-TPO, op.cit., p.59. (753) Idem. (754) CHAUVIER (J.-M.), « gauchisme » et nouvelle gauche en Belgique (II), in les Courriers Hebdomadaires du CRISP, n° 602-603, Belgique, 1973, p. 10. (755) AMADA-TPO, op.cit., p.59. (756) Interview de Nadine Rosa Rosso, 21 mars 2000. (757) COLLON (M.), Projet de bilan de l'UC(ML)B, s. 1., juin-octobre 1978, p. 13. (758) Idem. (759) Interview de Nadine Rosa Rosso, 21 mars 2000. (760) AMADA. Critique des positions de l'UC(ML)B, Anvers, juillet 1973, p.2. (761) COLLON (M.), op.cit., p. 15. (762) Ibidem, p.65. (763) UC(ML)B. Bulletin marxiste-léniniste n°3, s.l., 1973, p.76. (764) AMADA, op.cit., p.7. (765) UC(ML)B, op.cit., p.65. (766) AMADA, op.cit., p.33. (767) AMADA-TPO, Marxistes-Léninistes, unissez-vous pour démasquer et détruire le groupe de trotskistes et de provocateurs qui dirige l'UC(ML)B, EPO, 1976. (768) COLLON (M.), op.cit., p.86. (769) Point de vue d'AMADA sur l'unification des marxistes-léninistes et les étapes de la construction du Parti, s.l., S.&, p.l (770) COLLON (M.), Projet de bilan de l'UC(ML)B, s.l., juin-octobre 1978, p.87. (771) AMADA-TPO Marxistes-Léninistes, unissez-vous pour démasquer et détruire le groupe de trotskistes et de provocateurs qui 'dirige l'UC(ML)B, EPO, 1976, p.61. (772) UC(ML)B Les tâches des communistes (marxiste-léninistes) dans les luttes actuelles de la classe ouvrière, s.l., 1973, p.13. (773) Ibidem, p.5. (774) Verslag : vergad. UC (2) AMADA (4), 16/01/75; Verslag.vergad. UC(2)-AMADA(4). 13/02/75; Diskussie AMADA-UC, 14/09/75. (775) Interview de Nadine Rosa Rosso, 21 mars 2000. (776) UC(ML)B, Les tâches scientifiques du mouvement marxiste-léniniste, s.l., 1975, p. 19. (777) Interview de Nadine Rosa Rosso, 21 mars 2000. (778) Premier Plenum du CC de l'UC(ML)B, la classe ouvrière doit exercer sa direction en tout, bulletin pour la rectification n°1, 4 février 1976, p.l. (779) Appel à tous les ouvriers révolutionnaires de Belgique, débat public entre AMADA-TPO et l'UC(ML)B, tract de l'UC(ML)B. Marcinelles, 1976 et UC(ML)B-UK(ML)B, Tous au débat du 29, 25/2/1976. (780) AMADA-TPO, Marxistes-Léninistes, unissez-vous pour démasquer et détruire le groupe de trotskistes et de provocateurs qui dirige l'UC(ML)B, EPO, 1976, p.62. (781) Idem. (782) Résolution interne du comité central de AMADA-TPO du 15 février 1976, cité dans AMADA-TPO, op.cit., pp. 62-65. (783) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°54, 18 février 1976, p. 10. (784) Resolutie van het centraal comitee over de kraksie van de voorzitter van AMADA en van het kader van het regionaal komitee van Brussel, 19 février 1976. (785) Résolution du Comité Central de Tout le Pouvoir aux Ouvriers comme réponse à la résolution du comité central de ! 'Union des Communistes Marxistes-Léninistes de Belgique concernant la fraction du président de TPO et du cadre du comité régional de Bruxelles, s.l., 1976, p. 1. (786) Procès verbal du meeting de l 'UC(ML)B, 29 février 1976, cite dans AMADA-TPO, Marxistes-Léninistes. unissez-vous pour démasquer et détruire le groupe de trotskistes et de provocateurs qui dirige l'UC(ML)B, EPO, 1976, p. 68. (787) Interview de Nadine Rosa Rosso, 21 mars 2000. (788) Mémorandum sur les comploteurs infiltrés dans le mouvement communiste de Belgique établi par le comité central de l'Union des Communistes (Marxistes-Léninistes) de Belgique, s.l., 1976. (789) Interview de Pierre Marage, 31 juillet 2000. (790) AMADA-TPO, Critiquons à fond la ligne révisionniste et sociale-fasciste de la direction de l'UC, EPO, 1976, p.58. (791) PV de l'interrogatoire de Pierre par le CC (mardi 9 mars 1976). (792) POLLET (E.), Hors de l’UC(ML)B, la clique provocatrice sociale-fasciste Xetszaten-Minet, avril 1976. (793) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°58, 14 avril 1976, pp.8-9. (794) Appel à rompre avec le groupe provocateur anti-parti dirigeant l’UC(ML)B, par des militants communistes de l'UC(ML)B, 1976, p.3. (795) Directives pour les militants et sympathisants d'UC qui adhèrent à AMADA, s.l., 1976, p.1. (800) Les méthodes utilisées au sein de l'UC(ML)B seront notamment à l'origine de couples brisés, de familles détruites, de personnes psychologiquement atteintes. (801) Interview de Paul Deramelaere, 6 juillet 2000. (802) Interview de Michel Momerency, 28 mars 2000. (803) Idem. (804) Interview de Hubert Hedebouw, 28 juin 2000. (805) Cette mention apparaît ouvertement pour la première foi sur l'entête du journal du 3 mars 1977. Tout le Pouvoirs aux Ouvriers, n°7, 3 mars 1977. (806) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°14, 27 avril 1977, p.5. (807) Waarom en politiek en taktiek centraal stellen en strijden tegen het sektarisme, s.l.. 1976. p.20. (808) De fundementele principes om de organisatie een te maken, s.l., 1977? p.3. (809) Alle Macht Aan de Arbeiders. n°48, 14 mei 1973, p.8. (810) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, N° 34, 14 mai 1975, p.2; Alle Macht Aan de Arbeiders. n°150. 5 mei 1976. p.8 ; Tout le Pouvoir aux Ouvriers. n°175, 11 mai 1975, p. 12. (811) Waarom en politiek en taktiek centraal stellen en strijden tegen hel sektarisme, s.l., 1976, pp. 1-2. (812) Résulltats des élections législatives du 17 décembre 1978, renouvellement intégral de la chambre et du sénat, 5.1.. 1978. (813) Ontwerp-tekst. Organisatie afdeling strijden tegen het sektarisme en « links » doktrinarisme. Partij en Front, 1976, pp. 15-17. (814) Ibidem, p. 13. Ibidem, p.5. (815) Waarom en politiek en taktiek centraal stellen en strijden tegen hel sektarisme, s.l., 1976, p.3ü. (816) Idem. (817) Tout le Pouvoirs aux Ouvriers, n°15, 11mai 1977, p.10. (818) Idem. (819) Idem (820) Waarom en politiek en taktiek centraal stellen en strijden tegen het sektarisme, s.L 1976. p. 10. (821) Ibidem p. 4 et p. 18 (822) HOBSBAWM, (E.J.), L'Age des extreme, histoire du court XXe siècle, France, 1999, p.583. (823) Ibidem, pp.583-584. (824) Ibidem, pp.585-587. (825) Ibidem, p.329 et p.587. (826) Idem. (827) TPO, La Russie et l'Amérique préparent une nouvelle guerre mondiale. L'Union Soviétique est la superpuissance la plus dangereuse et agressive*. Textes du bureau national d'AMADA-TPO-TPO juin-décembre 1975, p.5. (828) Tout le Pouvoir aux Ouvriers*, n°5, 1 mars 1978. (829) Tout le Pouvoir aux Ouvriers*, n°21, 17 août 1977, p. 9. (830) Alle Macht Aan de Arbeiders*, n°191, 23 februari 1977, p.13. (831) Voir pp. 65-66 supra. (832) TPO, La Russie et l'Amérique préparent une nouvelle guerre mondiale. L'Union Soviétique est la superpuissance la plus dangereuse et agressive*. Textes du bureau national d'AMADA-TPO-TPO, juin-décembre 1975, p.5. (842) Ontwerp-tekst. Organisatie afdeling strijden tegen het sektarisme en « links » doktrinarisme. Partij en Front, 1976, p. 10. (843) Idem. (844) Alle Macht Aan de Arbeiders, n°199, 20 april 1977. (845) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°6, 14 février 1979, p.8. (846) Dokument 1969, Een leidraad doorheen de marxistische theorie. Het belang van de revolutionaire theorie, in MARTENS (L.), MERCKX (K.), Een kwarteeuw Mei '68, Bruxelles, 1993, pp. 240-244. (847) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°13, 21 juin 1978, p. 12. (848) Nihil (849) VANDEPUTTE (R.), L'histoire économique de la Belgique 1944-1990, Bruxelles, 1993, p. 197. (850) Voir LUYKX (Th.), PLATEL (M.), Politieke geschiedenis van België, van 1944 tot 1985, t.2, Antwerpen, 1985, pp.627-737. (851) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°13, 21 juin 1978, p. 12. (852) Idem. (853) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°8, 12 avril 1978, p.6. (854) Ibidem, p.8. (855) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°11, 24 mai 1978, p.5. (856) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°20, 27 septembres 1978, p.4. (857) Voir entre autre Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°12, 7 juin 1978 ; n°13, 21 juin 1978. (858) Voir respectivement Tout le Pouvoir aux Ouvriers n°15, 18 avril 1978, p.5 ; n°13, 4 avril 1979, p.8 ; n°21, 30 mai 1979, p.7. (859) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°27, 11 juillet 1979, pp.6-7. (860) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°22, 25 octobre 1978, p. 12. (861) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°12, 7 juin 1978, p.8. (862) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°35, 12 septembre 1979, pp.3-4. (863) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, 11 octobre 1978, p.5. (864) Pour les élections de 1977 : Tout le Pouvoir aux Ouvriers, N°14, 27 avril 1977, p.5 ; Le Soir, mardi 19 avril 1977, pp. 4-8. Pour les élections de 1978 : Résultats des élections législatives du 17 décembre 1978, renouvellement intégral de la chambre et du sénat, s.l., 1978. (865) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°5, 7 février 1979, p. 3. (866) Ibidem, p.5. Tout le Pouvoirs aux Ouvriers, n°6, 14 février 1979, p.5 et n°8, 28 février 1979, p.9. (859) Voir Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°17, 17 août 1978 et n°16, 25 avril 1979. (860) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°28, 25 juillet 1979. (861) Tout Je Pouvoir aux Ouvriers, 21 mars 1979, p.2. (862) Tout le Pouvoirs aux Ouvriers, 9 mai 1979, pp.4-5. (863) Réorganisation des directions provinciales, 1 janvier 1979, p. 3. (864) Idem. (865) Projet d'orientation pour le Bureau National, 30 janvier 1979, p.l. (866) Réorganisation des directions provinciales, 1 janvier 1979, pp. 1-2. Ibidem, p. 3. (867) Ibidem, p. 3 (868) Idem. (869) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, 11 mars 1979, p. 10. (870) Tout le Pouvoir aux Ouvriers, n°33, 29 août 1979, (871) Verslag kommissies : Partij, Front en Réformisme, p.5. (872) Directives du Comité Central pour tous les militants. Les lâches en vue du Congrès, 12/05/79, p. 1. (873) Ibidem, p.1-2. (874) Ibidem, p.2. (875) Ibidem,p.3. (876) Idem. |