Paul Verlaine - Oeuvres Libres

Femmes 6/19

 

                Filles- 1

Nl 

Bonne simple fille des rues,
Combien te préférè-je aux grues

Qui nous encombrent le trottoir
De leur traîne, mon décrottoir,

Poseuses et bêtes poupées
Rien que de chiffons occupées  

Ou de courses et de paris,
Fléaux déchaînés sur Paris!

Toi, tu m'es un vrai camarade
Qui la nuit monterait en grade.

Et même dans les draps câlins
Garderait des airs masculins.

Amante à la bonne franquette,
L'amie à travers la coquette,

Qu'il te faut bien être un petit
Pour agacer mon appétit.

Oui, tu possèdes des manières
Si farceusement garçonnières

Qu'on croit presque faire un péché
(Pardonné puisqu'il est caché).

Sinon que t'as les fesses blanches,
De frais bras ronds et d'amples hanches

Et remplaces ce que n'a pas
Par tant d'orthodoxes appas.

T'es un copain tant t'es bonne âme,
Tant t'es toujours tout feu, tout flamme

S'il s'agit d'obliger les gens
Fût-ce avec tes pauvres argents

Jusqu'à doubler ta dure ouvrage,
Jusqu'à mettre du linge en gage?

Comme nous t'as eu des malheurs
Et tes larmes valent nos pleurs.

Et tes pleurs mêlés à nos larmes
Ont leur salaces et leurs charmes.

Et de cette pitié que tu
Nous portes sort une vertu

T'es un frère qu'est une dame
Et qu'est pour le moment ma femme...

Bon! puis dormons jusqu'à patron
Minette, en boule, et ron, ron, ron!

Serre-toi, que je m'acoquine
Le ventre au bas de ton échine

Mes genoux emboîtant les tiens,
Tes pieds de gosse entre les miens

Roule ton cul sous ta chemise,
Mais laisse ma main que j'ai mise

Au chaud sous ton gentil tapis
Là! nous voilà cois, bien tapis.

Ce n'est pas la paix, c'est la trêve.
Tu dors? Oui, pas de mauvais rêves,

Et je somnole en gais frissons,
Le nez pâmé sur tes frisons.