Paul Verlaine - Oeuvres Libres

Femmes 7/19

 

                Filles- 2

Nl 

Et toi, tu me chausses aussi.
Malgré ta manière un peu rude
Qui n'est pas celle d'une prude
Mais d'un virago réussi.

Oui, tu me bottes quoique tu
Gargarises dans ta voix d'homme
Toutes les gammes du rogomme,
Buveuses à coudes rabattus!

Mais femme! sacré nom de Dieu!
A nous faire perdre la tête,
Nous foutre tout le reste en fête
Et, nom de Dieu, le sang en feu.

Ton corps dresse, sous le reps noir,
Sans qu'assurément tu nous triches,
Une paire de nénais riches,
Souples, durs, excitants, faut voir!

Et moule un ventre jusqu'au bas,
Entre deux friands hauts-de-cuisse,
Qui parle de sauce et d'épice
Pour quel poisson de quel repas?

Tes bas blancs - et je t'applaudis
De n'arlequiner point tes formes -
Nous font ouvrir des yeux énormes
Sur des mollets que rebondis!

Ton visage de brune où les
Traces de robustes fatigues
Marquent clairement que tu brigues
Surtout le choc des mieux râblés.

Ton regard ficelle et gobeur
Qui sait se mouiller puis qui mouille,
Où toute la godaille grouille
Sans reproche! ô non! mais sans peur,

Toute ta figure - des pieds
Cambrés vers toutes les étreintes
Aux traits crépis, aux mèches teintes,
Par nos longs baisers épiés -

Ravigote les roquentins,
Et les ci-devant jeunes hommes
Que voilà bientôt que nous sommes
Nous électrise en vieux pantins,

Fait de nous de vrais bacheliers,
Empressés autour de ta croupe
Humant la chair comme une soupe
Prête à râler sous tes souliers!

Tu nous mets bientôt à quia,
Mais, patiente avec nos restes,
Les accommode, mots et gestes,
En ragoût où de tout y a

Et puis, quoique mauvaise au fond,
Tu nous as de ces indulgences!
Toi, si teigne entre les engeances,
Tu fais tant que les choses vont.

Tu nous gobes (ou nous le dis)
Non de te satisfaire, ô goule!
Mais de nous tenir à la coule
D'au moins les trucs les plus gentils.

Ces devoirs nous les déchargeons,
Parce qu'au fond tu nous violes,
Quitte à te fiche de nos fioles
Avec de plus jeunes cochons.